Nous avons un peu de mal à comprendre les raisons de tous ces débats en cours en France sur le thème de la candidature turque à l’Union. Il semble que la France ait oublié nos points communs et le fait qu’elle est un de nos principaux investisseurs. Il ne faut pas perdre de vue que la Turquie est un État de droit, social, démocratique et laïque, vivant en harmonie avec l’Europe, tout en faisant partie du monde musulman. Si l’Europe n’est pas un simple club chrétien, mais un ensemble de valeurs politiques, alors la Turquie doit en faire partie.
Quoi qu’il en soit, le 17 décembre ce n’est pas l’adhésion de la Turquie qui se décide, mais le début des négociations. La Turquie devra alors accomplir les tâches qui lui incombent. La Turquie a dores et déjà rempli les critères de Copenhague. De notre côté, nous avons fait ce qui nous avait été demandé de faire, et même au-delà, puisque nous avons rempli une série de conditions que des pays d’ores et déjà membres à part entière n’ont pas remplies. Nous avons fait notre devoir. Maintenant c’est au tour des pays membres de faire le leur. Nous avons adopté les lois pour être conformes aux critères de Copenhague, mais toutes ces lois ne sont pas encore appliquées. Pour cela, il faut un changement de mentalité dans mon pays. Nous savons que le processus d’intégration sera long, mais la Grande-Bretagne a mis 11 ans et demi pour rentrer dans l’Union européenne, le Portugal huit ans et demi et l’Espagne à peine un an de moins. Nous savons bien que pour nous non plus, le processus ne sera pas rapide.
L’OCDE cite trois lacunes qui risquent de peser sur l’avenir économique du pays : le manque de confiance en la stabilité politique et économique, la corruption et enfin le poids du secteur informel. Mais je ne trouve pas que ces critères soient justes, surtout à propos du manque de confiance envers la stabilité. Le pouvoir en place en Turquie est extrêmement solide. Nous sommes en train de stabiliser l’inflation, nous avons la plus forte croissance des pays de l’OCDE et nous avons mis en place un système de lutte contre la corruption.
Jusqu’à maintenant, aucun pays ne s’est vu octroyer un processus de négociation dont l’objectif reste dans le vague. Si les négociations peuvent durer longtemps, elles ont forcément une date d’aboutissement. Pourquoi négocierions-nous sinon ? Cette assurance a déjà été donnée à la Turquie. Nous ne demandons aucun privilège. Nous avons simplement à l’esprit tout ce que la Turquie est à même d’apporter à la famille européenne. Il s’agit d’une rencontre des civilisations. Nul n’a intérêt à ce que l’humanité devienne la victime ou l’otage du terrorisme. Or cette lutte, nous devons la mener ensemble.

Source
Le Monde (France)

« Ce que la Turquie apporte à la famille européenne », par Recep Tayyip Erdogan, Le Monde, 22 octobre 2004. Ce texte est adapté d’une interview.