Dans le domaine de la géopolitique de l’offre des drogues, l’attention du monde entier s’est focalisée sur la Colombie depuis une dizaine d’années. Elle doit cette place dans les médias d’une part à l’importance qu’a effectivement pris dans ce pays le phénomène des drogues : activités de production et de transformation ; rôle joué par de puissantes mafias ; corruption du monde politique et financement de conflits armés sur son territoire ; d’autre part, au fait que les Etats-Unis sont la première cible des trafics en provenance de ce pays et que Washington utilise cette situation comme arme diplomatique pour des objectifs qui vont au-delà de la lutte contre les drogues.

Avec de 60 000 à 70 000 hectares de cultures illicites, la Colombie a ravi depuis deux ou trois ans la place de second producteur mondial de feuilles de coca à la Bolivie (le Pérou est le premier). Avec de 500 à 700 tonnes de cocaïne elle est le premier producteur mondial de cette drogue. Actuellement, le pavot est cultivé chaque année sur des superficies couvrant de 10 000 ha à 20 000 ha hectares (en fonction des campagnes d’éradication) ce qui fait de la Colombie le premier producteur latino-américain d’opium (et donc d’héroïne) devant le Mexique et le Guatemala. Enfin les cultures de cannabis, entrées en récession à la fin des années 1970, font un retour spectaculaire comme en témoignent en particulier de très importantes saisies, tant en Colombie qu’en Europe, en 1995 et 1996.

Avec la mort de Pablo Escobar, en décembre 1993, et l’arrestation ou la reddition de la plupart des leaders des cartels de Medellín et de Cali, les grandes organisations (à l’exception du cartel du nord du Valle) ont été remplacées par une quarantaine d’organisations de moyenne importance. Cela sans compter les entrepreneurs familiaux qui sont certainement de 2 000 à 3 000. Le poids économique des anciennes et nouvelles organisations criminelles est considérable : dans l’agriculture, et principalement dans l’élevage, on estime par exemple qu’elles possèdent 3,5 millions d’hectares de terres utiles dispersées sur 42 % des municipalités colombiennes. L’infiltration des narco-trafiquants au sein du monde politique, à tous les niveaux, a pris une telle ampleur depuis une dizaine d’années, qu’elle a provoqué une crise sans précédent dont le pays n’est pas sorti à la fin de l’année 1996. En outre, l’isolement idéologique des guérillas colombiennes sur le plan international, provoqué par l’effondrement des pays communistes du bloc de l’Est, ainsi que l’absence de toute perspective de prise de pouvoir en Colombie, ont fait que ces dernières sont entrées dans une logique de simple auto-reproduction et font appel de façon croissante aux ressources fournies par les drogues. Face à elles, les groupes paramilitaires d’extrême-droite, souvent appuyés par l’armée, collaborent étroitement avec les narco-trafiquants. Tous ces éléments font que les drogues jouent un rôle déterminant au sein des conflits dont la Colombie est le théâtre.

Le Dossier 8 000 : les enjeux d’une crise politique

Le Dossier 8 000 a été ouvert par le Parquet général, en août 1994, au lendemain de l’élection d’Ernesto Samper, candidat du Parti libéral à la présidence de la République. Le candidat du Parti conservateur battu, Andrés Pastrana, était entré en possession de l’enregistrement sur cassettes de conversations suggérant que les proches collaborateurs de Samper avaient eu des contacts directs avec le cartel de Cali dans le but de financer sa campagne électorale. Le tout nouveau président du Parquet général, le "Fiscal" Alfonso Valdivieso, qui a pris ses fonctions en août 1994, mène l’enquête sans compromission. L’impunité dont avait joui jusqu’alors la classe politique n’est plus de mise. Parallèlement, une autre enquête (qui paraît n’avoir d’abord qu’un rôle secondaire à l’ombre du dossier 8 000) est ouverte par le Conseil national électoral (CNE) dont le rôle est de déterminer si des capitaux mafieux se sont infiltrés dans la campagne du Parti libéral et du Parti conservateur, et s’ils ont amené les candidats à dépasser les plafonds de financement autorisés par la loi. Santiago Medina - trésorier de la campagne de Samper - et Alberto Giraldo - journaliste porte-parole du cartel de Cali qui a joué le rôle d’intermédiaire entre ce dernier et les chargés des finances de la campagne - sont mis en examen. Puis, le 15 août 1995, c’est le tour de Fernando Botero - ministre de la Défense et ex-chef de la campagne -, qui est détenu à l’Ecole de cavalerie de l’armée. Botero aurait reçu près de 8 millions de dollars du cartel de Cali dans le but de financer la campagne de Samper pour le second tour des élections. Selon un document envoyé par les Etats-Unis au Parquet général, la moyenne des dépôts mensuels sur ses comptes américains sont passés de 70 000 à 963 000 dollars durant la campagne. Botero constitue alors un parfait bouc émissaire pour Ernesto Samper qui, peu à peu, l’abandonne à son sort en déclarant qu’il n’était pas au courant de ces obscures transactions. Plus tard, il ira jusqu’à prétendre que l’argent versé par le cartel de Cali à Medina et Botero n’a servi qu’à l’enrichissement personnel de ces derniers. Le 22 janvier 1996, 8 mois après son arrestation, Fernando Botero se décide à parler : "Lors des réunions de la direction de la campagne à laquelle participaient Ernesto Samper ainsi que les ministres actuels de l’Intérieur, de la Communication et des Relations extérieures (Horacio Serpa, Juan Manuel Turbay et Rodrigo Pardo, respectivement), nous parlions avec une totale transparence des encaissements de l’argent du narcotrafic ainsi que de la manière de cacher et de contrôler cette réalité". Suite à ces nouvelles révélations, la Commission d’accusation du Parlement - seule habilitée à enquêter sur le Président - était saisie par le "Fiscal" afin qu’Ernesto Samper soit jugé. Mais le soupçon d’avoir bénéficié de l’argent de la drogue pèse sur les campagnes électorales de 11 des 15 membres de cette Commission. Début juin, elle blanchit une première fois le Président dont le sort dépend alors de l’assemblée plénière du Parlement où, non seulement le Parti libéral détient une large majorité, mais où de nombreux députés - dont 16 sont inculpés - auraient eux aussi eu recours à l’argent de la drogue à des fins électorales. Aussi, le 12 juin 1996, par 111 voix contre 44, le Parlement a ratifié l’innocence du Président Samper. Parallèlement, les trois ministres cités par Botero sont mis en examen par le Parquet. Inquiets des effets sur l’économie de ce scandale politique, les milieux d’affaires demandent la démission du Président, qui fait la sourde oreille. Puis, de manière surprenante, alors que le sort des trois ministres devait être fixé durant la semaine du 6 au 11 mai et que simultanément le CNE annonçait que la semaine suivante Samper et son ex-rival du Parti conservateur, Andrés Pastrana, allaient être officiellement accusés et très probablement sanctionnés pour avoir dépassé les plafonds des financements autorisés pour leur campagne respective, en moins de huit heures le Conseil d’Etat décrétait que la loi sur laquelle se fondait l’accusation était suspendue. Par conséquent, les charges du Parquet contre les trois ministres sont annulées ainsi qu’une importante partie des accusations contre Samper. Selon les déclarations faite à l’OGD par une source proche du Conseil d’Etat, la mafia aurait payé les magistrats afin qu’ils prennent cette résolution. Les prix seraient de 450 000 francs pour le magistrat qui propose la résolution et 200 000 francs pour ceux qui la votent. Le CNE a décidé de maintenir sa mise en accusation. Mais il n’existe plus aucun recours légal pour accuser le Président Samper. Valdivieso a qualifié la situation de "déconcertante et affligeante" en dénonçant une fois de plus les obstacles mis à la bonne marche de la justice. Il semble donc que la corruption d’une grande partie de l’appareil judiciaire et de la classe politique, ajoutée au pouvoir financier de la mafia, tendent à maintenir Ernesto Samper au pouvoir.

Samper, carte des Etats-Unis malgré lui ?

Personne ne doute que l’auteur de l’enregistrement des narco-cassettes à l’origine du scandale ne soit la CIA ou la DEA. Un certain nombre d’indices donnent à penser que la divulgation des narco-cassettes a pu être l’initiative personnelle de l’ex-chef de poste de la DEA en Colombie, Joseph Toft. D’ailleurs, durant l’année 1994 et une partie de l’année 1995, l’administration Clinton a laissé les choses suivre leur cours sans chercher à jeter de l’huile sur le feu. Mais la campagne électorale américaine, et en particulier l’attitude très agressive de certains secteurs conservateurs dont le leader est le républicain Jesse Helms, a amené le gouvernement à durcir sa position, en particulier en "décertifiant" la Colombie au mois de mars 1996.

A la suite de l’absolution donnée par le Parlement à Samper, Washington a menacé la Colombie de sanctions commerciales et annulé, le 11 juillet, le visa du président ainsi que celui de plusieurs hommes politiques colombiens en annonçant que la liste pourrait éventuellement s’allonger. Au même moment, l’administration Clinton a présenté une liste de sept points dont la prise en compte par le gouvernement colombien pourrait permettre l’abandon de la "décertification" et le rétablissement de relations normales entre les deux pays. Simultanément, les Etats-Unis ont accordé une aide de 13 millions de dollars à la police antidrogues pour l’encourager à se conformer à une des sept exigences, celle d’éradiquer 18 000 ha de cocaïers et 4 000 ha de pavot.

Le président Ernesto Samper, acculé par les pressions américaines et dont le pouvoir traverse une crise de légitimité sur le plan interne, a alors mis en œuvre une stratégie tous azimuts pour se maintenir en place. Au lieu de démissionner, comme on aurait pu s’y attendre, il s’est efforcé de satisfaire un certain nombre d’exigences de Washington tout en recherchant un appui du côté des pays de l’Union européenne, en particulier de la France. Sur le plan interne, il a dû accorder des faveurs à l’armée pour sa neutralité durant la crise, favorisant ainsi une militarisation du pays qui n’est pas désapprouvée par l’administration Clinton dans la mesure où elle y voit le seul moyen d’obtenir des résultats contre le narcotrafic. Pour manifester sa bonne volonté, le gouvernement colombien a satisfait à certaines des exigences américaines : il a préparé plusieurs projets de loi, dont l’un vise l’augmentation des peines frappant les trafiquants et les blanchisseurs, projet approuvé par le Sénat et la Chambre des députés fin décembre 1996. Un autre projet, voté le 9 décembre 1996, prévoit la saisie de leurs biens avec effet rétroactif à partir de 1991. Mais il ne s’est pas attaqué à la corruption et, à la fin du premier trimestre 1997, n’avait pas accepté d’extrader les leaders du cartel de Cali, les frères Rodríguez Orejuela. Le président Samper a affirmé que l’extradition de nationaux était anticonstitutionnelle. Cependant, un groupe de sénateurs en désaccord avec sa position, a présenté un projet au Congrès visant à la rétablir, mais avec des restrictions qui en limitent l’efficacité.

Intensification de la lutte contre la guérilla et les cocaleros

Le domaine dans lequel le gouvernement s’est le plus profondément engagé, c’est la répression des cultures illicites, en particulier dans les cinq départements de l’Amazonie qui avaient été déclarés, le 13 mai 1996, Zones spéciales d’ordre public (ZEOP) placées sous le contrôle des militaires. S’attaquer aux cultivateurs de cocaïers, qui constituent le maillon faible du narcotrafic est en effet le moyen le plus facile d’obtenir des résultats spectaculaires qui ont un large écho sur le plan international. Cela permet aussi de faire d’une pierre deux coups en portant atteinte à la principale source de financement de la guérilla communiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), très implantée dans ces régions. Le gouvernement Clinton ayant prévenu que le matériel que les Etats-Unis avaient fourni pour lutter contre la drogue ne pouvait pas être détourné contre la guérilla, le président Samper a invité, le 9 juillet, tous les ambassadeurs des pays de l’Union européenne pour envisager de développer avec eux la coopération dans le domaine de la lutte antidrogues, tandis que les chefs de l’armée tentaient de convaincre ces diplomates que les FARC sont incontestablement un cartel de plus et donc un objectif légitime de cette lutte.

En ce qui concerne les nouveaux avantages accordés à l’armée, outre la création des ZEOP qui lui donnent le contrôle sur un tiers du territoire national, le gouvernement a présenté au Congrès un projet de loi pour prélever "un impôt de guerre" s’élevant à près de 600 millions de dollars. Ce projet a été voté courant décembre. Le 7 août il avait en outre rendu public un projet de réforme constitutionnelle qui confierait au seul pouvoir exécutif la possibilité d’instituer et de contrôler l’état de "commotion intérieure", sans limite de durée, et rendrait à l’armée le pouvoir d’enquête judiciaire qu’elle détenait il y a 15 ans. Profitant de ce contexte favorable, les militaires essaient même, sans succès jusqu’ici, de rétablir les tribunaux militaires qui avaient la possibilité de juger des civils. Cela confirme que les forces armées sont, avec certains secteurs économiques et la majorité parlementaire, l’un des trois piliers sur lesquels s’appuie Samper pour se maintenir au pouvoir. L’accord de coopération technique conclu avec la France et prévoyant un crédit international de 200 millions de dollars pour permettre à la Colombie d’acheter des armes dans le cadre de la lutte contre la drogue, ne peut qu’apporter de l’eau au moulin de la militarisation. Les initiatives dans les domaines politique et militaire ont par ailleurs renforcé le pouvoir de deux éminences grises du président Samper : Horacio Serpa, le ministre de l’Intérieur (impliqué dans le scandale du financement de la campagne de 1994) et Harold Bedoya, chef de l’armée de terre - promu chef des armées en novembre 1996 - qui dirige les opérations militaires contre les guérillas et les cultivateurs de cocaïers. Alors que le président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat américain, Jesse Helms, a demandé l’annulation du visa d’entrée aux Etats-Unis d’Horacio Serpa, Harold Bedoya reçoit un appui sans restriction de la CIA.

Le contrôle du territoire par les paramilitaires

Tandis que toute l’attention se porte sur les régions tenues par les FARC, les groupes paramilitaires étendent leur influence dans tout le pays avec la complicité de l’administration et en bénéficiant des ressources financières des narco-trafiquants et d’appuis logistiques de la part de nombreux officiers de l’armée. Ce processus est dénoncé régulièrement par les organisations des Droits de l’homme.

Ce que l’on appelle en Colombie le "paramilitarisme" s’organise de façon très structurée, principalement autour de deux familles : celle des Castaño d’une part, celle des deux frères Carranza d’autre part. Les Castaño, dont aujourd’hui Carlos est le leader de l’Autodéfense de Córdoba et d’Urabá (ACCU), ont été les alliés conjoncturels du cartel de Cali à l’intérieur du groupe des "Persécutés par Pablo Escobar (PEPES)" qui fut l’auteur véritable de la défaite et de la mort de ce dernier. Ils contrôlent la partie de la région d’Urabá qui s’étend sur les départements du Choco et d’Antioquia, depuis la frontière du Panama jusqu’à leurs limites maritimes sur les Caraïbes et le Pacifique. Elle inclut également les départements de Córdoba, de Sucre et une partie de celui du César. Aujourd’hui, avec l’assentiment des trafiquants de Medellín rescapés du conflit qui les a opposés à Pablo Escobar, les Castaño dirigent les plus importantes bandes criminelles et l’industrie de l’enlèvement contre rançon dans cette ville. Quant aux Carranza, propriétaires de gisements d’émeraude et éleveurs de bétail, leur pouvoir s’exerce sur le Meta, le Vichada, le Boyacá, la région du Magdalena Medio dans le département de Santander, et dans le sud des départements de Bolívar et de Sucre. Ces deux groupes n’ont qu’un seul objectif en commun : la lutte contre les FARC. En s’appuyant sur ce qui apparaît davantage comme une armée privée, les Carranza protègent avant tout leur empire minier et agraire tout en gardant une façade de légalité leur permettant d’exercer un monopole sur le commerce des émeraudes. Cependant, la conjonction de ces deux fronts forme une ceinture de contrôle politique et administrative qui va de la région amazonienne (à la frontière du Venezuela et du Brésil) jusqu’à la côte atlantique et pacifique. C’est une zone traditionnelle de contrebande de drogues et d’armes, dans laquelle existe le projet de construction d’un canal interocéanique qui devrait remplacer celui de Panama. En outre, cette ceinture stratégique a permis aux Castaño et aux Carranza, notamment au moyen d’assassinats et de massacres, de s’emparer de 3 à 3,5 millions d’hectares, selon les estimations des spécialistes, soit un tiers des meilleures terres agricoles du pays, phénomène qui a été qualifié de "contre-réforme agraire".

Pour le front des frères Castaño, cette expansion ne répond pas seulement à un objectif de contrôle économique et militaire, mais à un projet politique anti-insurrectionnel d’extrême droite. Ils sont soutenus par des secteurs politiques colombiens et, jusqu’ici, sont apparemment ignorés par les autorités américaines. Il semble en effet que, si dans les ZEOP, la priorité des Etats-Unis est la lutte contre la drogue, dans l’Urabá, du fait des enjeux économiques, elle est en faveur du projet contre-insurrectionnel. L’Urabá est une zone d’exploitation pétrolière où agissent compagnies américaines et anglaises et qui recèle d’importantes réserves de gaz. On peut observer que l’évolution de la carte de l’implantation des groupes paramilitaires, pourtant très liés à la drogue, depuis plusieurs années tend à coïncider avec celle de mises en production de puits, dans cette région comme dans le reste de la Colombie. Par exemple, la British Petroleum (BP) a été accusée, en octobre 1996, de financer des "escadrons de la mort" avec l’appui de l’armée à qui elle payait 1,5 dollars par baril en échange de la protection des ses exploitations. Selon Ian Stewart, porte parole de la BP, l’armée aurait ainsi perçu 5,4 millions de dollars à titre "d’impôt de guerre" au cours des trois dernières années.

L’alliance d’un nouveau cartel et des paramilitaires

Le cartel de Cali avait misé, en 1994, sur le candidat libéral à la présidence, Ernesto Samper, en appuyant financièrement sa campagne. Cela impliquait une alliance tacite du courant du parti qu’il dirigeait avec cette organisation criminelle, supposant en particulier que ses chefs bénéficient (à la suite d’arrestations "arrangées") d’importantes remises de peine accordées à ceux qui acceptent de collaborer avec la justice. Mais, deux ans plus tard, ces accords, quel qu’ait été leur contenu, n’ont plus guère d’utilité ni pour les uns ni pour les autres, dans la mesure où une nouvelle et puissante coalition exerce désormais un contrôle de fait sur la moitié du pays : celle du cartel du nord du Valle (département dont Cali est la capitale) et du groupe paramilitaire ACCU dirigé par Carlos Castaño. Le nouveau "parrain des parrains" colombien, Orlando Henao, un ex-policier, secondé par son frère Arcángel, à la tête d’une redoutable armée de tueurs, a déclaré une guerre sans merci aux frères Rodríguez Orejuela. Pour les punir de ce qu’il considère comme une trahison et pour les dissuader d’une possible négociation avec les Etats-Unis en dévoilant les filières de son organisation, Orlando Henao a déclenché une vague de représailles. Ainsi William, le fils aîné de Miguel Rodríguez Orejuela, a été grièvement blessé en avril 1996 lors d’un attentat qui a coûté la vie à six de ses amis et gardes du corps. Alarmé par le déclenchement de ces hostilités, Miguel Rodríguez a envoyé de sa prison une lettre publique au président Samper dans laquelle il exige de lui sécurité et protection pour les membres de sa famille. Tandis que le cartel de Cali, ou ce qu’il en reste, est aux abois, celui du nord du Valle s’approprie ses routes et ses marchés. Cette prise de pouvoir a été grandement facilitée par l’alliance d’Henao avec le groupe paramilitaire et narco d’extrême droite dirigé par Carlos Castaño, l’ACCU. La présence militaire de ce dernier qui s’étendait déjà sur tout le nord-ouest de la Colombie s’est élargie, grâce à cet accord, à l’ensemble du littoral pacifique, de la frontière de Panama à celle de l’Equateur. Par conséquent, les routes d’exportation de cocaïne, d’héroïne et de marijuana partant du Pacifique (voie maritime), des Caraïbes (avec une tendance affirmée de transit maritime et aérien par Cuba) et de l’Equateur (voie maritime et aérienne) à destination des Etats-Unis et de l’Europe, rencontrent de moins en moins d’obstacles. Les armes parviennent aux paramilitaires et aux narcos par les mêmes voies (avec une forte augmentation de ce type de contrebande provenant d’Equateur), mais dans l’autre sens.

Le gouvernement Samper a toléré les activités des paramilitaires de Carlos Castaño et des tueurs du cartel du nord du Valle dans la mesure où, avec l’appui de l’armée, ils affrontaient les guérillas et d’une façon générale toutes les manifestations d’opposition de gauche : syndicats, secteurs progressistes de l’Eglise, etc. Mais la situation se complique car des secteurs d’extrême droite du parti libéral, opposés au courant sampériste, sont localement liés aux paramilitaires, et ils envisagent de présenter leur propre candidat aux élections présidentielles de 1998. Cela explique qu’après des années de quasi-mutisme face au paramilitarisme, le gouvernement vient d’offrir une récompense d’un million de dollars pour la capture de Carlos Castaño, sans pour autant lui donner une diffusion dans les médias comme c’est l’habitude en Colombie. Il s’agit là d’une manœuvre politique visant à saper le potentiel de ce courant du Parti libéral opposé au gouvernement et de dégager ainsi le chemin vers la présidence du candidat du libéralisme officiel, Horacio Serpa.