Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Madame et Monsieur les anciens Premier ministres,
Mesdames et Messieurs les ministres et anciens ministres,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Monsieur le Maire de Paris,
Monsieur l’ambassadeur d’Israël en France,
Madame la représentante de l’Autorité palestinienne,
Madame et Messieurs les représentants des différentes religions,
Et si vous me permettez, au-delà de nos différences, chers amis,

Très souvent par le passé, je suis venu au dîner du CRIF. Je connais cette tradition. Je sais qu’elle est pour vous un moment de fête, un moment de retrouvailles, un moment de partage. Je sais aussi que, chaque année, de manière ouverte, comme vous l’avez fait dans votre discours Monsieur le Président, ou plus discrètement dans le secret de vos coeurs et l’intimité de vos conversations, vous faites mémoire, avec ce dîner, des circonstances tragiques qui ont conduit, en 1943, les différentes composantes du judaïsme français à s’unir pour combattre les persécutions effroyables dont les Juifs faisaient alors l’objet. De cette union clandestine est né, plus tard, le CRIF.

La mémoire a toujours été une caractéristique essentielle de votre identité. Parce que toute votre culture et toute votre histoire trouvent leurs origines dans la mémoire. La mémoire de l’alliance de Dieu avec Abraham, avec Isaac et avec Jacob. Pour les croyants, c’est d’abord la mémoire d’une promesse, la mémoire d’une espérance, la mémoire d’une Loi, transmise de génération en génération, malgré l’adversité, malgré la relégation, malgré les pogroms, malgré la déportation, malgré les persécutions. Pour chacun d’entre vous, croyants et non-croyants, pratiquants et non pratiquants, c’est aussi aujourd’hui la mémoire d’un destin exceptionnel et tragique dont les chapitres les plus récents ont disséminé vos familles, meurtri vos coeurs et, parfois même, ébranlé vos croyances.

La contribution du judaïsme à l’histoire de l’humanité a été majeure. Les Juifs n’ont pas seulement été les premiers à témoigner de la fidélité dont un peuple est capable à l’égard de son dieu. Ils ont été les premiers à témoigner de la fidélité d’un dieu à l’égard de son peuple. Pour la religion juive, la mémoire est un attribut de dieu, avant que d’être un attribut des hommes.

Cette révélation a changé la perception religieuse de l’humanité, car un dieu qui se souvient, c’est un dieu qui aime. Jamais plus, après la Torah, les hommes n’ont plus parlé de dieu comme ils en parlaient auparavant.

En invitant chaque année les plus hautes autorités de la Nation à partager ce dîner de mémoire et de fête, en invitant, en particulier, le Premier ministre et cette année, pour la première fois, si j’ai bien compris, le Président de la République -quelques-uns furent invités, mais tous n’eurent pas l’opportunité de répondre à cette invitation- vous entendez donc vous, Juifs de France, renouveler votre attachement absolument indéfectible à la République et à la France, cette France qui vous a émancipés, qui a donné des droits, et qui vous a permis de pratiquer votre religion, j’y reviendrai. Nous célébrerons ensemble cette année le bicentenaire de la création du Consistoire et cette République qui vous a ensuite intégrés dans toutes les sphères de la société, sur le seul fondement de vos talents et de vos mérites, cette République que vous avez servie avec générosité, confiance, et l’engagement qui sont l’âme des vrais patriotes, cette République que nous fêtons et qui vous permet d’être à la fois profondément attachés à votre foi, à votre identité et profondément attachés à la Nation.

Mais en faisant s’asseoir chaque année aux mêmes tables les représentants des institutions juives de France et les représentants de la République, vous entendez aussi rappeler aux seconds les devoirs de leur charge, les exigences de leur fonction, les principes, les valeurs et les vertus dont la violation, par le passé, a fait vivre à notre pays ses pages les plus noires. A l’heure où s’abattaient en Europe les idéologies les plus criminelles, c’est un fait que la République d’alors vous a trahis. Tournant le dos à ses principes essentiels, pas seulement ceux de 1905, mais aussi ceux de 1789, de l’abbé Grégoire, dont vous avez parlé, et de l’Edit de Nantes, notre Nation s’est alors délitée par le haut, comme un poisson qui pourrit par la tête. Il est sain que vos invités rassemblés dans cette salle, dont certains exercent d’éminentes responsabilités, fassent mémoire de ces moments douloureux qui précipitèrent tant de familles dans l’abomination, et notre pays dans la honte.

Monsieur le Président, vous êtes né à Gdansk et je ne peux m’empêcher d’imaginer ce que cela représente d’être un nouveau-né juif, en 1945, en Pologne. Votre naissance est, en soi, une forme de miracle, tout comme le sont la fidélité et l’attachement que les Juifs de France ont toujours manifestés à l’égard de notre pays, malgré les trahisons qui leur ont été infligées. Même en 1940, quand Vichy édictait l’immonde statut des Juifs, vous saviez que la République n’était pas dans ce crime et que la France éternelle était plus grande que sa faute du moment. Une défaite n’efface pas l’histoire, une mesure d’exception peut éclipser mais ne saurait abolir nos droits et nos devoirs imprescriptibles, encore moins nos sentiments de Français avant tout. C’est ce que disaient les Juifs de France à l’époque : « Le seul réconfort qui nous soit permis est celui qui nait d’une confiance inébranlable dans un retour certain au véritable destin spirituel de cette France éternelle, de cette nation porte-flambeau ». Tels sont les mots que vos prédécesseurs fonctionnaires d’Etat, responsables du Consistoire, employaient pour supplier les autorités de l’époque de rester fidèles aux principes républicains. Cette confiance, cette fidélité à la Nation française des Juifs de France, forcent le respect et l’admiration. En tant que Chef de l’Etat, je me devais d’en porter témoignage.

Je vous remercie, Monsieur le Président, d’avoir placé le début de votre allocution sous le signe de la laïcité. Vous m’offrez l’occasion -que j’aurais prise de toute façon- de répondre aux multiples commentaires qui ont accompagné les discours que j’ai prononcés récemment au Latran, où j’ai été si fier d’être invité, et en Arabie saoudite, où j’ai cru qu’il était si important de prononcer les mots Juifs et Israël.

Vous avez dit, Monsieur le Président, ne pas croire que les religions puissent être la seule parade contre le mal, et vous avez bien raison. Vous me permettrez d’ajouter, car je crois connaître aussi l’histoire des Juifs d’Europe, que si les religions sont en effet impuissantes à préserver les hommes de la haine et de la barbarie, le monde sans Dieu, que le nazisme et le communisme ont cherché à bâtir, ne s’est pas révélé tellement préférable.

Le drame du XXème siècle, de ces millions d’êtres projetés dans la guerre, la famine, la haine, la séparation, la déportation et la mort, n’est pas né d’un excès de l’idée de Dieu, mais de sa redoutable absence. Le communisme voyait la religion comme un instrument de domination d’une classe sur une autre, et l’on sait les malheurs auxquels cette théorie a conduit. Le nazisme croyait dans la hiérarchie des races, une proposition radicalement incompatible avec l’enseignement du monothéisme judéo-chrétien.

Alors, il est vrai, que parmi les résistants, parmi les patriotes, parmi les Justes, il y en avait autant qui croyaient au ciel, et autant qui n’y croyaient pas. Et il est tout aussi vrai que, parmi ceux qui trahirent les Juifs et contribuèrent, de près ou de loin, à la mise en oeuvre de la solution finale, il y en avait qui se disaient chrétiens. Mais il n’y a pas une ligne de la Torah, de l’Evangile ou du Coran, restituée dans son contexte et dans la plénitude de sa signification, qui puisse s’accommoder des massacres commis en Europe au cours du XXème siècle au nom du totalitarisme et au nom d’un monde sans Dieu. C’est mon droit de défendre cette conviction.

L’attachement à la laïcité, qui n’est que l’expression, dans la sphère religieuse, du respect et de la tolérance que l’on doit aux convictions d’autrui, doit conduire chacun, comme je l’ai fait avec votre discours Monsieur le Président, à porter la plus grande attention aux propos exacts que j’ai tenus à Rome, et à Ryad. Ces questions sont d’une importance trop grande, trop fondamentale, pour que l’on puisse se permettre les approximations, les amalgames et les raccourcis.

Jamais je n’ai dit que la morale laïque était inférieure à la morale religieuse. Ma conviction, voyez-vous, c’est qu’elles sont complémentaires et que, quand il est difficile de discerner le bien du mal, ce qui, somme toute, n’est pas si fréquent, il est bon de s’inspirer de l’une comme de l’autre. La première préserve des certitudes toutes faites et apporte sa rationalité. La seconde oblige chaque homme, chaque société, chaque époque, à ne pas se penser uniquement comme leur propre fin.

Et jamais je n’ai dit que l’instituteur était inférieur au curé, au rabbin ou à l’imam pour transmettre des valeurs. Mais ce dont ils témoignent n’est tout simplement pas la même chose. Le premier, l’instituteur, témoigne d’une morale laïque, faite d’honnêteté, de tolérance et de respect. Que ne dirait-on pas d’ailleurs si l’instituteur s’autorisait à témoigner d’une morale religieuse ? Le second, le curé, le rabbin ou l’imam, témoigne d’une transcendance dont la crédibilité est d’autant plus forte qu’elle se décline dans une certaine radicalité de vie.

Je souhaite que tous nos enfants reçoivent à l’école l’enseignement d’une morale laïque. Je note, à cet égard, qu’après avoir, à juste titre, abandonné l’enseignement officiel de la morale religieuse, on a abandonné également celui de la morale laïque. C’est pourquoi je défends l’idée que les deux morales sont, à l’évidence, complémentaires.

Mais je maintiens, parce que je le crois profondément, que nos enfants ont aussi le droit de rencontrer, à un moment de leur formation intellectuelle et humaine, des religieux engagés qui les ouvrent à la question spirituelle et à la dimension de Dieu.

Dieu, c’est une idée qui peut être intéressante, suffisamment en tout cas, pour marquer de son emprunte d’immenses civilisations et l’existence de milliards d’hommes. La vie, la mort, le sens de l’existence, l’origine de l’homme, la fin de l’homme. Pas un seul homme, pas une seule femme, croyant, ou incroyant qui ne posent ces questions. Je pense que si nos jeunes peuvent, à un moment de leur vie, être initiés à ces questions-là, c’est mieux que s’ils ne le peuvent pas. Ils en feront ce qu’ils en voudront, mais nul n’est en droit de présumer à leur place. Personne ne veut remettre en cause la laïcité.

Personne ne veut abîmer ce trésor trop précieux qu’est la neutralité de l’Etat, le respect de toutes les croyances, comme celui de la non-croyance, la liberté de pratiquer comme celle d’être athée. Personne ne veut abandonner le mérite, le talent, l’amour de la patrie, comme les seules vertus que la République reconnaît et récompense.

Mais est-ce que cela doit nous interdire pour autant de parler de la religion ? Est-ce que cela doit nous aveugler au point d’ignorer qu’il existe à l’évidence, après la fin des idéologies totalitaires et les désillusions de la société de consommation, une immense demande de spiritualité et de sens ? Est-ce que cela doit nous empêcher de regarder lucidement, cher Dalil BOUBAKEUR, la situation de l’islam de France, que je préfère de beaucoup à l’islam en France ?

Est-ce que cela doit nous détourner du rôle que nous pouvons jouer en faveur du dialogue entre les civilisations, comme je l’ai fait à Ryad, alors que ce dialogue est un enjeu majeur du XXIème siècle ? Est-ce que cela doit me priver, parce que je suis Président de la République, du droit de rencontrer des prêtres, des pasteurs, des rabbins, des religieux, pour leur dire que ce qu’ils font au bénéfice des plus pauvres, que ce qu’il font pour le réconfort des malades, pour l’éducation des jeunes, pour la réinsertion des prisonniers, est tout simplement utile et bien ? Sont-ils des citoyens de seconde zone ? Est-ce que cela doit obliger le Président de la République, pour être républicain, à ne parler que de la sécurité routière, du pouvoir d’achat, de la politique spatiale, sans jamais parler des choses qui peuvent être essentielles, comme la vie, la civilisation, l’amour et l’espérance ? Est-on devenu à ce point sectaire et aveugle qu’on sorte du domaine de la politique ces questions essentielles ?

50 ans après que l’on a fait dire à Malraux que le XXIème siècle serait spirituel ou ne serait pas, 15 ans après que l’on a entendu François Mitterrand confesser croire aux forces de l’esprit, mesure-t-on la chape de plomb intellectuelle qui risque de s’abattre sur notre pays pour qu’on puisse s’offusquer qu’un Président en exercice puisse dire tout simplement que l’espérance religieuse reste une question importante pour l’humanité, et que croire dans quelque chose vaut parfois mieux que croire que tout se vaut ? Voici, mes chers amis, ce que j’ai dit à Rome, et à Ryad. Rien de plus, rien de moins. Et comme on dit : je persiste et j’ai le plaisir de signer.

Monsieur le Président, vous avez eu la gentillesse de rappeler que je m’étais présenté comme un ami d’Israël à une époque où il valait mieux éviter ce genre de déclarations. Car il en va avec les amis d’Israël que, pour certains d’entres eux, ça varie selon les saisons. En ce qui me concerne, je ne connais pas de saison pour cette amitié, ou plutôt c’est la saison perpétuelle. Voyez-vous, à cette époque donc, j’exprimais mes convictions avec la même sincérité que celle qui m’a conduit à développer de manière littéraire un point de vue sur la laïcité, quelques mois avant les élections présidentielles. Oui, c’est vrai, je suis un ami d’Israël et j’attache une grande importance au resserrement des liens politiques, d’amitié et de coopération entre nos deux pays.

L’année 2007 aura été une année dense et fructueuse pour la relation entre la France et Israël. J’ai souhaité que la relation politique soit renforcée et que se développe un dialogue stratégique bilatéral, particulièrement nécessaire dans le monde d’aujourd’hui.

Le nombre conséquent des rencontres bilatérales de ces dix derniers mois est le signe de cette volonté. J’ai eu le plaisir, en particulier, de recevoir à Paris le Premier ministre d’Israël, M. OLMERT. Bernard KOUCHNER s’est rendu en Israël à deux reprises et y retournera dans quelques jours.

L’année 2008, c’est l’année du 60ème anniversaire de la création de l’Etat d’Israël. C’est là un évènement dont nous devons souligner l’importance. Les circonstances de la création de l’Etat d’Israël et la spécificité aussi bien historique, que géographique et politique de ce pays ne doivent pas être oubliées. 2008 sera donc une année particulière pour notre relation bilatérale. D’abord j’ai voulu que la première visite d’Etat en France depuis que je suis Président de la République soit réservée au Président de l’Etat d’Israël, M. Shimon PERES. Il sera parmi nous du 10 au 14 mars et je suis particulièrement heureux que cela soit la première visite d’Etat. Cette visite illustrera la force de l’amitié qui lie nos deux peuples. Elle s’insérera comme l’un des moments historiques de la relation bilatérale. Et je me rendrai en Israël au mois de mai prochain, où je prononcerai un discours à la Knesset, et Israël sera l’invité d’honneur du prochain salon du livre à Paris, qui constitue toujours un événement culturel majeur dans notre pays. Je veux d’ailleurs, puisque j’en suis au point où j’en suis, vous dire que La France souhaite, de toutes ses forces, l’entrée d’Israël dans la francophonie. De même, dans le cadre de notre relation bilatérale, je suis attentif à la volonté d’Israël de développer ses liens avec l’Union européenne. Israël peut compter sur mon soutien pour impulser, dans le cadre – ça tombe bien – de la prochaine Présidence française une nouvelle dynamique à sa relation avec l’Union européenne.

Alors naturellement, le sujet qui préoccupe le plus les Israéliens et les amis d’Israël réunis ce soir, c’est l’issue du conflit israélo-palestinien. La France entend accompagner pleinement Israël dans son chemin vers une paix juste et durable dans la région. Je connais l’état d’esprit qui règne en Israël aujourd’hui. Le peuple israélien, dans sa grande majorité, estime que ce conflit n’a que trop duré. Il est temps pour les deux parties de tourner la page. Israéliens et Palestiniens doivent parvenir à un compromis historique qui permettra à chacun de se tourner vers l’avenir. Je crois que l’opinion publique dans sa sagesse y est prête. Dans l’intérêt même d’Israël, pour sa sécurité et sa pérennité, je partage la conviction de Shimon PERES et d’Ehud OLMERT qu’un accord de paix doit permettre la création, avant la fin 2008, d’un Etat palestinien viable et moderne, aux côtés d’Israël, dans le cadre de frontières sûres et reconnues.

Après des années de défiance, Annapolis a relancé l’espoir. Le dialogue a repris. C’est un tournant historique que nous devons au courage du Président Mahmoud Abbas et du Premier ministre Ehud OLMERT. Nous le devons également au Président BUSH, qui a choisi de réengager résolument les Etats- Unis dans le processus de paix. Il n’était que temps. La Conférence de Paris de décembre dernier a relayé cette espérance. L’aide sans précédent mobilisée par cette conférence est le signe concret de la confiance de la communauté internationale dans la solution de deux Etats. Il est primordial de traduire cet espoir dans les faits.

Il est primordial de créer un choc de confiance qui suscitera une adhésion populaire au processus en cours. Pour ce faire, des avancées concrètes sont attendues sur le terrain. La sécurité est bien évidemment l’une des clés du processus de paix. Le récent attentat de Dimona est hélas venu rappeler la menace terroriste permanente et inacceptable qui pèse sur le peuple israélien. Les tirs de roquettes, que rien ne saurait justifier, doivent cesser. Le soldat francoisraélien Gilad SHALIT doit être libéré. Croyez bien que je ne ménagerai aucun effort en la matière. L’Autorité palestinienne doit poursuivre sa réforme des services de sécurité et la lutte contre le terrorisme. La France ne transigera jamais sur la sécurité d’Israël. Mais l’expérience l’a montré, et d’ailleurs je voudrais dire qu’il n’y a aucune contradiction à avoir un dialogue avec les pays arabes et être l’ami d’Israël. Les pays arabes ont d’ailleurs parfaitement compris que qui voulait avoir une influence sur Israël devait être l’ami d’Israël parce que si on n’est pas l’ami d’Israël, on n’a aucune influence sur Israël, donc on n’est pas un facteur de paix. Donc présenter les deux choses comme une contradiction est complètement absurde. Cela n’a aucun sens, comme d’ailleurs l’a montré l’immobilisme de toutes ces dernières années. Il n’y a pas de solution militaire au conflit avec les Palestiniens et c’est l’ami d’Israël qui le dit. Il faut favoriser une solution politique, une solution négociée.

Les dirigeants israéliens doivent accepter de mettre en oeuvre sur le terrain les mesures de confiance susceptibles de renforcer Mahmoud ABBAS et d’encourager les Palestiniens à soutenir le processus en cours : levée de barrages, réouverture de points de passage à Gaza pour faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, libération en plus grand nombre de prisonniers, réouverture des institutions palestiniennes à Jérusalem-Est. Les Palestiniens doivent pouvoir disposer de leur territoire et le mettre en valeur. Je le dis parce que je le pense et je n’ai que faire de ces discours d’amitié qui ne disent jamais ce qu’ils pensent. Je le dis, la poursuite de la colonisation, qui met en cause la viabilité du futur Etat palestinien et renforce le sentiment d’injustice, est un obstacle à la paix. Et je le dis d’autant mieux que j’ai proposé un nouveau concept qui est celui de deux Etats-Nations et pas simplement de deux Etats,ce qui résoudrait le problème des réfugiés, Monsieur le Président, parce que je sais parfaitement qu’il y a deux façons de détruire Israël, l’une de l’extérieur et l’une de l’intérieur. Mais c’est facile de dire ça, ici cela passe aussi par un arrêt, je le dis comme je le pense, de la colonisation.

Un accord d’ici à la fin de l’année est parfaitement possible. Et je ne vois pas au nom de quoi, ça serait plus facile dans 10 ans, dans 20 ans ou dans 50 ans. Il y a déjà eu assez de souffrance et c’est maintenant qu’il faut trouver un accord et j’irai d’ailleurs le dire auprès de l’autorité Palestinienne au mois de mai et je le dirai à la Knesset. Un ami, c’est quelqu’un qui vous dit ce qu’il pense. La meilleure chance de sécurité et de pérennité pour Israël, c’est d’avoir, à ses frontières, un Etat démocratique, un Etat viable, un Etat moderne, plutôt qu’une bande de terroristes qui prennent certains territoires en otage et une population qui a déjà beaucoup trop souffert. Alors, les leaders israéliens et palestiniens doivent poursuivre le chemin tracé à Annapolis, ils doivent refuser les pièges tendus par les radicaux des deux camps. La France, n’interférera pas dans les négociations en cours, mais la France apportera tout l’appui nécessaire pour encourager l’ensemble des parties à avancer car il s’agit d’une occasion exceptionnelle. Et la France sera au côté du peuple israélien et sera au côté des Palestiniens pour les aider à construire ensemble un avenir de réconciliation.

Je veux le redire ici avec force. La France sera toujours au côté d’Israël parce que l’existence d’Israël est une décision politique majeure du XXe siècle. Et cette existence là, elle n’est pas négociable. Et les préoccupations, face au discours du Hamas et face aux propos insensés du président iranien : Israël est légitime lorsqu’Israël est choquée des propos qu’on aimerait ne plus entendre au XXIe siècle. La France condamne ces propos. Et moi, je ne rencontrerai pas et je ne serrerai pas la main à des gens qui refusent de reconnaître l’existence d’Israël.

Concernant l’Iran, la politique de la France est simple et, me semble-t-il, compréhensible par tous :
 la prolifération est une menace grave pour la sécurité internationale ; nous ne pouvons pas tolérer sans réagir que l’Iran développe de telles technologies en violation du droit international ;
 il appartient à l’Iran de démontrer ses objectifs et de respecter les résolutions des Nations Unies. A quoi sert l’enrichissement de l’uranium en Iran, un pays qui n’en a aucun usage civil ?
 nous proposons à l’Iran un chemin, c’est l’intérêt de ce pays. Ce chemin, c’est celui de renoncer au nucléaire militaire, et je le dis parce que je le pense aussi. Ce serait une grave erreur que de considérer que le nucléaire civil est réservé à l’Occident et de vous adresser à l’ensemble des pays arabes du monde pour leur dire : l’énergie du futur, ce n’est pas pour vous, c’est pour nous.

Que tous ceux qui ne veulent pas une guerre des civilisations entre l’Orient et l’Occident se souviennent de cela. Vouloir garder pour nous l’énergie du futur, c’est condamner un certain nombre de pays à la misère et à la pauvreté. Ces pays dans la misère et la pauvreté : c’est alors là que les terrorismes et les fanatismes prospèrent. Il y a un droit à l’énergie du futur pour tous les peuples qui veulent le développement dans la paix. C’est une grave erreur que de poser comme postulat, que pour avoir droit à l’énergie du futur, il faut être occidental.

En tout cas, je ne m’associerai pas à ceux qui préparent, de façon irresponsable, un conflit de civilisations. Il faut bien réfléchir à cela. Je sais parfaitement ce que je fais, ce que je veux faire pour sortir ces pays du sous-développement, parce que le sous-développement cela veut dire la misère et la misère cela veut dire que la haine progressera. Vous savez, lorsque je le propose à l’Algérie, je ne veux pas que nous nous retrouvions un jour avec un gouvernement taliban en Algérie. Lorsque je propose le développement à l’Afrique du Nord, c’est parce que je ne veux pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Je le dis pour l’Iran : que l’Iran renonce à l’arme nucléaire, que l’Iran accepte les contrôles, que l’Iran respecte sa parole et l’Iran aura le droit, comme tous les autres pays, à l’énergie du futur. Croyez-moi, s’agissant d’un grand peuple et d’une grande civilisation, ils peuvent parfaitement entendre ce message. C’est un grand malheur pour eux d’avoir un Président qui les entraîne dans une impasse. Je ne ferai pas l’amalgame entre un peuple et l’élite d’un moment qui tient des propos, encore une fois, inacceptables.

Alors, à partir du moment où l’Iran n’écoute pas parce que ses dirigeants n’écoutent pas, nous n’avons pas d’autre choix que de renforcer : cela passe par de nouvelles sanctions du Conseil de sécurité et de l’Union européenne et, effectivement Monsieur le Président, par la nécessaire retenue des entreprises vis-à-vis de relations économiques et financières avec ce pays. Nous l’avons dit avec le Premier ministre et la ministre de l’Economie et des Finances. Je l’ai dit aux entreprises de France, et que tous les pays européens fassent ce qu’a fait la France. Je ne veux pas d’un double langage. Il y a des sanctions à l’endroit de l’Iran. Pour nos entreprises, fusse-t-il pour des intérêts économiques que je peux comprendre, je n’accepte pas qu’elles commercent avec un pays que nous sommes obligés de tenir en marge de la communauté internationale.

Les choses sont claires, Monsieur le Président, les entreprises, qui feraient cela, le feraient en violation de règles édictées par le gouvernement de la République française. Pas deux langages, pas deux poids et deux mesures, un seul.

Vous avez parlé de la conférence de Durban. Je vais vous le dire : la conférence de Durban en 2001 a donné lieu à des débordements intolérables de la part de certains Etats et de nombreuses organisations non gouvernementales qui ont fait de cette conférence une tribune contre l’Etat d’Israël. Personne n’a oublié. Une conférence de suivi est prévue pour 2009. Monsieur le Président, vous m’avez interpellé. Je vous répondrai très franchement. La France n’acceptera pas que les dérives et les outrances de 2001 se répètent. Nos partenaires européens partagent les inquiétudes de la France. Celle-ci présidera l’Union européenne dans les derniers mois précédant la conférence de suivi. Je vous le dis, nous saurons nous désengager du processus si nos exigences légitimes ne sont pas prises en compte. J’estime que ma réponse est sans ambigüité.

Je vous remercie enfin, Monsieur le Président, d’avoir fait mention, dans votre beau discours, de ce projet que je forme d’une Union pour la Méditerranée. Je voudrais vous dire, avec la simplicité qui caractérise les propos que peuvent s’échanger des amis, que je crois et que j’espère dans ce projet aussi fortement que Jean MONNET et Robert SCHUMAN croyaient dans leur projet d’une Europe du charbon et de l’acier préfigurant une union politique des pays européens.

Pour la France et pour l’Europe, le cercle formé par les pays riverains de la Méditerranée est le lieu de toutes les richesses et de tous les dangers. La Méditerranée peut devenir un fossé qui se creuse inexorablement et relègue définitivement l’Afrique aux frontières du développement et de la démocratie. Mais elle peut aussi devenir un trait d’union de paix et de prospérité entre les peuples de ses deux rives. Ma conviction est que nous avons le pouvoir de choisir et que la politique n’a aucun sens, aucune raison d’être, si elle n’est pas capable d’oser faire le choix du rêve méditerranéen.

C’est pourquoi, le 20 décembre dernier, à Rome, avec le Premier ministre espagnol et le Premier ministre italien, j’ai lancé un appel pour la création d’une Union pour la Méditerranée,. Rassemblant sur un pied d’égalité tous les pays riverains de la Méditerranée, dont naturellement Israël dont il me semble difficile d’indiquer que ce n’est pas un pays méditerranéen. Cette Union aura pour objet de créer des solidarités de fait entre ses membres par la mise en oeuvre de projets concrets. Bien sûr, de nombreux obstacles se dressent, à commencer par le scepticisme, le manque d’audace, le manque d’ambition, voire le désenchantement, la perte de foi dans la politique. Mais vous connaissez cette formule, ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne les faisons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. Je m’en sers pour l’Union pour la Méditerranée mais les nécessiteux sont innombrables.

Depuis 2002, je vous remercie de l’avoir noté, nous avons beaucoup travaillé pour combattre et enrayer l’accroissement des actes antisémites commis sur notre territoire. Tout au long de ces années, j’ai entendu dans cette salle bien des commentaires et bien des discours. Que l’on me pardonne de dire cela, mon ami Roger CUKIERMAN ne m’en voudra pas, on a d’abord fait un premier travail : c’était de mettre les statistiques du CRIF en accord avec les statistiques du ministère de l’Intérieur. Je salue l’action de Michèle ALLIOT-MARIE. Je voudrais dire une chose : lorsque je suis devenu ministre de l’Intérieur, je me suis dit : mais c’est curieux, mes services et les services du CRIF ne sont pas d’accord. Il y avait un problème d’honnêteté, de transparence. Cela ne sert à rien de sous-estimer facticement un drame ou un problème. Depuis, cette polémique n’existe plus. Cela a été réglé. Je considère effectivement que, quand on incendie une synagogue, ce n’est pas seulement un bâtiment public que l’on incendie, ce n’est pas seulement une incivilité. C’est plus grave que cela, c’est un fait de racisme et d’antisémitisme.

Je me souviens d’avoir créé une fameuse polémique en disant que, pendant trop longtemps, notre pays avait sous-estimé l’existence de l’antisémitisme. Je l’ai fait parce que je pensais que c’était vrai. Je ne voulais accuser personne, simplement décrire une réalité. J’ai d’ailleurs toujours été fasciné par cette propension que nous avons à expliquer l’antisémitisme. Il y a l’antisémitisme de l’extrême-droite et puis il a l’antisémitisme d’une certaine gauche, et puis il y a l’antisémitisme bourgeois, et puis l’antisémitisme qui est lié au sionisme. Mais, à l’arrivée, de quoi parle-t-on ? On parle de la folie. On parle de la bêtise. On parle de la haine. J’ai toujours pensé que quantité de colloques pour expliquer les différents chemins qui mènent à l’antisémitisme aboutiraient un jour, que l’on verrait que des chemins sont moins graves que d’autres et qu’expliquer cela, c’était, en quelque sorte, le banaliser.

Nous avons multiplié les actions. Nous avons débloqué plusieurs millions d’euros pour sécuriser, avec le fonds social juif unifié, un certain nombre de lieux particulièrement exposés, en particulier les écoles et les synagogues. Le gouvernement vient de renouveler la convention annuelle qui le lie au fonds de solidarité de la communauté. Voilà d’ailleurs une action pour laquelle il a fallu vaincre bien des rigidités, qui n’étaient pas toutes étrangères à une conception étroite de la laïcité. Il serait tout à fait légitime pour une collectivité d’aider à la sécurisation d’un club de sport et tout à fait illégitime d’aider à la sécurisation d’un lieu de culte. Vraiment, honnêtement, je ne vois pas au nom de quoi.

Nous avons obtenu des résultats. Les faits d’antisémitisme sont en baisse dans notre pays. Notre image internationale s’est significativement redressée. Mais j’avoue que ma plus grande tristesse demeure de ne pas avoir pu empêcher, alors que j’étais ministre de l’Intérieur, le meurtre barbare d’Ilan Halimi. Nous l’avons retrouvé, il était trop tard. Croyez bien que, pour moi, cela reste un regret et un chagrin réels. Je ne sais pas si on aurait pu lui sauver la vie avant. Ce qui s’est passé là, on n’a pas le droit de l’oublier. J’ajoute que la lutte contre l’antisémitisme -pardon de vous le dire- ce n’est pas l’affaire de la communauté juive de France. La lutte contre l’antisémitisme, c’est l’affaire de la République dans son ensemble.

Chaque fois que l’on frappe ou que l’on insulte un Juif, ce n’est pas la communauté qui doit se sentir insultée ou frappée, c’est le drapeau de la République qui est entaché. Chaque fois qu’un Juif de France meurt, ce n’est pas le problème de la communauté juive de France, c’est le problème de la communauté nationale dans son ensemble.

La mémoire de la Shoah joue un rôle capital. Je sais que vous y êtes attentifs.

L’Etat participera au financement du budget de fonctionnement du mémorial du Camp des Milles, Monsieur le Président, je vous l’ai promis. Vous avez évoqué, dans votre discours, le 65ème anniversaire du ghetto de Varsovie, qui sera célébré cette année. Comme la plupart d’entre vous, je connais Varsovie et, la gorge nouée par l’émotion, j’ai arpenté l’ancien quartier du ghetto, longé les quelques pans de mur qui subsistent, visité l’ancien cimetière et sur le monument commémoratif de l’insurrection du ghetto, au bord de cette esplanade battue par les vents, j’ai vu l’ombre de Willy BRANDT agenouillé, geste inouï d’humilité, de sobriété, de respect et de repentance. Face à ce monument, se construit actuellement, vous en avez parlé, un musée de l’histoire des Juifs de Pologne. Il témoignera des mille ans d’histoire et de culture juives en Pologne et de l’extrême rapidité avec laquelle la haine peut entraîner toute une population dans l’horreur. La France soutient ce projet, important pour la mémoire de l’Europe et lui apportera son concours.

Mais c’est d’abord à la mémoire et à la transmission de la Shoah vers les jeunes générations que la France doit consacrer toute son attention et toute son énergie. Nous le devons aux victimes. C’est surtout notre meilleure arme contre le racisme et l’antisémitisme, et notre seule protection contre la réitération des faits et le réveil de la bête immonde. Mais cette éducation doit être suffisamment précoce pour toucher aussi les coeurs. C’est dans les premières années de l’éveil de sa conscience qu’un enfant doit être élevé dans le rejet absolu du racisme. En même temps, je sais qu’il n’est guère facile d’initier des enfants de primaire à la complexité de la seconde guerre mondiale et de la solution finale. C’est pourquoi j’ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l’Education nationale, Xavier DARCOS, de faire en sorte que désormais, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d’un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah. Rien n’est plus intime que le nom et le prénom d’une personne. Rien ne touche autant un enfant que l’histoire d’un autre enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies, et les mêmes espérances que lui, mais qui, à l’aube des années 40, avait le malheur de répondre à la définition de juif.

A Paris, au mémorial de la déportation, chacun verra donc le nom de l’enfant dont le souvenir lui aura été confié. Et pas un seul de nos enfants ne pourra oublier qu’en dehors de cette inscription, ce n’est qu’entre ses mains que subsiste un petit fragment de mémoire de cet enfant.

Vous m’avez appelé, Monsieur le Président, à ne pas céder sur Guy MOQUET. Vous voyez, je persiste, je propose et je signe. J’espère, Mesdames et Messieurs, mes chers amis, que vous avez compris que ma présence ici, en tant que chef de l’Etat, était importante car j’avais des choses à vous dire.

Je vous remercie.