Sa frontière commune avec le Mexique fait du Guatemala un lieu privilégié pour les productions et surtout le transit des drogues : marijuana et opium (destinés aux laboratoires mexicains) et transit de la cocaïne colombienne. La DEA estime qu’en 1995, 70 tonnes de cocaïne destinées aux Etats-Unis ont transité par le Guatemala grâce à l’existence de 400 pistes clandestines. Le nouveau gouvernement présidé par Alvaro Arzú, mis en place en janvier 1996, s’est attelé à la restructuration de l’armée en procédant au limogeage d’officiers compromis dans la répression massive des populations indiennes. Cette volonté politique de changement, s’appuyant sur les secteurs de l’armée favorables aux accords de paix avec la guérilla, a abouti à la signature de ces derniers, le 29 décembre 1996. L’effort du gouvernement a parallèlement concerné la corruption et le narcotrafic. La reconnaissance officielle de l’existence d’une mafia militaire, liée au trafic de drogues, le limogeage d’officiers supérieurs et les démissions de hauts fonctionnaires sont, dans ce domaine, les faits qui ont marqué la fin d’année 1996.

La lutte contre la corruption

L’arrestation, le 14 septembre 1996, d’Alfredo Moreno Molina, accusé d’activités de contrebande, de fraude douanière et fiscale ainsi que de corruption active, a révélé au grand jour ce que tout le monde murmurait : l’existence d’une mafia issue de la lutte anti-insurrectionnelle qui a étendu ses activités à la contrebande, au vol de voitures, aux enlèvements et au trafic de drogues. Ont été mis en cause des militaires de haut rang et des entrepreneurs du secteur privé. Alfredo Moreno a commencé à travailler pour les renseignements militaires dans le cadre de la lutte anti-insurrectionnelle. Sa mission était de contrôler les trafics d’armes destinés à la guérilla. Cette structure parallèle, créée sous le régime du Général Romeo Lucas García (1978 à 1982), a mis à profit son rôle dans la lutte contre la guérilla pour établir ses propres réseaux de contrebande et intégrer le trafic de drogues. Ce dernier lui a permis de consolider son pouvoir et de disposer d’une certaine autonomie financière - permettant l’achat de juges par exemple - dans le cadre de ses activités anti-subversives. Mais ces réseaux ont aussi été très rapidement utilisés à des fins d’enrichissement personnel. Le gouvernement Arzú est le premier gouvernement civil qui s’attaque directement à cette mafia politico-militaire.

Des dénonciations avaient déjà eu lieu mais elles correspondaient aux dissensions au sein de l’armée guatémaltèque, entre les secteurs dits "durs" et la frange engagée dans le processus de paix avec la guérilla, qui se réglaient à coups de dénonciations pour narcotrafic. En 1995, un déserteur amnistié accusait un général, membre de la délégation gouvernementale à la table des négociations avec l’Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG), d’appartenir à un groupe de trafiquants de cocaïne composé de civils et de militaires en retraite. Bien qu’elles n’aient pas été accompagnées de preuve, ces dénonciations ne faisaient que remettre à l’ordre du jour les liens de l’armée avec le narcotrafic. Dans la semaine qui a suivi l’arrestation de Moreno, le général Ortega Manaldo, César Augusto García, vice-ministre de la Défense, et sept officiers de haut rang ont été démis de leurs fonctions. En novembre, le vice-minitre de l’Intérieur a lui aussi été remercié. Ils n’ont pas été emprisonnés mais ils ne peuvent quitter le pays tant que l’enquête n’est pas terminée. Jusqu’à présent, aucune charge concernant le trafic de drogues n’a été retenue, les militaires n’étant soupçonnés que de contrebande. Touefois, les liens entre contrebandiers et narcos ont été publiquement évoqués par les autorités. D’après la nouvelle loi sur les narcoactivités, le ministère de la Défense nationale interviendra en collaboration avec le ministère de l’Intérieur pour mettre en œuvre les politiques en matière de prévention et de lutte contre le trafic de drogues.

Productions et trafics

En janvier 1997, 34 000 plants de cannabis étaient saisis dans le département de Petén ainsi que des plants de pavot, dont le nombre n’a pas été précisé, dans le département de San Marcos. Si ces deux départements et celui de Huehuetenango restent les principales zones de production de plantes illicites, différents observateurs mentionnent également la région montagneuse de Sierra de la Minas, à l’est du pays, comme zone de production de cannabis. La Sierra de Minas est une zone en principe protégée mais il existe, comme dans le Petén, sur une échelle moindre toutefois, une exploitation clandestine de bois précieux aux mains d’autorités militaires qui avaient accaparé des terres. Dans le Petén, les espaces laissés libres par la déforestation sont ensuite plantés en cannabis. La frontière est d’autant plus perméable au trafic de bois et de drogues que les trafiquants guatémaltèques bénéficient de la complicité des autorités politiques et militaires mexicaines, impliquées elles-mêmes dans ces activités.

Les petits producteurs sont les principales cibles des opérations d’éradication dont les résultats apparaissent dans les statistiques officielles. Ces programmes d’éradication, menés en collaboration avec la DEA, étaient basés sur des opérations d’aspersion de défoliants. Or, face à leurs conséquences néfastes sur l’environnement et sur les cultures vivrières - dans le cas de cultures associées -, les services de répression sont passés à des opérations d’éradication manuelles, accompagnées de campagnes de prévention auprès des agriculteurs. Une partie de la production de marijuana approvisionne le marché local, mais les quantités les plus importantes franchissent la frontière mexicaine en utilisant les routes et les voies d’eau. Durant l’été 1996, un chargement de 17 tonnes a été saisi dans le Petén, près de la frontière du Mexique. Les trafiquants utilisent les routes, mais aussi les cours d’eau pour passer dans le pays voisin.

Au début des années 1990, le trafic aérien de cocaïne, mettant à profit les pistes d’atterrissage clandestines mais aussi les pistes des grands propriétaires terriens - un atterrissage est payé 50 000 dollars - disséminées dans tout le pays, était très actif. L’installation de radars et l’effort fait pour localiser les pistes d’atterrissage, ont amené une partie importante des trafics de cocaïne à emprunter la voie maritime sur la côte atlantique. Lieu de passage, le Guatemala paraît en passe de devenir, comme d’autres pays de la région, un lieu de stockage et de conditionnement, comme l’a suggéré par exemple la découverte, le 16 novembre 1996, de 338 kilogrammes de cocaïne dans un hangar de l’aéroport de La Aurora à Ciudad de Guatemala. La cocaïne était répartie dans des valises dissimulées parmi des produits d’artisanat et des vêtements destinés à Miami. La voie aérienne commence à être utilisée pour le transit d’héroïne colombienne en petite quantité. Les premières saisies de cette drogue ont été réalisées, pour la plupart à l’aéroport, en 1996 (7,26 kg au total pour des saisies ne dépassant jamais un kilo). Les routes terrestres restent très difficiles à surveiller d’autant plus que les douanes n’interviennent pas dans le domaine de la lutte contre les drogues. Cette dernière est à la charge de deux organismes : le Département d’opérations antinarcotiques du ministère des Finances (DOAN) et la Garde nationale qui dispose d’un service spécialisé dans la lutte antidrogues. Ce dernier organisme s’intéresse plus spécifiqement à la consommation et au trafic de rue.

Les autorités ont constaté d’importantes importations d’éphédrine sans qu’il y ait de réelles justifications pour de telles entrées malgré l’installation de nombreux laboratoires pharmaceutiques dans ce petit pays. Déjà, en 1995, l’Organe de contrôle international des stupéfiants (OICS) s’étonnait auprès de la vice-présidence guatémaltèque de l’importation d’éphédrine correspondant à vingt fois la consommation annuelle légale du Mexique. Après enquête, une secrétaire du ministère de la Santé publique a été accusée d’avoir falsifié des licences autorisant l’importation de 350 kg de précurseurs et des mandats d’arrêt ont été émis, en novembre 1995, à l’encontre de quatre employés de laboratoires pharmaceutiques pour exportation illicite du produit au Mexique. Mais tout semblait indiquer que la filière bénéficiait de complicités au sein de la hiérarchie de cette administration.

La consommation : de la marijuana au crack

Si la marijuana reste le produit le plus courant, la cocaïne est, depuis quelques années, très facile à trouver auprès de vendeurs de rue. Pour certains observateurs, elle pourrait même concurrencer le "joint" dans un proche avenir. En effet, d’abord apanage des classes aisées, sa consommation s’est étendue aux milieux marginaux, en particulier celui de la prostitution, au sein desquels sont recrutés les vendeurs. Les causes de cette percée tiennent au fait qu’à partir de la fin des années 1980, les trafiquants colombiens ont payé en nature les intermédiaires guatemaltèques travaillant pour eux. Pour se rembourser, ces derniers revendent la cocaïne sur le marché local.

A Ciudad de Guatemala, les différents quartiers à l’origine de la distribution dans la rue ont pu être identifiés : zone 5, secteur la Limonada ; aux alentours du Stade Mateo Flores et dans la zone 3 secteur El Gallito où la cocaïne est vendue dans des sacs plastiques fermés par un ruban dont les couleurs sont empruntées à celles des ceintures en usage dans les arts martiaux, qui indique la qualité du produit. La cocaïne est vendue par des jeunes qui attendent les acheteurs sur les trottoirs. Les lieux de vente les plus discrets, mais où le produit est plus cher, sont les discothèques de la "zona viva" de Ciudad de Guatemala, quartier des grands hôtels, des bars et restaurants huppés de la ville.

Liés à la distribution de drogues, des phénomènes de bandes organisées se sont développés depuis une dizaine d’année. Dans le secteur de El Gallito, la distribution de rue est aux mains d’un gang que l’hebdomdaire Crónicas a surnommé La mafia de El Gallito. Elle apparaît en 1989, sous le leadership de Leonel Marroqu’n, dit El Coyote, ancien passeur de main-d’oeuvre illégale aux Etats-Unis. A sa mort en 1995, la relève est prise par Omar Reyes, connu comme Marín. Les revendeurs sont des jeunes, souvent des enfants des rues qui, en échange de leur travail, reçoivent protection et salaire. La Guardia de Hacienda estime à 2 kg par jour la quantité de cocaïne vendue dans ce quartier. El Coyote, par une politique redistributive d’"action sociale", s’était attaché la protection de la population du voisinage parallèlement à celle de policiers. Si Marín n’a pas poursuivi la politique sociale de son prédécesseur, il a en revanche maintenu les contacts avec la police. Plusieurs opérations de répression ont fait chou blanc à la suite de fuites. La présence de crack a été remarquée pour la première fois en 1996 par des ONG s’occupant des enfants des rues connus jusque là pour inhaler des vapeurs de colle, d’où leur nom de huele pega. Ce produit n’est apparu dans les statisques des forces de répression qu’en 1994 et en 1996.

Le blanchiment de l’argent

Les autorités reconnaissent elles-mêmes que le Guatemala, deuxième pays d’Amérique centrale (après le Panama), pour le nombre de banques offre, du fait des politiques neolibérales mises en place et de l’absence d’une législation spécifique, des conditions extrêmement favorables au blanchiment de l’argent des drogues. Le gouvernement a d’ailleurs en projet la création d’une Division d’investigations pour lutter contre ce phénomène.

Un des secteurs économiques le plus touché a d’abord été la construction et l’immobilier. On a observé, au début des années 1990, que les prix des bâtiments et celui des matériaux de construction, toujours payés au comptant, ont flambé. De même, Ciudad de Guatemala a vu fleurir une profusion de centres commerciaux. Si, pour certains de ces investissements, l’origine des fonds est connue, d’autres font l’objet d’enquêtes de la part des autorités. Autre phénomène identifié : les "banques de second étage" (bancos de segundo piso) qui sont apparues il y a deux ou trois ans. Il s’agissait de filiales de banques des îles Caïmans qui se proposaient comme intermédiaires pour déposer de l’argent dans les banques-mères. Elles offraient des taux d’intérêt très élevés (20 %) par rapport à ceux proprosés par les autres banques (8 %). Ces banques ne faisaient l’objet d’aucun contrôle de la part de la Superintendance des banques. Tous ces phénomènes, ayant été l’objet de l’attention des autorités, semblent aujourd’hui en régression ou du moins beaucoup plus discrets.