« La condition arabe »

The Arab Condition
Dar Al Hayat (Royaume-Uni)
Version française

[AUTEUR] Edward Saïd est un essayiste palestinien et professeur à l’Université de Columbia à New-York (Son site).

[RESUME] Beaucoup d’Arabes, bien que n’aimant pas le régime de Saddam Hussein, estiment que la guerre illégale des Anglo-américains contre le peuple et la civilisation de l’Irak est une catastrophe et une grave menace pour le monde arabe dans son ensemble.
La politique américano-israélienne au Proche-Orient est fondée sur l’hostilité envers le nationalisme arabe, doctrine qui considère que les Arabophones forment une nation unique, et non une collection d’États, qui doit s’affranchir de la tutelle étrangère. La politique américaine a pour but au contraire de fractionner le monde arabe en de petits États faibles économiquement et militairement. Beaucoup d’erreurs ont été commises par le nationalisme arabe et je ne suis pas favorable à une intégration totale, mais il faut développer la coopération entre États arabes pour faire face aux deux principes de la politique états-unienne au Proche-Orient : défendre Israël et disposer d’un libre accès au pétrole arabe.
Ces objectifs sont à l’encontre des aspirations des Arabes, mais les pays de la région n’ont jamais été capables de s’unir contre la politique impériale de Washington et ont préféré pactiser à leur niveau avec l’agresseur et s’affronter entre eux. Le résultat est une nation arabe affaiblie et démoralisée, incapable de faire face aux desseins états-uniens. Aujourd’hui, Abu Mazen est obligé d’accueillir Colin Powell, alors qu’il est évident que la « feuille de route » a pour but d’entraîner une guerre civile entre Palestiniens, et l’Irak va se voir imposer un système colonial.
La seule chance pour les Arabes de faire face au plan états-unien, totalement assumé et déclaré, de destruction définitive de l’unité arabe est de s’unir en s’ouvrant aux autres pays et en mettant fin au fossé qui existe entre les dirigeants arabes et leurs citoyens, en démocratisant le monde arabe. Nous ne devons pas laisser les actes de résistance aux extrémistes et aux kamikazes désespérés.

« La démocratie n’est pas la priorité »

Democracy Is a Long Shot
Moscow Times (Russie)

[AUTEUR] Boris Kagarlitsky est directeur de l’Institute of Globalization Studies.

[RESUME] George W. Bush a promis la démocratie en Irak. Comme il n’a pas réussi à trouver d’armes de destruction massive, il est obligé de présenter au moins des semblants de progrès dans le domaine de la démocratisation sous peine de devoir en subir les conséquences lors des prochaines élections. C’est pourquoi, les États-Unis se dépêchent d’installer un gouvernement en Irak plutôt que de rétablir les services indispensables aux Irakiens. Ce choix ne correspond vraisemblablement pas aux espérances des Irakiens, mais ce n’est pas à eux que Bush rend des comptes.
Malheureusement pour lui, les Irakiens sont incapables de s’entendre sur la formation d’un gouvernement car chaque communauté craint que les autres aient trop de pouvoir. En fait, cela serait vraiment un problème s’il était nécessaire que le gouvernement fonctionne, mais du moment qu’il existe, le reste est secondaire. La démocratie n’est pas non plus souhaitable pour les États-Unis car des élections libres verraient la victoire d’une faction qui leur est opposée. Si un groupe l’emportait, les autres ne le supporteraient pas. En effet, l’Irak n’a pas terminé son unification nationale et ne tenait rassemblé que sous la poigne de fer de Saddam Hussein.
Sur ce point, l’action de la coalition anglo-américaine peut avoir un effet positif puisqu’elle peut unifier l’Irak en suscitant une opposition unanime à son occupation.

« Un Formidable bloc musulman est en train d’émerger »

A Formidable Muslim Bloc Emerges
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] William O. Beeman est professeur d’anthropologie et dirige les études Moyen-Orientales à la Brown University. Il est l’auteur de deux livres à paraître : Double Demons : Cultural Impediments to U.S.-Iranian Understanding et Iraq : State in Search of a Nation.

[RESUME] La guerre en Irak a produit une conséquence inattendue : la constitution d’un bloc géographique chiite qui s’étend de la Méditerranée au Golfe Persique et qui va dominer la vie politique du Proche-Orient pendant de nombreuses années. Ce bloc a été constitué par la chute de Saddam Hussein en Irak.
Les chiites sont une force transnationale qui échappe au raisonnement états-unien, encore centré sur la notion d’État. Les fidèles chiites suivent leurs dirigeants qui sont bien organisés et qui fournissent une aide humanitaire qui fait défaut à la force d’occupation états-unienne. Il y a 112 millions de chiites sur un milliard et demi de musulmans. Contrairement aux Sunnites, ils ne suivent pas une école d’interprétation, mais un guide spirituel, bien souvent un ayatollah, dont ils appliquent les recommandations. Les religieux chiites sont donc très influents potentiellement, mais ils considèrent pour la plupart qu’abuser de cette autorité est un blasphème.
Cette influence individuelle des Ayatollahs est régulée par l’Hawza, un conseil des Ayatollahs qui en Irak se trouve à Najaf, la ville saint chiite. Ce conseil est dominé actuellement par l’ayatollah Sistani, mais il est parcouru par des rivalités internes. Les États-Unis s’inquiètent de la montée en puissance des chiites et craignent une alliance avec Téhéran. C’est une grossière erreur d’interprétation car les chiites irakiens ne partagent pas l’idéologie développée par Khomeiny. Toutefois, ils pourraient s’allier à l’Iran si, par crainte de cette alliance, les États-Unis les privaient de pouvoir.

« À l’intérieur du terrorisme »

Inside terrorism
Washington Times (États-Unis)

[AUTEUR] Joshua Sinai est analyste sur les questions de terrorisme à ANSER., un institut de recherche militaire états-unien proche de la Rand Corporation.

[RESUME] Dans son ouvrage No End to War, le prolifique auteur politique Walter Laqueur, titulaire de la chaire Kissinger sur les études sécuritaires du Center for Strategic and International Studies, dément l’idée répandue selon laquelle pour combattre le terrorisme, il faut s’attaquer à ses causes : la pauvreté, l’absence de perspective d’évolution sociale ou l’occupation étrangère. En réalité, tout comme les révolutions, le terrorisme apparaît non pas quand tout va mal, mais quand différents facteurs économiques, politiques et sociaux coïncident.
M. Laqueur explique également que le terrorisme est devenu une vraie menace depuis qu’il s’est mondialisé dans les années 90, en implantant des cellules en Occident dans les communautés musulmanes. Il n’analyse pas malheureusement l’utilisation d’Internet par ces groupes qui ont ainsi réussi à constituer un califat panislamique dans le cyberespace. Laqueur étudie également la culture de mort des terroristes qui se manifeste dans les attentats suicide, un concept difficile à saisir car totalement étranger à la culture occidentale. Toutefois Laqueur prétend que cette méthode ne permet pas de disposer de candidats en nombre illimité pour de telles missions alors que l’actualité semble démontrer le contraire. La radicalisation des extrémistes semble fournir de nombreux candidats.

« L’esprit des droits civils est toujours en vie »

Spirit of civil rights is very much alive
Gulf News (Dubaï)

[AUTEUR] James J. Zogby est président et fondateur de l’Arab American Institute, lobbyiste politique Démocrate et membre du Council on Foreign Relations. Il présente le programme de radio et de télévision « A Capital View » sur l’Arab Network of America qui est également retransmis au Proche-Orient. Il est éditorialiste hebdomadaire de Gulf News.

[RESUME] Il y a 40 ans, le 28 août 1963, 250 000 Américains manifestèrent pour leurs droits civils. À l’issue de cette marche, Martin Luther King délivra son fameux discours « I Have a Dream », un appel à l’égalité raciale et à la fin de toutes les discriminations issues de l’esclavage. Même si les lois de 1964 et 1965 mirent fin à la ségrégation légalement, le changement ne fut pas immédiat et les résistances à une égalité persistèrent et prirent de nouvelles formes. Il fut donc logique que le mouvement des droits civils se poursuive également et de grandes marches eurent encore lieu, en 1983 et 1993.
Ce n’est qu’à partir de 1983 que les Arabes américains ont participé à ce mouvement, non plus à titre individuel, mais de façon organisée. C’est à cette époque que j’ai pu prendre la parole à la tribune pour la première fois. En 1993, pour le trentième anniversaire de la marche, j’avais tenu un discours pour mettre en garde contre la montée du sentiment anti-immigré qui menaçait les Arabes et les autres nouveaux arrivants. Aujourd’hui, il existe de nouvelles menaces contre les immigrés arabes et musulmans de l’Asie du Sud et je suis fier d’être appelé à les dénoncer à nouveau lors de la prochaine marche.
Avec le fichage des Arabes et des musulmans et la crainte perpétuelle de crimes racistes et des discriminations, il est important pour le mouvement des droits civils de faire face à ces enjeux pour une véritable égalité aux États-Unis.

[CONTEXTE] L’American-Arab Anti-Discrimination Committee vient de publier un rapport sur les crimes racistes et les discriminations dont sont victimes les arabes états-uniens depuis le 11 septembre 2001.

« Dire non à l’Armée européenne, dire non à l’OTAN »

Say no to the European Army, say no to Nato
The Daily Telegraph (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Daniel Hannan est député européen conservateur britannique.

[RESUME] Notre adhésion à l’OTAN n’a plus d’utilité.
Cette conclusion ne m’enchante pas. J’ai été un chaud partisan de l’alliance dans les années 80, mais aujourd’hui la nature de l’OTAN a changé et elle n’a plus d’utilité. L’alliance avait comme objectif clair de défendre ses membres contre la menace soviétique, menace qui n’existe plus. Il existe certes de nouvelles menaces, des forces qui souhaitent la destruction de la civilisation chrétienne, mais contre ces nouvelles menaces, une structure qui a été conçue pour défendre l’Europe centrale contre les armées soviétiques n’est pas appropriée.
Après la Guerre froide, nous aurions dû repenser les intérêts stratégiques britanniques au lieu de garder l’OTAN comme pierre angulaire de notre sécurité sous la pression des bureaucrates. De même, nous n’avons pas été capables de changer de logique dans la conception de notre matériel et nous conservons une logique euro-centrée qui n’a plus lieu d’être. Nous avons certes toujours besoin d’alliance et de pacte de défense avec nos alliés, les démocraties européennes, mais plus de structures de commandement intégrées qui nous privent de notre liberté d’action.
Pour beaucoup de Britanniques, l’OTAN est la seule alternative à une armée européenne. Pourtant, les responsables de l’armée européenne et ceux de l’OTAN sont identiques. Les deux organisations ont la même orientation supranationale. Il est étrange que les eurosceptiques ne se rendent pas compte qu’une armée européenne doit être rejetée autant que l’OTAN car il s’agit de la même chose.