Cette affaire des visas a une incidence sur tous les étrangers. Ils constituaient déjà un sujet sensible, ils sont désormais victimes des dommages collatéraux causés par la tentative de chasser Fischer de son poste. Depuis 15 ans que je suis arrivé de Moscou à Berlin, j’essaye de rapprocher les cultures et aujourd’hui les médias propagent à l’unisson l’idée selon laquelle les Ukrainiens, il y a peu célébrés comme des héros de la démocratie, ne sont qu’une horde de voleurs, de tueurs et de maquereaux. Les Allemands qui ont autant de perspectives que s’ils vivaient dans un parking souterrain représentent un terreau fertile pour ce genre d’idées. Les hordes venues de l’Est avaient joué un rôle important dans la propagande hitlérienne.
Les travailleurs au noir venus d’Ukraine sont très populaires chez ceux qui les exploitent, beaucoup moins parmi les cinq millions de chômeurs. Fischer a fait en sorte qu’aucun soldat allemand n’aille se faire sauter en Irak, c’est plus important que la gestion du consulat de Kiev. Plus le régime des visas sera restrictif, plus la proportion de criminels sera grande. Ils ont de l’argent, pas de scrupules, ils trouveront toujours un moyen. Parmi mes amis, seulement un sur dix environ a obtenu un visa après en avoir fait la demande. Après cette affaire, et grâce à la CDU et aux médias, c’est un sur cent qui recevra un visa. Je propose au gouvernement de fermer tous les consulats à l’Est, l’Allemagne sera plus sûre.
Les victimes de cette affaire sont les Allemands, la campagne a insufflé la peur de l’étranger. Les Allemands préfèrent mourir dans le dénuement plutôt que d’accepter des étrangers qui vont relancer la consommation. Ils ont besoin d’un nouvel ennemi après la chute du communisme : les islamistes, les prédicateurs de haines, les terroristes dormants des pays arabes. Les Vietnamiens sont des revendeurs de cigarettes, les Nigérians des dealers d’héroïne et désormais les Ukrainiens des putes et des voleurs.
J’ai obtenu le statut de réfugié en 1990, en tant que juif d’ex-URSS, nous étions les premiers à ne pas avoir une utilité pratique, au contraire des Italiens et des Turcs dans les usines et des Thaïlandaises dans les bordels. J’ai depuis reçu la nationalité allemande, mais à chacune de mes conférences, il se trouve toujours quelqu’un pour me demander, pas du tout méchamment, « quand rentrez-vous en Russie ? ».

Source
Der Spiegel (Allemagne)
Diffusion (exemplaires) : 1 100 000 Un grand magazine d’enquêtes, lancé en 1947, à l’origine de plusieurs scandales politiques. Connu pour avoir développé son propre jargon journalistique, il publie aussi quatre hors-séries par an. Le site du Spiegel est le magazine en ligne qui a le plus de succès en Allemagne.

« Deutschland muss raus aus der Tiefgarage », par Wladimir Kaminer, Der Spiegel, 14 mars 2005. Ce texte est adapté d’une interview.