Les limites de l’action de l’OUA

Dans un premier temps, c’est l’OUA, et non l’ONU, qui a été impliquée dans le règlement de la crise rwandaise. Une telle répartition des rôles n’est pas en soi surprenante. La Charte des Nations Unies prévoit en effet la possibilité de recourir aux organismes régionaux et M. Boutros Boutros-Ghali était traditionnellement partisan que les problèmes régionaux soient traités en premier lieu par les organisations internationales régionales.

L’OUA a ainsi décidé le 12 juillet 1992, nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer, la création d’un Groupe d’observateurs militaires neutres (GOMN), composé de 50 personnes, pour surveiller la zone tampon entre la partie du Rwanda contrôlée par le FPR à la suite de son attaque du 1er octobre 1990, et le reste du pays. La création du GOMN a constitué une précaution inutile et n’a pas empêché le FPR d’attaquer la zone tampon le 8 février 1993. La direction des affaires africaines du ministère des Affaires étrangères français estimait encore en mai 1993 que le GOMN n’était toujours pas en mesure d’accomplir sa tâche correctement. La communauté internationale a espéré remédier à l’inefficacité de ce groupement en augmentant ses effectifs à 132 personnes en août 1993.

Lorsque l’ONU intervient pour la première fois sur le dossier rwandais le 12 mars 1993, elle reconnaît et met en avant le rôle de l’OUA, et les efforts que cette organisation a déployés pour promouvoir une solution politique négociée mettant fin au conflit du Rwanda. La résolution 812, votée ce même jour, invite ainsi le Secrétaire général de l’ONU à étudier " la possibilité d’établir une force internationale sous les auspices de l’OUA et des Nations Unies, chargée entre autres de l’assistance humanitaire et de la protection de la population civile et du soutien à la force de l’OUA pour le contrôle du cessez-le-feu ". Elle invite également le Secrétaire général à " examiner la demande du Rwanda et de l’Ouganda pour le déploiement d’observateurs à la frontière entre ces deux pays " Elle demande explicitement au Secrétaire général " de coordonner étroitement ses efforts avec ceux de l’OUA ".

Cette résolution traduit assez fidèlement le sentiment des membres occidentaux du Conseil de sécurité selon lequel c’est à l’OUA qu’il revient de jouer un rôle central, l’ONU ne devant avoir qu’une fonction de simple " conseiller technique ".

M. Herman Cohen a confirmé devant la Mission que lorsqu’il était aux affaires, c’est à dire d’avril 1989 à avril 1993, les Etats-Unis " encourageaient à l’époque les efforts de l’OUA qui leur semblait devoir être privilégié par rapport à l’ONU ".

Mais de fait l’OUA n’a joué aucun rôle concret sur le terrain. Comme M. Mtango, Secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères et de la coopération tanzanien, l’a dit au rapporteur M. Pierre Brana : " l’OUA a fait de son mieux, mais elle n’a jamais eu les moyens de sa politique ".

Les premières implications de l’ONU

Le vote à l’unanimité de la résolution 846 du 22 juin 1993 représente un pas de plus dans l’implication des Nations Unies dans la crise rwandaise, mais cet engagement est toujours marqué de la part du Conseil de sécurité par une certaine circonspection.

Prenant note " des demandes formulées - le 22 février 1993 - par les Gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda concernant le déploiement d’observateurs le long de leur frontière commune ", la résolution 846 crée " la Mission d’observation des Nations Unies Ouganda-Rwanda (MONUOR) qui sera déployée du côté ougandais de la frontière " afin de vérifier qu’aucune assistance militaire ne provient au FPR de la part de l’Ouganda. La MONUOR, dont l’effectif s’élève à 81 personnes, n’est pas déployée du côté rwandais en raison du refus du FPR qui contrôle ce côté de la frontière. Avant le vote de cette résolution, le FPR a lancé une mise en garde contre les effets négatifs que pourrait avoir le déploiement de ces observateurs sur les discussions en cours à Arusha. Les Etats-Unis ont de leur côté, bien qu’ils aient finalement donné leur feu vert, fait preuve, selon les dépêches diplomatiques d’une attitude obstinée et tatillonne contestant l’utilisation de chaque hélicoptère et de chaque observateur.

Selon M. Bruno Delaye, " les observateurs de la MONUOR, faute de moyens d’observation qui ne lui seront jamais envoyés, notamment des hélicoptères et des jumelles infrarouges, se révéleront totalement inopérants ". Ce jugement est également celui de M. Jean-Bernard Mérimée selon lequel " la MONUOR n’a jamais été une force d’observation efficace ". Dans les faits, la MONUOR ne commence à se déployer qu’à partir du 18 août 1993 et n’atteint son effectif prévu que le 30 septembre.

L’ONU est poussée à s’engager encore davantage par la France, qui a décidé de se désengager militairement du Rwanda. M. Bruno Delaye a indiqué que le Président François Mitterrand avait explicitement confirmé cette position de passer le relais au plus vite aux Nations Unies, au conseil restreint du 3 mars 1993. M. Jean-Pierre Lafon a indiqué de son côté que " la France avait entrepris la première, à New York, début mars 1993, les démarches nécessaires pour impliquer l’organisation des Nations-Unies dans la recherche d’un règlement du conflit " et que " des instructions de la direction des Nations Unies du Quai d’Orsay ont été envoyées à notre Ambassadeur à l’ONU à cet effet ". La lecture des dépêches diplomatiques montre effectivement que l’ambassade de France déploie à partir de cette date une intense activité diplomatique allant dans ce sens.

Les Etats voisins du Rwanda, à savoir la République Unie de Tanzanie, l’Ouganda, le Zaïre et le Kenya souhaitent également que les Nations Unies prennent leur part du fardeau consistant à rétablir la paix au Rwanda.

La principale réticence vient des Etats-Unis qui, M. Herman Cohen l’a rappelé devant la Mission, " après l’épisode somalien, (...) étaient devenus allergiques à toute intervention militaire de l’ONU dans les pays sous-développés ". Il a rappelé également que les Etats-Unis avaient un gros arriéré envers les Nations Unies, et que pour cette raison, ils ne voulaient pas autoriser des opérations qui augmenteraient leur dette. Par ailleurs le Président Clinton, dans une intervention devant l’Assemblée générale des Nations Unies avait déclaré que les Nations Unies devaient apprendre à dire " non " aux opérations de maintien de la paix qui apparaîtraient irréalisables. Il avait fixé un certain nombre de critères précis à l’assentiment futur des Etats-Unis.

Mais les accords d’Arusha font de l’engagement des Nations Unies sur le terrain une condition sine qua non de l’application du processus de paix.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr