Al Gore

Merci Lisa pour cette chaleureuse et généreuse introduction. Merci Zack et merci à vous tous d’être présents aujourd’hui.
Je voudrais remercier l’American Constitution Society d’avoir co-sponsorisé cet événement, ainsi que pour leur considérable travail et leur engagement en défense de nos valeurs communes les plus fondamentales.
Je tiens à remercier particulièrement Moveon.org, non seulement d’avoir co-sponsorisé cet événement, mais aussi pour leur utilisation des technologies du XXIe siècle qui insufflent de la vie dans notre démocratie.

En ce qui me concerne, je ne suis qu’un « politique en convalescence », mais je crois sincèrement que chacun d’entre nous devrait se préoccuper de certains des problèmes les plus importants concernant l’avenir des États-Unis.
Parmi ces problèmes, le plus crucial est peut-être celui dont je vais parler aujourd’hui : le véritable rapport entre la liberté et la sécurité.
Il me semble donc logique que le point de départ de cette discussion soit un état des lieux concernant les libertés civiles et la sécurité depuis les lâches attaques du 11 septembre 2001 contre les États-Unis ; il est d’ailleurs important de préciser, dès le départ, que le gouvernement et le Congrès ont apporté de nombreuses et bénéfiques améliorations visant à rendre plus efficaces les efforts des services de maintien de l’ordre et de renseignement dans la lutte contre les terroristes potentiels.

« Pour la première fois dans notre histoire, des citoyens états-uniens ont été arrêtés par les forces de l’exécutif et placés en détention sans savoir de quel crime on les accusait ».

Néanmoins, de nombreux autres changements ont eu lieu ; ignorés par beaucoup, ils s’avèrent être de mauvaises surprises. Par exemple, pour la première fois dans notre histoire, des citoyens états-uniens ont été arrêtés par les forces de l’exécutif et placés en détention sans savoir de quel crime on les accusait, sans pouvoir bénéficier d’un procès, sans pouvoir consulter un avocat ni même contacter leur famille.

Le président Bush s’attribue le droit unilatéral de réserver ce sort à tout citoyen états-unien qu’il considère comme « combattant ennemi ». Voilà des mots magiques. Si le président lui-seul estime que ces deux mots décrivent quelqu’un avec justesse, alors cette personne peut être aussitôt enfermée et maintenue en isolement pour aussi longtemps que le souhaitera le président , sans qu’aucun tribunal n’ait le droit de déterminer si les faits justifient vraiment sa détention.

Maintenant, si le président commet une erreur ou si de fausses informations lui sont communiquées par l’un de ses subordonnés et qu’une personne innocente est emprisonnée, alors il est presque impossible pour cette personne de prouver son innocence, ne pouvant parler ni à un avocat, ni à sa famille ou quiconque, et n’ayant même pas le droit d’être informé précisément du crime dont elle est accusée. Ainsi, ce droit constitutionnel à la liberté et à la poursuite du bonheur, que nous avions traditionnellement l’habitude de considérer comme « inaliénable », peut maintenant être subitement refusé à tout États-unien par le président , sans aucun examen significatif de la part d’une quelconque autre branche du gouvernement.

Comment devons-nous réagir à cela ? Est-ce acceptable ?

Voici une autre changement récent dans nos libertés civiles : dorénavant, s’il le souhaite, le gouvernement fédéral est en droit de surveiller quels sites internet vous visitez, de tenir une liste de tous les individus avec qui vous échangez des courriels ou des appels téléphoniques, sans même avoir l’obligation de présenter les raisons probantes qui les amènent à considérer que vous avez fait quoi que ce soit de mal. Ils n’ont pas de comptes à rendre à un tribunal sur l’utilisation de ces informations. En outre, très peu d’obstacles les empêchent de pouvoir lire le contenu de tous vos courriels.

N’y a-t-il rien à redire à cela ?

« Au cours des 212 premières années de l’histoire des États-Unis, si les policiers voulaient fouiller votre domicile, ils devaient convaincre un juge indépendant de leur accorder un mandat de perquisition [...]. Tout cela a changé. Il y a deux ans, les agents fédéraux ont été légalement autorisés par le Patriot Act à "fouiller et filer" dans des affaires n’ayant pas de rapport avec le terrorisme. »

Dans ce cas, que pensez-vous de cet autre bouleversement ?

Au cours des 212 premières années de l’histoire des États-Unis, si les policiers voulaient fouiller votre domicile, ils devaient convaincre un juge indépendant de leur accorder un mandat de perquisition puis, sauf rares exceptions, devaient frapper à votre porte et crier « Ouvrez ! » Ensuite, si vous n’ouvriez pas rapidement, ils pouvaient enfoncer la porte. Dans l’éventualité où ils saisissaient quelque chose, ils devaient aussi déposer une liste détaillant ce qu’ils avaient pris. De cette manière, si une grave erreur était commise (comme c’est parfois le cas), vous aviez la possibilité d’aller récupérer vos biens.

Cependant tout cela a changé. Il y a deux ans, les agents fédéraux ont été légalement autorisés par le Patriot Act à « fouiller et filer » dans des affaires n’ayant pas de rapport avec le terrorisme. Ils peuvent pénétrer secrètement dans votre domicile sans avis préalable, que vous soyez présent ou non, et attendre des mois avant de vous informer de cette incursion. Il n’est pas nécessaire que cela ait un rapport quelconque avec le terrorisme. Cette disposition peut être appliquée pour n’importe quel délit anodin. La nouvelle loi facilite grandement le contournement de la nécessité d’obtention d’un mandat traditionnel, simplement en déclarant que la perquisition de votre domicile pourrait avoir un lien (même le plus ténu) avec une enquête sur un agent d’une puissance étrangère. Ils peuvent s’en référer à un autre tribunal, secret quant à lui, qui a plus ou moins l’obligation de leur délivrer un mandat s’ils le demandent.

« Le fait que le gouvernement écoute tout ce que vous dites à votre avocat n’a-t-il pas d’importance ? Cela ne pose-t-il décidément pas de problème ? »

Il y a de cela trois semaines, lors d’un discours au quartier général du FBI, le président Bush est allé encore plus loin, en proposant formellement qu’il soit accordé au secrétaire à la Justice le droit d’autoriser des citations en justice sur ordre administratif, sans l’impératif d’un mandat émanant d’un quelconque tribunal.

Qu’en est-il du droit à consulter un avocat si l’on est arrêté ? N’est-ce pas là quelque chose d’important ?

Le secrétaire à la Justice Ashcroft a défini de son propre chef des règlements autorisant l’écoute secrète de conversations entre avocats et clients, contournant les procédures d’obtention préalable d’un accord judiciaire pour de telles écoutes, comme c’était le cas dans les rares circonstances qui le permettaient par le passé. Dorénavant, quiconque se trouve en détention doit considérer que le gouvernement écoute en permanence les entretiens avec ses avocats.

Le fait que le gouvernement écoute tout ce que vous dites à votre avocat n’a-t-il pas d’importance ? Cela ne pose-t-il décidément pas de problème ?

« Le FBI peut demander les fichiers des banques, collèges, hôtels, hôpitaux, sociétés de cartes de crédit et beaucoup d’autres types d’établissements. »

Ou encore, pour prendre un autre exemple de réforme qui, grâce aux bibliothécaires, est plus connue du public, le FBI est maintenant en droit de se rendre dans n’importe quelle bibliothèque et de demander la liste de tous les usagers de celle-ci, ainsi qu’une liste de tous les ouvrages lus par ces usagers. De même, le FBI peut demander les fichiers des banques, collèges, hôtels, hôpitaux, sociétés de cartes de crédit et beaucoup d’autres types d’établissements. Du reste, ces réformes ne sont qu’un commencement. Pas plus tard que la semaine dernière, le secrétaire à la Justice Ashcroft a établi de toutes nouvelles directives permettant aux agents du FBI d’effectuer des contrôles de crédit et d’historique bancaires, ainsi que de rassembler d’autres renseignements sur toute personne présentant un « intérêt dans le cadre d’une enquête », c’est-à-dire considérée comme suspecte par l’agent, sans preuve d’agissements criminels.

Cela ne dérange-t-il donc personne ?

Écoutez le traitement réservé à une question similaire par la plus haute cour de justice israélienne quand, en 1999, on lui demanda de statuer des droits de procédure appropriés pour les terribles menaces pesant sur la sécurité de son peuple :

« Il s’agit du destin de la démocratie, car pour elle tous les moyens ne sont pas acceptables et toutes les méthodes employées par ses ennemis ne lui sont pas permises. Bien qu’une démocratie doive souvent se battre avec une main entravée dans le dos, il lui reste néanmoins une main libre. Préserver l’autorité de la loi et la reconnaissance des libertés individuelles constitue une part essentielle de son approche de la sécurité. Au final elle s’en trouve renforcée. »

Je tiens à remettre en cause l’hypothèse du gouvernement Bush selon laquelle nous devons renoncer à bon nombre de nos libertés traditionnelles afin d’être à l’abri des terroristes.

Pour la simple raison que cela est faux.

En fait, selon moi, considérer qu’un tel un assaut contre nos libertés civiles est le meilleur moyen pour lutter contre les terroristes n’a pas plus de sens que de lancer une invasion de l’Irak comme meilleur moyen pour attraper Oussama Ben Laden.

« [Le gouvernement] a fait un usage sans précédent du secret et de la tromperie afin d’éviter de devoir rendre des comptes au Congrès, aux tribunaux, à la presse et au peuple. »

Dans les deux cas, le gouvernement s’en est pris à la mauvaise cible.

Dans les deux cas, il a, de manière irréfléchie, mis notre pays dans une grave et inutile situation de danger, tout en évitant et en négligeant des défis autrement plus importants qui s’imposent et qui, au contraire, aideraient à protéger le pays.

Dans les deux cas, le gouvernement a entretenu de fausses impressions et trompé la nation en s’appuyant sur une présentation des faits superficielle, émotionnelle et manipulatrice qui n’est pas digne de la démocratie états-unienne.

Dans les deux cas, il a exploité des peurs collectives à des fins politiquement partisanes et s’est posé en courageux défenseur de notre pays alors qu’en vérité, faute de rendre les États-Unis plus forts, il les a affaiblis.

Dans les deux cas, il a fait un usage sans précédent du secret et de la tromperie afin d’éviter de devoir rendre des comptes au Congrès, aux tribunaux, à la presse et au peuple.

En effet, ce gouvernement a mis tête-bêche la présomption fondamentale de notre démocratie. Un gouvernement par et pour le peuple est censé être de manière générale ouvert au regard scrutateur et collectif du peuple, de même que l’information privée du peuple lui-même devrait être protégée en permanence de l’intrusion du gouvernement.

Mais au lieu de cela, ce gouvernement cherche à mener ses activités dans le secret, alors même qu’il exige un accès étendu et sans restrictions aux informations personnelles concernant les citoyens états-uniens. Sous prétexte de protéger la sécurité nationale, il a obtenu de nouveaux pouvoirs lui permettant de rassembler des renseignements sur les citoyens et les garder secrets. Pourtant, il refuse lui-même simultanément de dévoiler des informations qui présentent un grand intérêt dans le cadre de la guerre au terrorisme.

Il va jusqu’à refuser avec arrogance de fournir à la commission chargée de l’enquête sur le 11 septembre 2001 des renseignements qui sont en sa possession. Cette commission est le groupe d’enquête officiel chargé d’examiner non seulement les actions du gouvernement Bush, mais aussi les actions du gouvernement précédent, dans lequel j’avais des responsabilités. Son objectif est de nous en apprendre un maximum sur la façon de prévenir de futures attaques terroristes.

Il y a deux jours, la commission a dû assigner le Pentagone en justice, celui-ci ayant maladroitement préféré privilégier le désir du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld de ne pas être mis dans l’embarras, aux dépends du besoin de la nation d’apprendre comment nous pouvons parer au mieux à de futures attaques terroristes. La commission a aussi émis un avis selon lequel elle assignera la Maison-Blanche en justice si le président persiste à garder pour elle des informations essentielles au déroulement de l’enquête.

La Maison-Blanche refuse également de répondre à des requêtes bipartisanes du Congrès au sujet d’informations sur le 11 septembre 2001, alors que ce dernier ne fait qu’exercer son mandat constitutionnel de supervision. Comme l’a noté le sénateur Main : « Un maintien excessif du secret de la part de l’administration sur des sujets se rapportant aux attaques du 11 septembre 2001 alimente les théories du complot et nuit à la confiance du publique vis-à-vis du gouvernement. »

« Visiblement, le président a le souci de cacher au Congrès ce qui a été qualifié de mises en garde claires, appuyées et explicites lui ayant été communiquées quelques semaines avant le 11 septembre 2001, selon lesquelles des terroristes projetaient de détourner des avions civils et de les utiliser pour nous attaquer. »

Dans un geste révélateur, il y a tout juste trois jours, la Maison-Blanche a demandé à la majorité républicaine du Sénat de clore les investigations du comité d’enquête sur le 11 septembre 2001 sur la base de querelles politiques triviales. Visiblement, le président a le souci de cacher au Congrès ce qui a été qualifié de mises en garde claires, appuyées et explicites lui ayant été communiquées quelques semaines avant le 11 septembre 2001, selon lesquelles des terroristes projetaient de détourner des avions civils et de les utiliser pour nous attaquer.

Chose surprenante, la majorité républicaine du Sénat a promptement obéi à la demande du président. Une telle obéissance et une telle complicité, revêtant toute l’apparence d’une dissimulation de la part du parti au pouvoir, dans une branche séparée et censée avoir un rôle égal au sein du gouvernement, évoque un lointain passé, lorsqu’un secrétaire à la Justice républicain et son secrétaire avaient démissionné plutôt que de se plier à l’injonction qui leur était formulée, à savoir d’écarter le procureur spécial chargé de l’enquête sur Richard Nixon.

« Plus de deux ans après avoir raflé la bagatelle de 1 200 individus d’origine arabe, ils refusent toujours de communiquer les noms des personnes détenues »

Dans un geste encore plus éhonté, plus de deux ans après avoir raflé la bagatelle de 1 200 individus d’origine arabe, ils refusent toujours de communiquer les noms des personnes détenues, quand bien même pratiquement tous ceux qui furent arrêtés ont été depuis écartés de tout soupçon de terrorisme par le FBI et qu’absolument rien ne justifie, en termes de sécurité nationale, le fait de garder leur nom secret. Pourtant, parallèlement, les responsables de la Maison-Blanche eux-mêmes ont, en violation patente de la loi, divulgué le nom d’un agent de la CIA servant le pays, dans le but d’atteindre son mari qui les avait offusqués en dévoilant le recours du président à de fausses preuves lors de son discours sur l’état de l’Union, dont l’objectif était notamment de convaincre le pays que Saddam Hussein était sur le point de fabriquer des armes nucléaires.

Tout en revendiquant le droit de consulter l’historique bancaire de chaque États-unien, ils sont en train d’adopter une nouvelle politique, dans le cadre du Freedom of Information Act, qui encourage activement les agences fédérales à envisager tout motif potentiel de non-divulgation d’informations, sans parler des cas où cela porterait atteinte à un tiers. En d’autres termes, dorénavant le gouvernement fédéral cherchera par tous les moyens à éviter de donner suite à toute demande d’informations.

Ils ont en outre mis en place une nouvelle exemption, qui leur permet de refuser de divulguer à la presse et au public des informations relatives à la santé, la sûreté et l’environnement soumises au gouvernement par les entreprises. Il suffit pour cela qu’ils décrètent qu’il s’agit d’information « vitales pour la sécurité de l’infrastructure ».

En cachant soigneusement des informations sur leurs propres agissements, ils mettent à mal un élément fondamental de notre système de contrôle mutuel et d’équilibre des pouvoirs, car tant que les faits et gestes du gouvernement sont gardés secrets, il ne peut leur être demandé de comptes. Un gouvernement pour et par le peuple doit être transparent aux yeux du peuple.

Ce gouvernement justifie la collecte de toutes ces informations en affirmant que, de fait, cela contribue à notre sécurité. Pourtant, il ne s’agit pas du genre d’informations qui auraient été d’une grande utilité pour prévenir les événements du 11 septembre 2001. En revanche une somme importante d’informations spécifiques étaient en leur possession avant ces événements et auraient probablement pu être utilisées afin d’éviter la tragédie. Une analyse récente de la fondation Merkle (qui s’appuie sur des données émanant d’une société de logiciels ayant bénéficié de capitaux provenant d’une firme liée à la CIA) démontre cela de manière surprenante :

« 
 Fin Août 2001, Nawaq Alhamzi et Khalid Al-Michar ont acheté des places sur le vol American Airlines 77 (qui fut précipité sur le Pentagone). Ils ont utilisé leurs véritables identités pour acheter ces billets. Tous deux figuraient sur une liste de surveillance du département d’État nommée TIPOFF. Tous deux étaient de plus recherchés par le FBI et la CIA comme terroristes présumés, notamment parce qu’ils avaient été vus lors d’un rassemblement de terroristes en Malaisie.
 Les noms de ces deux passagers auraient correspondu exactement à ceux de la liste TIPOFF s’ils avaient été vérifiés. Mais cela n’aurait été qu’un début. D’autres vérifications d’informations auraient alors pu être entreprises.
 En vérifiant les adresses postales (qui sont facilement disponibles, y compris sur internet), les enquêteurs auraient découvert que Salem Al-Hamzi (qui avait lui aussi acheté un billet sur le vol American Airlines 77) utilisait la même adresse que Nawaq Alhazmi. Qui plus est, ils auraient aussi découvert que Mohammed Atta (vol American Airlines 11, tour Nord du World Trade Center) et Marwan Al-Shehhi (vol United Airlines 175, tour Sud du World Trade Center) utilisaient la même adresse que Khalid Al-Midhar.
 En vérifiant les numéros des passagers fréquents, les enquêteurs auraient découvert que Majed Moqed (vol AA 77) utilisait le même numéro que Al-Midhar.
 Mohamed Atta étant alors identifié comme possible associé du terroriste Al-Midhar, alors recherché, les agents auraient pu ajouter les numéros de téléphone de Atta (qui étaient publiquement disponibles) à leur liste de vérification. Ce faisant ils auraient identifié cinq autres pirates de l’air (Fayez Ahmed, Mohand Alshehri, Wail Alsheri et Abdulaziz Alomari).
 Plus proche encore du 11 septembre, un autre examen des listes de passagers, s’appuyant sur la liste de surveillance de l’INS (encore plus inoffensive puisque concernant les visas expirés), aurait permis l’identification de Ahmed Alghandi. Par ce biais, le même type de corrélation relativement simple aurait pu mener à l’identification des autres pirates, qui avaient embarqué sur le vol United 93 (celui qui s’est écrasé en Pennsylvanie).
 »

En plus de cela, Al-Midhar et Nawaf Alhamzi, qui figuraient tous deux sur la liste de surveillance des terroristes, louaient un appartement à San Diego sous leur propre nom et étaient présents, sous leur propre nom également, dans l’annuaire de San Diego alors que le FBI les recherchait.

Non pas qu’il trop faille se concentrer sur ces détails, mais cela montre bien que ce dont nous avons besoin est un travail d’analyse plus efficace et plus opportun. La simple accumulation de données brutes - généralement quasi-intégralement inappropriées - est non seulement d’aucune utilité mais peut même desservir la cause. Comme a glissé en privé un agent du FBI au sujet d’Ashcroft : « Nous cherchons une aiguille dans une botte de foin pendant qu’il [Ashcroft] continue à entasser du foin. »

En d’autres termes, recueillir une masse de données personnelles sur des centaines de millions de gens rend de fait plus difficile la protection de la nation contre les terroristes ; ils feraient donc mieux de s’en passer pour l’essentiel.

Pendant ce temps, le vrai problème réside dans le fait que pendant que le gouvernement parvient à donner l’impression qu’il fait tout ce qui est en son pouvoir pour protéger les États-Unis, en réalité il a gravement négligé la plupart des mesures qui auraient pu être prises pour rendre notre pays réellement plus sûr.

Par exemple, il n’existe toujours aucune stratégie sérieuse de sécurité intérieure visant à protéger des infrastructures telles que les réseaux de lignes électriques, les gazoducs, les installations nucléaires, les ports, les usines chimiques et autres.

Les cargaisons de fret ne sont toujours pas soumises, lors de leur entrée, à des tests de radioactivité. La question de la protection de certains emplacements de stockage d’armes nucléaires est régulièrement esquivée. Ils ne renforcent toujours pas les infrastructures dont il est fondamental qu’elles ne soient jamais vulnérables à une attaque terroriste. Ils n’investissent toujours pas pour embaucher les traducteurs et analystes dont nous avons besoin pour contrer la menace terroriste grandissante.

« Une vaste majorité de ces entraves n’ont pas profité du tout à notre sécurité ; au contraire, elles nuisent à notre sécurité. »

Le gouvernement n’investit toujours pas dans la formation des administrations et infrastructures locales qui pourraient peser plus efficacement dans la balance. Les services de premiers secours se voient toujours refuser les moyens nécessaires à leur action. Dans bien des cas, les services de pompiers et de police n’ont toujours pas les équipements adéquats pour communiquer entre eux. Le Centre de contrôle épidémiologique et les hôpitaux locaux sont toujours très loin d’être parés à l’éventualité d’une attaque biologique.

Le gouvernement ne s’est, à ce jour, pas encore saisi du problème de la désorganisation et des rivalités au sein des services de maintien de l’ordre, de renseignement et d’enquêtes. En particulier, l’essentielle coordination entre le FBI et la CIA, bien que finalement améliorée au sommet, demeure dysfonctionnelle au bas de la pyramide.

Les constantes atteintes aux libertés civiles alimentent la fausse impression que ces entraves sont nécessaires afin de prendre toutes les précautions vis-à-vis d’une autre attaque terroriste. Néanmoins la vérité est simplement qu’une vaste majorité de ces entraves n’ont pas profité du tout à notre sécurité ; au contraire, elles nuisent à notre sécurité.

« Le traitement auquel sont soumis les immigrants en est probablement l’exemple le plus inquiétant. Ce mauvais traitement collectif a largement porté préjudice à notre sécurité ».

Le traitement auquel sont soumis les immigrants en est probablement l’exemple le plus inquiétant. Ce mauvais traitement collectif a largement porté préjudice à notre sécurité, et cela de plusieurs manières.

Mais soyons avant tout clairs sur ce qui s’est passé : il ne s’agissait guère plus que d’une cruelle manoeuvre politique de bas étage de la part de John Ashcroft. Plus de 99 % des hommes, en majorité d’origine arabe, qui ont été raflés avaient simplement dépassé leur durée d’autorisation de séjour ou commis d’autres délits de moindre importance en essayant de poursuivre le rêve américain, tout comme la plupart des immigrants. Mais ils ont été utilisés comme figurants par les autorités qui voulaient donner l’impression qu’ils avaient arrêté un nombre important de malfaiteurs. Du reste, nombre d’entre eux ont été traités de manière horrible et abusive.

« Plus de 99 % des hommes, en majorité d’origine arabe, qui ont été raflés avaient simplement dépassé leur durée d’autorisation de séjour ou commis d’autres délits de moindre importance ».

Prenons cet exemple rapporté en détail par Anthony Lewis :

« Anser Mehmood, un Pakistanais qui avait dépassé la durée de séjour autorisée par son visa, a été arrêté à New-York le 3 octobre 2001. Le jour suivant il était brièvement interrogé par les agents du FBI, déclarant ensuite qu’ils ne s’intéressaient plus à lui. Puis il a été attaché à l’aide de menottes, de fers aux pieds et d’une chaîne à la taille avant d’être conduit au Metropolitan Detention Center de Brooklyn. Là-bas, les gardes lui ont passé deux autres paires de menottes ainsi qu’une autre paire de fers aux pieds. L’un d’entre eux l’a précipité contre un mur. Les gardes l’ont forcé à courir sur une longue rampe, les fers entaillant ses poignets et ses chevilles. Le mauvais traitement physique a été accompagné de réprimandes verbales. »

« Après deux semaines, Mehmood s’est vu autoriser à passer un appel téléphonique à sa femme. Elle n’était pas à la maison et Mehmood a été informé qu’il devrait attendre six semaines avant de pouvoir l’appeler de nouveau. Il ne devait la revoir pour la première fois, lors d’une visite, que trois mois après son arrestation. Durant toute cette période il est resté confiné dans une cellule sans fenêtres, en isolation totale, sous deux néons allumés en permanence. Au final on l’a inculpé pour usage de carte de sécurité sociale invalide. Il a été extradé en mai 2002, près de huit mois après son arrestation. »

« Après deux semaines, Mehmood s’est vu autoriser à passer un appel téléphonique à sa femme. Elle n’était pas à la maison et Mehmood a été informé qu’il devrait attendre six semaines avant de pouvoir l’appeler de nouveau. [...] Il est resté confiné dans une cellule sans fenêtres, en isolation totale, sous deux néons allumés en permanence. »

La tradition religieuse de laquelle je suis issu, tout comme Ashcroft, contient cet enseignement de Jésus : « Ce que tu fais au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que tu le fais. »

Ne vous y trompez pas : le traitement humiliant enduré par nombre de ces immigrants vulnérables, aux mains du gouvernement, a engendré de profondes rancoeurs et malmené la coopération dont nous avons désespérément besoin de la part des communautés d’immigrants aux États-Unis et des services de sécurité d’autres pays.

En second lieu, ces atteintes manifestes envers leurs droits ont sérieusement endommagé l’autorité morale et la crédibilité états-uniennes de part le monde, ainsi que délégitimisé les efforts de notre pays visant à perpétuer la défense des Droits de l’homme partout dans le monde. Comme l’a formulé un analyste politique : « Auparavant nous étions la mesure qui définit les grands principes ; aujourd’hui nous avons abaissé le niveau. » J’ajouterai à cela que notre autorité morale est, après tout, notre principale ressource en termes de puissance durable dans le monde.

Qui plus est, les conditions de détention des prisonniers à Guantanamo ont particulièrement nui à l’image des États-Unis. Même l’Angleterre et l’Australie ont critiqué notre mépris vis-à-vis des lois internationales et de la Convention de Genève. Le traitement réservé aux captifs par le secrétaire à la Défense Rumsfeld s’est avéré à peu près aussi subtil que son plan d’« après-guerre » pour l’Irak.

Les atteintes massives aux libertés civiles ont donc fait du mal plutôt qu’aidé. Cela dit, il existe encore une autre raison de mettre fin de toute urgence aux agissements de ce gouvernement. En ce qui concerne les libertés civiles, il nous a conduits bien plus loin vers les abîmes d’un gouvernement intrusif de type « Big Brother », vers les écueils prophétisés par George Orwell dans son livre 1984, bien plus loin qu’on ne l’aurait imaginé possible aux États-Unis d’Amérique.

Il y est parvenu principalement en alimentant et en exploitant les craintes et appréhensions collectives. Plutôt que de diriger en faisant appel à notre courage, ce gouvernement a choisi de nous diriger en stimulant nos peurs.

Il y a presque quatre-vingt ans, Justice Louis Brandeis écrivait : « Ceux qui gagnèrent notre indépendance n’étaient pas des lâches... Ils n’exaltaient pas l’ordre aux détriments de la liberté. » Ceux qui gagnèrent notre indépendance, comprenaient, toujours selon Brandeis, que « le courage [est] le secret de la liberté » et que « la peur [n’]engendre [que] la répression. »

Au lieu de défendre nos libertés,cegouvernementacherchéà nous en délester. Plutôt qu’accepter nos traditions d’ouverture et de responsabilité, ce gouvernement a choisi de régner en cultivant le secret et par une autorité incontestable. Au lieu de cela, ses assauts contre les principes primordiaux de notre démocratie n’ont fait qu’amputer nos libertés et notre sécurité.

Tout au long de l’histoire des États-Unis, ce que nous nommons aujourd’hui les libertés civiles a souvent été bafoué et mutilé en temps de guerre ou lorsque la sécurité était apparemment menacée. Des exemples parmi les plus connus sont les « lois sur les Étrangers et la Sédition » de 1798-1800, la suspension temporaire de l’habeas corpus durant la guerre civile, les abus extrêmes pendant la Première Guerre mondiale et les fameux Red Scare et Palmer Raids immédiatement après la guerre [N.d.T. Arrestation et déportation de centaines d’immigrants accusés d’être communistes ou anarchistes], la scandaleuse détention des états-uniens d’origine japonaise pendant la deuxième guerre mondiale ainsi que les excès du FBI et de la CIA durant la guerre du Viêt-Nam et lors des mouvements sociaux de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix.

Néanmoins, chaque fois, la nation retrouvait son équilibre avec la fin de la guerre et intégrait les leçons apprises lors des cycles récurrents d’excès puis de regret.

Nous avons des raisons de nous inquiéter cette fois-ci, car ce que nous traversons ne constitue peut-être pas encore une fois la première partie d’un cycle récurrent, mais au contraire le début de quelque chose d’inédit. D’une part, le gouvernement dit de cette guerre qu’elle « durera pour le restant de nos vies ». D’autres ont exprimé un point de vue selon lequel, avec le temps, elle commencera à ressembler à la « guerre » contre la drogue, c’est-à-dire qu’elle prendra la forme d’une lutte plus ou moins permanente, monopolisant dorénavant une part significative de nos forces de l’ordre et de notre politique sécuritaire. Si tel est le cas, alors quand verrons-nous cette atteinte à nos libertés mourir d’une mort naturelle, si toutefois nous pouvons espérer en être un jour témoins ?

Il est important de se souvenir qu’à travers l’histoire, la perte par les citoyens de leurs libertés civiles et la concentration de trop de pouvoir illimité entre les mains de l’exécutif vont de pair. Ce sont les deux faces de la même pièce.

Un deuxième motif d’inquiétude, qui laisse à penser que nous assistons à une discontinuité plutôt qu’à une nouvelle période d’un cycle récurrent, est le fait que les nouvelles technologies de surveillance, depuis longtemps anticipées par des écrivains tels qu’Orwell et les autres prophètes de l’« État Policier », sont à l’heure actuelle plus répandues que jamais.

Elles représentent, de plus, un potentiel permettant de déséquilibrer la balance entre le pouvoir de l’appareil d’État et les libertés individuelles, et cela de manière à la fois subtile et profonde.

« Ces technologies sont utilisées dans de nombreuses entreprises [...] afin de préparer chaque année, pour le gouvernement, des millions de rapports sur les activités suspectes de leurs clients. »

En outre, ces technologies sont couramment utilisées non seulement par le gouvernement mais aussi par les entreprises et autres entités privées. Elles sont utilisées dans de nombreuses entreprises, particulièrement dans le milieu de la finance et dans le cadre de l’application des nouvelles exigences du Patriot Act, afin de préparer chaque année, pour le gouvernement, des millions de rapports sur les activités suspectes de leurs clients. Elles leur sont également utiles, dans le cadre de la souplesse nouvellement accordée aux entreprises, afin de partager mutuellement des informations au sujet de leurs clients.

Le troisième motif d’inquiétude est la menace de nouvelles frappes terroristes qui se fait décidément trop réelle. Du reste, l’utilisation potentielle d’armes de destruction massive par des groupes terroristes a vraiment fait naître un nouvel impératif pratique de prompt exercice d’un pouvoir discrétionnaire par la branche exécutive, tout comme le développement des armes nucléaires et des missiles balistiques intercontinentaux avait fait émerger un nouvel impératif pratique, lors de la Guerre froide, qui modifiait l’équilibre des responsabilités entre le Congrès et le président pour la prise de décisions dans l’éventualité d’un conflit armé.

« Le plus inquiétant selon moi, est l’approche idéologique agressive du gouvernement actuel qui semble déterminé à avoir recours à la peur comme outil politique pour consolider son pouvoir »

En revanche le président Bush a étendu ce nouvel impératif pratique au-delà de ce qui est salutaire pour notre démocratie. En effet, il a notamment tenté de donner une portée maximale à son pouvoir au sein du système états-unien en accentuant son rôle de commandant en chef bien au-delà de tous les présidents qui l’ont précédé, l’endossant aussi fréquemment et ostensiblement que possible, le projetant dans la sphère nationale et le mêlant à ses autres rôles : celui de chef du gouvernement, de chef de l’État et particulièrement son rôle politique à la tête du parti républicain.
En vérité, le nouvel élément le plus inquiétant selon moi est l’approche idéologique agressive du gouvernement actuel, qui semble déterminé à avoir recours à la peur comme outil politique pour consolider son pouvoir et échapper à toute responsabilité quant à l’utilisation de celui-ci. S’il est vrai qu’en ce qui concerne son approche désastreuse des relations internationales, l’unilatéralisme et la domination tiennent lieu de lignes directrices, il en est de même pour l’approche de la politique nationale de ce gouvernement. Il s’impatiente devant tout obstacle à l’exercice de son pouvoir à l’étranger ; qu’il s’agisse de nos alliés, des Nations unies ou des lois internationales. De façon similaire, il s’impatiente devant tout obstacle s’opposant à son recours au pouvoir à l’intérieur du pays ; qu’il s’agisse du Congrès, des cours de justice, de la presse ou de l’autorité de la loi.

Ashcroft a également autorisé les agents du FBI à assister aux regroupements religieux, rassemblements, meetings politiques et toute autre activité citoyenne ouverte au public simplement à la propre initiative des agents, inversant une politique datant de plusieurs décennies qui rendait nécessaire la justification aux superviseurs du fait que de telles infiltrations présentent un lien avéré avec une enquête légitime.

Ils ont même pris des initiatives qui semblent clairement destinées à réprimer la dissidence. Le département de la Justice de Bush a récemment engagé une très alarmante procédure criminelle à l’encontre du groupe d’action environnementale Greenpeace, suite à son action de protestation indirecte et non-violente contre ce que Greenpeace a déclaré être une importation illégale d’acajou protégé en provenance d’Amazonie. Des experts juristes indépendants et historiens ont affirmé que les poursuites, au nom d’une loi obscure et bizarre datant de 1872 et portant sur la « contrebande chez les matelots », paraissent être destinées à limiter les activités de Greenpeace dans le cadre du Premier Amendement [N.d.T. Article de la constitution garantissant notamment les libertés de parole, de la presse, de se rassembler et d’organiser des pétitions].

Parallèlement aux poursuites jusqu’ici inédites engagées contre Greenpeace, le gouvernement Bush a annoncé, il y a tout juste quelques jours, qu’il renonçait à poursuivre ses investigations portant sur cinquante centrales électriques pour l’infraction à la loi sur la qualité de l’air ; acte qui, selon le sénateur Chuck Schumer « annonce en somme que l’industrie énergétique est maintenant libre de polluer en toute impunité ».

« Politisation du maintien de l’ordre »

La politisation du maintien de l’ordre par ce gouvernement contribue à son objectif plus large de faire machine arrière dans le domaine de la politique gouvernementale instaurée par le New Deal et le mouvement progressiste. À cette fin, ils réduisent la garantie du maintien des droits civiques, des droits de la femme, de l’impôt progressif, des taxes foncières, de l’accès juridique, de la couverture maladie et bien d’autres acquis. De plus, ils abordent tous les problèmes jusqu’au bout sous l’angle du combat partisan, y compris dans les domaines de la sécurité nationale et du terrorisme.

Au lieu d’essayer de faire de la « guerre au terrorisme » une cause bipartisane, le gouvernement Bush s’est constamment efforcé de l’exploiter à des fins politiciennes. Le président Bush part verbalement en guerre contre le terrorisme dans presque tous ses discours de campagne et dîners de récolte de fonds pour son parti politique. Il s’agit là de son thème politique de prédilection. Des candidats démocrates tels que Max Cleland de Georgie ont été qualifiés d’antipatriotes pour avoir voté différemment de la Maison Blanche au sujet d’obscurs amendements à la loi sur la sécurité nationale.

Localisation de « démocrates à l’aide de la technologie déployée pour pister les terroristes »

Lorsque le chef de file des républicains à la Chambre des représentants, Tom DeLay, s’est trouvé gêné dans sa tentative visant à récolter plus de sièges parlementaires au Texas en imposant un très exceptionnel vote de redécoupage au sein du Sénat de cet État, il a eu la possibilité de suivre la trace des législateurs démocrates qui avaient fui l’État afin d’empêcher un quorum (et ainsi d’empêcher le vote) en bénéficiant de l’appui du département de la Sécurité de la Patrie du président Bush, de rien de moins que 13 employés de la Federal Aviation Administration qui ont mené des recherches huit heures durant, ainsi qu’au moins un agent du FBI (bien que plusieurs autres agents à qui il a été demandé leur coopération aient refusé d’obtempérer).

En localisant rapidement les démocrates à l’aide de la technologie déployée pour pister les terroristes, les républicains ont été en mesure de réussir à concentrer la pression populaire sur le plus fragile des sénateurs et forcer le vote de leur nouveau plan de découpage des circonscriptions. Aujourd’hui, et grâce en partie aux efforts de trois agences fédérales différentes, Bush et DeLay se félicitent de l’obtention de nouveaux sièges parlementaires républicains pour la prochaine assemblée s’élevant possiblement au nombre de sept.

Il se trouve que la date de déclenchement par la Maison-Blanche de sa campagne parlementaire en faveur de la guerre contre l’Irak a aussi coïncidé exactement avec le lancement de la campagne électorale au mois de septembre 2002. Le chef de cabinet du président a déclaré que ce calendrier avait été choisi en raison du fait que « d’un point de vue marketing, il n’est pas conseillé de lancer de nouveaux produits au mois d’août ».

Le conseiller politique à la Maison-Blanche, Karl Rove, a conseillé les candidats républicains en leur disant que leur meilleure stratégie politique serait d’« avancer avec la guerre ». Du reste, aussitôt que les troupes ont commencé à être mobilisées, le Comité national républicain a fait distribuer des pancartes de jardin à travers tout le pays, sur lesquelles était écrit « Je soutiens le président Bush et les troupes », comme s’ils ne formaient qu’une seule et même entité.

Cet effort permanent en vue de politiser la guerre en Irak et la guerre au terrorisme à des fins partisanes est manifestement nuisible à la perspective d’un soutien bipartisan aux politiques nationales sur la sécurité. Dans un contraste saisissant, considérez l’attitude différente qui fut adoptée par le Premier ministre Winston Churchill durant les jours terribles d’octobre 1943 quand, en pleine Seconde Guerre mondiale, il baignait dans une controverse susceptible de rompre sa coalition bipartisane. Il déclara : « Ce qui maintient notre unité c’est la poursuite de la guerre. Il n’a été demandé à aucun... homme de renoncer à ses convictions. Il serait indécent et déplacé de le faire. Nous sommes liés ensemble par quelque chose d’extérieur, qui focalise notre attention. Le principe sur lequel nous nous appuyons est "Tout doit être mis au service de la guerre, que ce soit sujet à controverse ou pas, et rien qui est sujet à controverse et qui ne rende service à l’effort de guerre." C’est notre position. Nous devons aussi rester vigilants afin que les nécessités de la guerre ne soient pas exploitées pour introduire discrètement des réformes sociales ou politiques aux lourdes conséquences. »

« La liberté n’est jamais mieux garantie que par la séparation des pouvoirs en branches équivalentes [...], afin de prévenir la concentration dangereuse de trop de pouvoir aux mains d’un seul individu »

C’est néanmoins exactement ce que le gouvernement Bush tente de faire : instrumentaliser la guerre au terrorisme dans un but partisan et pour introduire des réformes controversées, présentant de lourdes implications sur le plan de la politique sociale dans un effet de « revers », avec pour objectif de consolider son pouvoir politique.

C’est là une approche qui va nettement à contre-courant de notre esprit national. Le respect pour notre président est important. Mais il en va de même du respect pour notre peuple. Nos pères fondateurs savaient, et notre histoire a prouvé, que la liberté n’est jamais mieux garantie que par la séparation des pouvoirs en branches équivalentes au sein d’un système de contrôle mutuel et d’équilibre, afin de prévenir la concentration dangereuse de trop de pouvoir aux mains d’un seul individu ou groupe.

Nos fondateurs avaient aussi une conscience aiguë du fait que l’histoire mondiale prouve que les républiques sont fragiles. À l’heure même de la naissance des États-Unis à Philadelphie, lorsqu’on demanda à Benjamin Franklin « Qu’avons-nous là ? Une république ou une monarchie ? » il répondit avec prudence « Une république, si vous pouvez la préserver. »

Alors même que nous nous trouvions au coeur de notre plus grande épreuve commune, Lincoln savait que notre destin était lié à la question plus vaste de savoir si une quelconque nation ainsi conçue pouvait longtemps perdurer.

Ce gouvernement semble refuser le fait que le défi de la préservation de la liberté démocratique ne peut pas être relevé en renonçant aux valeurs primordiales des États-Unis. Il est incroyable que ce gouvernement ait tenté de remettre en cause les droits les plus précieux que les États-uniens ont défendus de part le monde durant 200 ans : garantie de procédure régulière, traitement égalitaire au regard de la loi, respect de la dignité de l’individu, droit de ne pas voir ses biens perquisitionnés ou saisis de manière irraisonnable, liberté vis-à-vis de la surveillance rapprochée exercée par le gouvernement. Par ailleurs, au nom de la sécurité, ce gouvernement a tenté de reléguer le Congrès et les cours de justice à la périphérie du pouvoir et de remplacer notre système démocratique de contrôle mutuel et d’équilibre par un exécutif déresponsabilisé. Durant tout ce temps, il a aussi constamment cherché de nouvelles manières d’exploiter la perception de la crise afin d’en tirer des bénéfices partisans et la domination politique. Comment osent-ils !

« Notre gouvernement dispose largement de l’autorité nécessaire dans le cadre de la constitution pour prendre ces mesures qui sont véritablement essentielles afin d’assurer notre sécurité. »

Il y a des années, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’un des plus éloquents juges à la Cour suprême, Robert Jackson, écrivait qu’en temps de guerre on se devait d’accorder « la plus grande liberté d’action » au président, mais il nous mettait en garde contre « l’inconséquente et irresponsable invocation de la guerre comme excuse pour tenir la branche exécutive à l’écart de l’autorité des lois qui gouvernent notre république en temps de paix. Aucun repentir ne serait jamais en mesure d’expier le pêché à l’encontre du libre gouvernement, » déclarait Jackson, « de considérer qu’un président puisse échapper au contrôle des pouvoirs exécutifs par le biais de la loi lui conférant son rôle militaire. Notre gouvernement dispose largement de l’autorité nécessaire dans le cadre de la constitution pour prendre ces mesures qui sont véritablement essentielles afin d’assurer notre sécurité. Simultanément, notre système requiert que le gouvernement n’agisse que dans la limite de mesures qui ont fait l’objet d’un débat ouvert et réfléchi au Congrès et auprès du peuple états-unien, et que les intrusions dans l’espace de liberté et de dignité dont dispose chaque individu soient soumises à l’examen de tribunaux ouverts aux plus démunis, et indépendants du gouvernement qui restreint leur liberté. »

Alors quelles seraient les solutions ? Pour commencer, notre pays devrait trouver un moyen de mettre immédiatement fin aux mesures de détention indéfinie de citoyens états-uniens sans éléments à charge et sans constat judiciaire justifiant leur emprisonnement.

Une telle conduite est incompatible avec les traditions et valeurs états-uniennes, avec leurs principes sacrés de garantie de procédure légale régulière et de séparation des pouvoirs.

Il n’est pas accidentel que notre constitution impose un « procès publique et rapide » lors de poursuites criminelles. Les principes de liberté et de responsabilité du gouvernement, au coeur de ce qui rend notre pays unique, exigent cela comme minimum. Le traitement réservé par le gouvernement Bush aux citoyens états-uniens qu’il qualifie de « combattants ennemis » est, sans exagération, rien de moins qu’anti-américain.

En second lieu, les citoyens étrangers détenus à Guantanamo devraient bénéficier d’audiences afin de déterminer leur statut selon l’article V de la Convention de Genève. De telles audiences furent accordées par les États-Unis aux combattants capturés lors de chaque guerre jusqu’à celle-ci, y compris la guerre du Vietnam et la guerre du Golfe.

Si nous ne leur donnons pas cette occasion, comment pouvons-nous espérer que les soldats états-uniens capturés à l’étranger soient traités avec le même respect ? Nous le devons à nos frères et sœurs qui se battent pour défendre la liberté en Irak, en Afghanistan et ailleurs dans le monde.

Troisièmement, le président devrait obtenir l’autorisation du Congrès avant d’avoir recours aux commissions militaires qu’il dit vouloir utiliser en lieu et place des tribunaux civils pour juger ceux parmi les prisonniers qui sont accusés d’avoir enfreint les lois de la guerre. Les commissions militaires ont un statut spécial dans la loi états-unienne et présentent des dangers uniques. Le procureur et le juge travaillent pour le même homme qui est le président des États-Unis. De telles commissions peuvent être appropriées en temps de guerre, mais elles doivent être approuvées par le Congrès, comme c’était le cas durant la Seconde Guerre mondiale, et le Congrès doit délimiter le champ d’exercice de leur autorité. L’examen de leurs décisions doit être disponible auprès d’une cour civile, au minimum la Cour suprême, comme ce fut également le cas pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Ce gouvernement a fait un usage abusif du statut de témoin matériel en maintenant indéfiniment des individus en détention sans charges pesant contre eux »

Ensuite, la grandeur de notre nation se mesure à la façon dont nous traitons ceux d’entre nous qui sont le plus vulnérables. On devrait garantir des droits fondamentaux aux non-citoyens que le gouvernement veut placer en détention. Le gouvernement devrait cesser d’abuser du statut de témoin matériel. Ce statut fut créé pour garder brièvement en détention les témoins avant qu’ils ne soient appelés à témoigner devant un grand jury. Ce gouvernement en a fait un usage abusif en maintenant indéfiniment des individus en détention sans charges pesant contre eux. Ce n’est tout simplement pas correct.

Enfin, j’ai étudié le Patriot Act et j’ai découvert qu’en parallèle de ses nombreux excès, il contient quelques modifications nécessaires à la loi. Il est du reste certainement avéré que nombre des pires abus sur le plan de la garantie de procédure légale régulière et des libertés civiles qui sont actuellement commis, le sont en vertu de lois et ordres exécutifs autres que le Patriot Act.

Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que le Patriot Act s’est avéré être, tout bien pesé, une terrible erreur et qu’il est devenu une sorte de Résolution du Golfe du Tonkin conférant l’aval du Congrès à l’assaut du président contre les libertés civiles. Ainsi, je crois fermement que les quelques bons aspects de cette loi devraient être votés de nouveau sous la forme d’une nouvelle loi plus réduite, mais que le Patriot Act doit être abrogé.

« Les principes de la Constitution n’ont de valeur que si nous les appliquons en des temps difficiles tout comme en des temps ordinaires »

John Adams, en 1780, a écrit que notre gouvernement est fait de lois et non pas d’hommes. Ce qui est remis en question aujourd’hui est le principe fondateur de notre nation et donc la nature profonde des États-Unis. Comme l’a écrit la Cour suprême : « Notre Constitution est une convention s’étendant de la première génération d’États-uniens jusqu’à nous, puis vers les générations futures. » La Constitution n’inclut pas d’exception pour les temps de guerre, même si ses fondateurs connaissaient bien la réalité de la guerre. En outre, comme le rappelait Justice Holmes peu après la Première Guerre mondiale, les principes de la Constitution n’ont de valeur que si nous les appliquons en des temps difficiles comme en temps ordinaire.

Pour nous, la question qui se pose pourrait ne jamais revêtir autant d’importance : continuerons-nous à vivre en tant que peuple soumis à l’autorité de la loi telle qu’incarnée par notre Constitution ? Ou décevrons-nous les générations futures en leur laissant une Constitution grandement diminuée quant à la place de la liberté dont nous avons hérité par nos ancêtres ?

Notre choix est clair.

Traduction : Hervé Duval / Réseau Voltaire.
Discours en anglais sur TruthOut.org.

Sur le même thème, on lire le discours d’Albert Gore à l’université de Georgetown (24 juin 2004).
1ere partie : « Nous avons sacrifié nos libertés à nos peurs »
2ème partie : « Que cache l’administration Bush ? »