Le vol rocambolesque des armes de sa police municipale146 ne constitue que le dernier épisode de la chronique d’une ville qui apparaît dans une situation financière critique.

En avril 1997, le trésorier-payeur-général de Corse attirait l’attention du commissaire du gouvernement près la Chambre régionale des comptes sur la gravité de la situation financière de la ville d’Ajaccio.

Selon des informations recueillies par la commission d’enquête, " il apparaît que la ville d’Ajaccio souffre d’un gestion approximative depuis plusieurs années, les difficultés accumulées ne présentant pas un commencement de règlement. Au contraire, les actions entreprises, notamment pas le recours à l’emprunt pour financer le fonctionnement de la commune "plombée" par un coût du personnel largement excessif, conduisent la commune vers une politique de fuite en avant qui fait craindre une situation à venir catastrophique ".

( UNE VILLE SOUS LA VIGILANCE DE SES CREANCIERS

Il apparaît, en effet, que la marge d’autofinancement courant de la ville est particulièrement faible, quand elle n’est pas négative comme en 1990, 1991, 1994 et 1996. Dès lors, les investissements nouveaux ne peuvent être financés que par des ressources externes, emprunts ou subventions. Cette situation a conduit à placer la ville sous une sorte de tutelle financière : elle a, en effet, conclu avec ses bailleurs de fonds un accord aux termes duquel ils subordonnent leurs prêts, dont le montant est plafonné, au respect par la ville de certains ratios financiers, ratios qu’elle semble d’ailleurs avoir du mal à respecter.

( UN BUDGET GREVE PAR UN PERSONNEL PLETHORIQUE

Le budget de la ville est essentiellement un budget de fonctionnement, caractérisé de surcroît par une grande rigidité des charges147. En effet, les dépenses de personnel se sont accrues de 45% entre 1989 et 1996 ; elles représentaient en 1996 plus de 60% des dépenses de fonctionnement et sont supérieures aux recettes fiscales directes. Au 1er janvier 1998, le personnel de la ville comprenait, d’après le budget primitif, 1.115 titulaires et 259 non-titulaires, dont un certain nombre sont sans contrat (c’est le cas de 54 " agents de salubrité "). Pour les non-titulaires, la préfecture ne détient que 9 contrats pour les permanents et 20 contrats de saisonniers. Les autres contrats n’ont donc pas été déposés au titre du contrôle de légalité148. Parmi ceux-ci figure un nombre élevé d’agents du service de collecte des ordures ménagères, dont la régularisation se heurte à un obstacle juridique en raison de leur qualité d’étrangers non-communautaires.

Il n’est pas sûr, en outre, que l’utilisation de ce personnel pléthorique soit optimale. Jusqu’en 1995, il n’y avait pas d’organigramme, chaque service fonctionnant, en outre, de manière quasi autonome. Malgré l’importance des effectifs des services techniques, le montant des travaux exécutés en régie est particulièrement faible, seulement 2 millions de francs en 1997.

Il a été indiqué à la commission d’enquête que de nombreux emplois seraient fictifs, les intéressés ne résidant pas en Corse, n’exerçant aucune activité dans les services de la ville ou exerçant d’autres activités professionnelles (commerces divers, bars, pêche). L’administration a d’ailleurs demandé à la ville de lui soumettre les contrats d’un certain nombre d’emplois figurant au budget. De même, la ville a temporairement rémunéré sur la base d’un contrat qui n’a pas été soumis au contrôle de légalité, un administrateur civil apparemment appelé à exercer ensuite un rôle auprès du président d’une autre collectivité territoriale.

( UNE VILLE TRES ENDETTEE

La charge de la dette est très lourde. D’après l’état de la dette joint au budget primitif, l’encours s’élèverait à 462 millions de francs et la charge de celle-ci représenterait 80 millions de francs pour 1998, dont 30 au titre des intérêts. L’encours continue à augmenter car les dépenses réelles d’investissement apparaissent surfinancées afin de permettre le financement d’une partie de l’annuité en capital existante par des emprunts nouveaux et de générer de la trésorerie au profit de la ville et de ses budgets annexes, notamment le port de plaisance. Cette croissance du poids de la dette s’expliquerait également par les conditions défavorables, et semble-t-il parfois irrégulières, dans lesquelles la ville a repris des emprunts initialement souscrits par deux sociétés d’économie mixte défaillantes dont elle était actionnaire.

( DES OPERATIONS HASARDEUSES

L’opération d’aménagement du port de plaisance de l’Amirauté, consistant en l’agrandissement du port et en l’aménagement commercial des terre-pleins, s’est révélée particulièrement catastrophique. Confiée initialement à une société d’économie mixte, la CORSAM, pour un coût de 43 millions de francs, l’opération a finalement coûté près du double (80 millions de francs). Outre le fait que la ville ait dû reprendre la dette contractée par la CORSAM dans cette opération, il apparaît que la gestion courante est également problématique en raison du non-recouvrement des recettes auprès des plaisanciers et des occupants des locaux commerciaux. Il faut souligner que certains contrats d’amarrage n’existaient purement et simplement pas. La ville a négocié un accord avec les commerçants du port par lequel elle a renoncé à la moitié de ses créances ; il ne semble pas que cela ait suffit pour améliorer le recouvrement des sommes dues.

La gestion du stationnement dans la ville a été également à l’origine d’importantes difficultés. La ville a dû, là aussi, faire face à la défaillance de la CORSAM et reprendre la dette de cette société d’économie mixte. La gestion du stationnement a été, en 1995, déléguée à une nouvelle société dans des conditions douteuses. La procédure fait d’ailleurs l’objet d’une enquête judiciaire pour violation de la législation applicable. L’économie des conventions apparaît également très critiquable : les dépenses laissées à la charge de la ville, via le budget annexe subventionné par le budget principal, s’élève à 8,3 millions de francs (dont 5 d’annuités d’emprunt et 3,3 de rémunération du délégataire pour la gestion des horodateurs) ; en retour, la ville ne perçoit que 1,3 million de francs, le centre de profit se situant visiblement chez le délégataire.

( UN BUDGET POUR 1998 INSINCERE

Le budget primitif de la ville pour 1998 a été déféré par le préfet de Corse à la Chambre régionale des comptes. Dans son avis rendu le 18 juin dernier, celle-ci a d’abord relevé des inscriptions budgétaires entachant la sincérité des comptes.

En effet, la ville " sous-estimait délibérément le montant des crédits à inscrire (...) nécessaires au paiement des factures d’EDF ", l’insuffisance globale de mandatement s’élevant à 19 millions de francs au titre des exercices 1989 à 1995. Dès lors, EDF s’est livrée à une compensation entre d’une part, les sommes qu’elle réclamait en paiement de ses factures et, d’autre part, les sommes qu’elle devait à la ville au titre de la taxe locale d’équipement. Pourtant, ces recettes étaient inscrites pour la totalité de leur montant aux budgets de la commune. Dans ces conditions, " bien que l’opération en cause se trouve soldée en trésorerie, il n’en demeure pas moins que les résultats d’exécution des budgets en cause sont erronés " et " que les comptes administratifs auraient dû accuser un déficit d’exécution qu’il convient aujourd’hui de corriger par l’inscription en section de fonctionnement du budget principal 1998 d’une dépense d’un montant identique " (soit 17,5 millions de francs).

A l’issue de l’examen du budget, la Chambre chiffrait le déséquilibre de la section de fonctionnement à 12,4 millions de francs qu’elle proposait de répartir entre les charges à caractère général et les autres charges de gestion courante. Reconnaissant qu’" il appartiendra au conseil municipal de ventiler à l’intérieur de chacun des chapitres les diverses réductions de dépenses déterminées conformément à ses orientations budgétaires ", elle ne résistait pas à la tentation de souligner l’existence de marges de manœuvre en ce qui concerne les indemnités de fonction des élus (" portées au taux maximum " en 1995) ou des concours volontaires en faveur de certaines associations sportives. Enfin, pour rétablir l’équilibre du budget annexe du port de plaisance, puisque la Chambre a jugé illégale la subvention inscrite au budget de la ville en raison de l’absence de décision motivée du conseil municipal, elle suggérait une augmentation des tarifs du port.

A l’issue d’un conseil municipal particulièrement houleux149, la ville a décidé d’augmenter les impôts locaux, portant les taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties à 15,02 % (+28 %), de la taxe foncière sur les propriétés non bâties à 46,24% (+3 %), de la taxe professionnelle à 24,85% (+3 %) et de la taxe d’habitation à 22,72 % (+3 %). Parallèlement, le conseil décidait de suivre la suggestion de la Chambre régionale des comptes en supprimant toutes les indemnités versées aux élus, générant une économie de 2,7 millions de francs.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr