Les difficultés militaires des États-Unis en Irak sont patentes, mais elles sont toutefois mineures par rapport à la dégradation de leur prestige et de leur popularité. Les photos des tortures vont sans doute avoir un impact durable sur le monde arabe. Il ne s’agit pas d’un cas isolé et ces exactions sont le propre des armées d’occupation. On imagine facilement que si des soldats irakiens avaient commis ces actes contre des troupes états-uniennes, W. Bush n’aurait pas tardé à mettre en cause le régime entier et pas des cas isolés et qu’il ne se serait pas contenté d’excuses.
L’armée américaine a d’abord été vue brièvement comme une armée de libération par les Irakiens, puis très vite comme une armée d’occupation et maintenant comme une armée de répression. Il n’y a plus que les Kurdes qui la soutienne. Ceux qui s’opposaient à la guerre car ils pensaient que cela causerait plus de troubles que cela ne résoudrait de problèmes ont vu leurs craintes se réaliser tandis que les doctes experts affirmant que l’Irak regorgeait d’armes de destruction massive et les belles âmes qui vantaient la guerre vertueuse se font plus discrets.
On est frappé par l’écart énorme entre ce que le monde entier peut voir en Irak et les déclarations des dirigeants de l’administration Bush. Certains en Irak n’hésitent pas à utiliser le chaos comme argument pour demander une intervention des Européens au côté des États-Unis. Mais ce n’est pas en envoyant plus de troupes en Irak qu’on règlera le problème. Si nous devons agir en Irak, ce sera sous l’autorité de l’ONU et à la demande d’un gouvernement irakien légitime. Sans cela, toutes les troupes envoyées seront assimilées aux troupes anglo-saxonnes et on peut même se demander si cela ne sera pas le cas de toutes troupes étrangères quel que soit l’autorité sous laquelle elles se trouvent. La seule façon de régler le problème, c’est de réaliser un transfert de pouvoir réel aux Irakiens sous contrôle de l’ONU, pas des États-Unis.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Rendre aux Irakiens leur souveraineté », par Pascal Boniface, Libération, 17 mai 2004.