« Les Kurdes provoquent un moment de vérité pour la Turquie et les Etats-Unis »
Kurds Pose a Moment of Truth for Turkey, U.S.
Los Angeles Times (États-Unis)
[AUTEUR] Graham E. Fuller est un ancien vice-président du National Intelligence Council de la CIA (1986-88). Spécialiste du Proche-Orient et l’Asie du Sud, il écrit dans de nombreuses revues comme le Monde diplomatique ou le Middle East Quaterly de Daniel Pipes. Analyste à la Rand Corporation, il vient de publier The Future of Political Islam.
[RESUME] Les États-Unis vont bientôt devoir choisir entre leurs alliés. D’un côté, la Turquie est une démocratie qui continue à voir l’Irak comme une part de son empire, de l’autre, les Kurdes irakiens revendiquent leur droit à l’autodétermination.
La Turquie comprend 20 % de Kurdes. Les groupes nationalistes et les services de sécurité estiment qu’un État kurde indépendant entraînerait la partition de leur pays. La Turquie a conduit une politique d’assimilation brutale et une longue répression, à partir de 1984. Elle estime que l’indépendance du Kurdistan irakien est une menace. En outre, Elle se souvient de la façon dont les Occidentaux ont utilisé les ethnies pour combattre l’empire ottoman et elle craint que Washington utilise les Kurdes pour la punir de son absence de soutien contre l’Irak.
Les Kurdes de Turquie n’attendent pourtant qu’une reconnaissance de leur culture et de leurs droits. C’est seulement l’incapacité des Turcs à accepter cette revendication qui les rend vulnérables. Ankara doit accepter les nouvelles réalités de la région et Washington va devoir tenter de son côté de gérer au mieux l’avenir de l’Irak sans savoir encore s’il restera un pays unifié.
« Une vision stratégique partagée »
A Shared Strategic Vision
Washington Post (États-Unis)
[AUTEUR] Recep Tayyip Erdogan est Premier ministre de Turquie.
[RESUME] La guerre en Irak n’a pas entamé le partenariat stratégique entre la Turquie et les États-Unis. Tout deux ont un rôle à jouer dans la région face au terrorisme comme pour répondre à la crise humanitaire et surtout pour la stabilisation politique et économique sur le long terme.
Les États-Unis et la Turquie sont restés si longtemps des partenaires stratégiques parce qu’ils sont parvenus à transcender leurs différences dans l’adversité. En 1991, nous avons soutenu la libération du Koweït contre nos intérêts et en provoquant une crise économique dans notre pays. Par la suite, nous avons soutenu le désarmement de l’Irak en partenariat avec l’ONU, même si les sanctions nous coûtaient. Nous avons aussi laissé les bases sur notre sol être utilisées pour maintenir les zones d’exclusions aériennes. Nos deux pays collaborent également dans la guerre au terrorisme, dans les Balkans, en Afghanistan et en Asie centrale.
Ces actions ont été menées au nom de nos valeurs démocratiques communes et c’est justement par respect pour la démocratie que nous avons suivi l’opinion des 94 % de Turcs opposés à la guerre, même si nous avons laissé traverser notre espace aérien. Nous avons toutefois assuré notre rôle d’acteur régional dans le conflit en sécurisant notre frontière, en préparant une assistance humanitaire et en encourageant le maintien de l’intégrité territoriale irakienne.
« Faire la paix et des profits en Irak »
Making Peace and Profits in Iraq
The New York Times (États-Unis)
[AUTEUR] Zachary Karabell est vice-président de Fred Alger Management, et auteur de Parting the Desert : The Creation of the Suez Canal.
[RESUME] La reconstruction de l’Irak attire des compagnies privées et suscite une controverse. Toutefois, si l’on peut discuter des méthodes d’attribution des contrats, le débat ne doit pas porter sur l’importance ni sur la nécessité des entreprises privées dans la reconstruction de l’Irak.
En effet, les entreprises privées peuvent être une force constructive en Irak car elles ont souvent poussé à la coopération régionale quand les États, eux, se faisaient la guerre. Le symbole régional des grandes possibilités qu’offre le partenariat entre les entreprises privées et les gouvernements est le canal de Suez, dont la construction a nécessité l’équivalent de centaines de milliards de dollars actuels et a dû faire face au scepticisme, voire à l’hostilité, du reste du monde. Aujourd’hui la reconstruction de l’Irak doit s’inspirer de cette collaboration. Il y aura certes des tensions entre le nouveau gouvernement irakien et les entreprises ; car ils n’auront pas toujours les mêmes objectifs, mais c’est ainsi que les buts à long terme de reconstruction seront atteints.
« Les vrais bons Samaritains »
The True Good Samaritans
The New York Times (États-Unis)
[AUTEUR] Robert Pyne est professeur de théologie au Dallas Theological Seminary.
[RESUME] Depuis que l’évangéliste chrétien Franklin Graham a annoncé que son association Samaritan’s Purse était en place en Irak et prête à apporter une aide humanitaire, une polémique s’est développée. C’est pourquoi M. Graham devrait aller là-bas et prouver au monde arabe qu’il est là pour aider et pas pour entreprendre une croisade.
On lui reproche d’être le « pasteur du président » et d’avoir célébré l’office du Vendredi saint au Pentagone. Beaucoup de musulmans se souviennent de ses propos présentant l’Islam comme une « religion maléfique ». Ces éléments donnent l’impression que l’Église et l’État sont liés aux États-Unis et cette confusion est aussi fausse que dommageable.
M. Graham doit prouver par ses actes qu’il n’est pas un croisé et pour cela son organisation et les autres groupes chrétiens doivent travailler avec les organisations d’autres pays et d’autres religions pour assurer l’aide humanitaire aux Irakiens.
« La place de la Syrie dans l’agenda états-unien »
Syria’s place in the U.S. agenda
Baltimore Sun (États-Unis)
[AUTEUR] Shibley Telhami est professeur à l’Université du Maryland. Il est membre du Saban Center for Middle East Policy de la Brookings Institution et l’auteur de The Stakes : America and the Middle East.
[RESUME] La probabilité d’une guerre entre les États-Unis et la Syrie est très faible, cependant cette éventualité effraie quand même le Proche-Orient et le reste du monde. Pourtant, même si ceux qui souhaitent que la puissance militaire américaine permette d’atteindre tous les objectifs de l’Amérique sont influents en ce moment et que la Syrie a une attitude qui déplaît à Washington, ce n’est pas suffisant pour déclarer une guerre. L’avenir des relations avec Damas sera déterminant dans la position de Washington dans la région et sur le processus de paix israélo-arabe.
Les relations entre Washington et Damas ont été aussi complexes que les relations entre Bagdad et Damas. Bien que la Syrie et l’Irak soient tous les deux dirigés par le parti Ba’as, la Syrie avait choisi le parti de l’Iran durant la guerre Iran-Irak dans les années 80 et avait soutenu l’offensive conduite par les États-Unis pour libérer le Koweït. Cette dernière participation à la coalition de l’ONU avait rapproché Damas et Washington et permis la conférence de Madrid, en 1991. Les négociations avec Israël firent alors oublier la présence des troupes syriennes au Liban et son soutien au Hezbollah. L’échec des négociations avec Israël, à la fin des années 90, a relancé les tensions avec les États-Unis. La mort d’Hafez El-Assad avait soulevé un espoir dans ce domaine, mais Bashar El-Assad a été obligé de s’appuyer sur la vieille garde pour rester au pouvoir et n’est pas aussi habile que son père.
Après le 11 septembre, la Syrie a dénoncé le terrorisme et Al Qaïda et a fourni des renseignements aux États-Unis mais, ces derniers mois, la Maison Blanche a cessé de se focaliser sur Ben Laden pour concentrer son attention sur le Proche-Orient. La visite de Colin Powell en Syrie peut permettre de mettre un terme au soutien de Damas au Jihad islamique, mais la Syrie continuera de soutenir le Hezbollah, vu comme un mouvement de guérilla et comme un moyen de pression pour tenter de récupérer le Golan. Concernant les armes de destruction massive, Damas, comme beaucoup d’États arabes n’abandonnera pas ses armes tant qu’Israël détiendra des armes nucléaires.
En fait, l’avenir des relations avec la Syrie dépendra des intentions des États-Unis : utiliser la victoire en Irak pour reconstruire ce pays et relancer le processus de paix au Proche-Orient ou l’utiliser comme un premier pas dans le remodelage de la région.
« Rendez-nous notre démocratie »
Give us back our democracy
The Observer (Royaume-Uni)
[AUTEUR] Edward Saïd est un essayiste palestinien et professeur à l’Université de Columbia à New-York (Son site).
[RESUME] Le 19 mars, Robert C. Byrd, le sénateur démocrate de Virginie occidentale, s’est interrogé devant ses collègues sur ce qui est arrivé à son pays qui désormais s’oppose à ses amis, abandonne la diplomatie malgré les demandes en ces sens de l’opinion publique mondiale et préfére suivre une approche militaire doctrinaire et radicale. La réponse est : la démocratie aux États-Unis a échoué, voire a été corrompue.
Depuis son arrivée au pouvoir, George W. Bush a donné un blanc-seing à Ariel Sharon, qui a encore intensifié sa politique après le 11 septembre. En octobre 2001, Bush a envahi l’Afghanistan en menant des bombardements aveugles, ce qui peut s’apparenter à du terrorisme, puis n’a fait aucun effort pour reconstruire le pays et le sortir de sa situation abjecte. Depuis août 2002, Bush a conduit une campagne de propagande contre l’Irak et est parvenu à faire disparaître toute voix dissonante des médias. Ces derniers ne laissent plus la parole qu’à des membres de think tanks d’extrême droite. Les opposants à la guerre ont été présentés comme des « ennemis » et menacés ou diffamés par les médias. On accusa le régime de Saddam Hussein de tous les crimes connus et on passa sous silence les aides des États-Unis et de l’Europe pour qu’il reste au pouvoir ou la visite de Donald Rumsfeld à Bagdad en 1983 pour assurer le dictateur du soutien de Washington. La conséquence de la guerre a été la destruction de toutes les infrastructures modernes de l’Irak, le pillage de son patrimoine culturel et la confiscation de son pétrole et de son destin.
La démocratie états-unienne a été manipulée et détournée par un groupe non élu, lié aux grandes compagnies et à Israël. Contrairement à ce qui avait été annoncé, on n’a trouvé aucune arme de destruction massive et il n’y a pas eu de Stalingrad. Je ne serais pas surpris d’apprendre que Saddam a disparu grâce à une négociation avec Moscou qui l’a accueilli, lui et sa famille, en échange d’un abandon de la défense de Bagdad. Le 6 avril, un convoi russe était bombardé, le 7 Condoleezza Rice était à Moscou et le 9, Bagdad était pris sans la résistance que les États-Unis ont connu dans le Sud.
Nos principes constitutionnels ont été bafoués et on a menti à l’électorat. C’est à nous qu’on doit rendre la démocratie.
« Les médias doivent observer l’ "intérêt national" »
Media must scrutinize `national interest’
Asahi Shimbun (Japon)
[AUTEUR] Hiroshi Fujita est professeur de théorie des médias et de politique américaine à la Sophia University. Il est ancien correspondant à Saigon, puis à Washington, pour Kyodo News. Il a été responsable des pages éditoriales de l’Asahi Shimbun jusqu’en 1995.
[RESUME] Les médias sont censés remplir trois fonctions : donner une information objective permettant à chacun de se faire sa propre opinion, être un espace de débat où toutes les opinions sont représentées, garder un œil sur le gouvernement et les autorités. Partant de ce constat, on peut établir que les médias japonais ont failli dans leur tâche lors du traitement de la crise nord-coréenne.
En effet, ils ont tous tenu le même discours et ils se sont focalisés sur la question des personnes kidnappées par la Corée du Nord. La ligne « pas de négociations ou de liens avec Pyongyang tant que la question des enlèvements n’a pas été réglée » est défendue par tous et paralyse le débat. Cette posture journalistique est d’autant plus grave que la question coréenne est d’un intérêt vital pour notre pays et qu’elle ne doit pas être traitée de manière uniquement émotionnelle.
Cette approche rappelle le traitement du 11 septembre par les médias états-uniens qui ont ensuite déroulé le tapis rouge à la politique belliqueuse de George W. Bush. Les médias ne peuvent pas, certes, ignorer les intérêts de leur nation ou communauté, mais ils ont le devoir de s’interroger sur la notion d’intérêt national et de ne pas automatiquement suivre la définition qu’en font leurs gouvernants. Les médias doivent revenir aux bases du journalisme.
« Les militaires de la télévision " enrôlés " »
TV’s Military ’Embeds’
Washington Post (États-Unis)
[AUTEUR] Colman McCarthy est ancien éditorialiste du Washington Post. Il dirige le Center for Teaching Peace
[RESUME] Je partage les réserves de Donald Rumsfeld et de son état-major concernant la présence de militaires retraités à la télévision pour livrer leurs analyses, mais ce n’est pas, pour ma part, parce qu’ils ont critiqué la stratégie employée.
En effet, ces experts donnaient au public une analyse qui n’était ni impartiale, ni équilibrée. Tous défendaient des idées telles que : la guerre est rationnelle, les bombardements sont un bon moyen de gagner la paix, il s’agit d’une guerre de libération. Les voix dissonantes n’eurent pas le droit de s’exprimer et l’information fut à sens unique, hormis sur C-SPAN qui donna la parole aux opposants et aux partisans de la guerre. Personne n’avait le droit de dire que ce que faisaient George W. Bush, Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Colin Powell et Wolfowitz était criminel ou que les dépenses de guerre étaient prises sur les fonds sociaux. Le fait que beaucoup de ces militaires retraités travaillent également pour des compagnies d’armement n’a jamais non plus été soulevé alors que le conflit d’intérêt était évident.
George W. Bush avait prévenu le monde : on ne pouvait être qu’avec ou contre nous. Les médias ont répondu « avec » et ils se sont soumis à une autocensure qui montre leur manque d’indépendance d’esprit.
« Comment CNN a caché la vérité sur Saddam et trahi le monde »
How CNN hid the truth about Saddam and betrayed the world
The Age (Australie)
[AUTEUR] Tim Rutten est le rédacteur de la rubrique média du Los Angeles Times.
[RESUME] Contrairement à 1991, la guerre en Irak a grandement affaibli la réputation de CNN et nous fait nous interroger sur ses valeurs.
Eason Jordan, le responsable de l’information sur la chaîne a admis dans le New York Times qu’il a caché des informations concernant les tortures qu’a subi un de ses employés en Irak pour ne pas mettre davantage en danger sa vie et celle de sa famille. De même, Jordan n’a pas fait part d’une conversation qu’il a eu avec Uday Hussein, le fils de Saddam , durant laquelle ce dernier lui affirmait que l’Irak allait bientôt tenter d’assassiner Hussein de Jordanie et les deux gendres de Saddam qui avait fait défection. Jordan a prévenu le souverain hachémite, mais les deux gendres n’ont pas été avertis et ils ont été exécutés à leur retour à Bagdad. Jordan a affirmé n’avoir rien diffusé pour ne pas mettre en danger la vie des deux interprètes de la conversation. Jordan aurait ainsi caché de nombreuses informations pour protéger ses sources et ses correspondants.
C’est une explication plausible et qui est légitime, mais on peut penser qu’il y en a une autre. Jordan a sans doute caché ces informations pour pouvoir maintenir un bureau à Bagdad et ainsi disposer de l’exclusivité des images. Il a caché des informations pour ne pas être chassé d’Irak et il a donc cédé aux menaces de Saddam Hussein.
« Il est temps de dissoudre le Quartet »
It’s time to abolish the Quartet
Ha’aretz (Israël)
[AUTEUR] Martin Peretz est président et rédacteur en chef de The New Republic.
[RESUME] Le Quartet diplomatique est une création de l’avant-guerre, cette époque où les États-Unis essayaient de faire accepter leur intervention en Irak à l’Union Européenne, à la Russie et à l’ONU. Mais il n’a plus lieu d’être. Israël doit pouvoir choisir ses interlocuteurs par lui-même. S’il peut faire confiance aux États-Unis, il doit se méfier de l’UE, de la Russie et de l’ONU, qui soutiennent tous les groupes palestiniens, y compris les terroristes.
Certes, Abu Mazen préfèrera avoir Javier Solana devant lui, mais il ne faudrait pas lui laisser le choix. Israël sera plus accomodant s’il se trouve en présence de Condoleezza Rice, Donald Rumsfeld, Dick Cheney ou Wolfowitz qu’avec Kofi Annan ou Dominique de Villepin. On peut envisager la présence de Tony Blair, mais Jack Straw n’est pas le bienvenu, pas plus que Javier Solana, Joschka Fisher et Dominique de Villepin, trop proches d’Arafat.
Israël doit exiger la disparition du Quartet dont trois des membres lui sont opposés quel que soit le parti au pouvoir à Tel-Aviv. Il ne faut pas oublier en effet, qu’en plus de l’UE, la Russie est l’endroit où ses ennemis vont faire leurs emplettes militaires et que si Kofi Annan n’est pas Kurt Waldheim, il n’est pas un ami d’Israël, ni même un homme neutre.
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