« Par-delà la guerre »

Par-delà la guerre
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Jean-Pierre Chevènement est maire de Belfort et président du Mouvement Républicain et Citoyen. Il a été ministre de la Défense du gouvernement de Michel Rocard (1988-1991) et ministre de l’Intérieur de celui de Lionel Jospin (1997-2000).

[RESUME] En 1987, Paul Kennedy pointait déjà la fragilité de la superpuissance américaine, la mettait en garde contre une « surexpansion impériale » et voyait dans l’énorme dette des États-Unis la principale faiblesse de ce pays. Selon moi, la deuxième faiblesse des États-Unis est que leur suprématie militaire ne peut leur donner un contrôle des âmes et que 280 millions d’hommes ne peuvent en dominer six milliards.
Il ne fait nulle doute que la paix dans le monde nécessite qu’il y ait un gendarme, mais plus encore, elle nécessite une justice et pas du manichéisme et de la diabolisation. Saddam Hussein n’est ni le diable, ni Hitler.
Les objectifs de l’administration Bush en Irak sont grandement aléatoires :
 Les États-Unis veulent empêcher la prolifération, mais ils veulent éradiquer le régime irakien et laissent en place celui de Corée du Nord.
 Ils veulent lutter contre le terrorisme, mais l’exacerbent.
 Bush veut un État palestinien, mais il risque d’encourager l’invasion de la Cisjordanie.
 Les États-Unis veulent démocratiser le Moyen-Orient, mais la guerre provoquera un chaos d’où émergeront des dictatures.
 Paul Wolfowitz affirmait en 1992 vouloir éviter l’émergence d’un rival pour les États-Unis, mais la politique de Washington provoque la méfiance envers ce pays.
 Dick Cheney veut que les États-Unis contrôlent le pétrole sans se soucier de l’impact sur l’environnement de l’augmentation de la consommation.
 Bush veut être réélu en 2004, mais ce n’est pas le chaos qu’il installe qui lui facilitera la tâche.
En définitive, les risques de cette guerre sont plus élevés que ce que les États-Unis peuvent espérer gagner.
Il existe deux tendances aux États-Unis, transcendant les partis, la promotion de la domination militaire unilatérale et celle de la coopération internationale. Suivant un mouvement de balancier, cette dernière va bientôt s’imposer de nouveau en Amérique et les Européens doivent déjà penser au monde multipolaire, respectueux des souverainetés des peuples qu’il faudra mettre en place et ne pas céder à la propagande actuelle. Il faut d’ores et déjà responsabiliser l’Europe en développant sa défense et organiser une politique de relance économique mondiale concertée.
De la guerre doit découler un nouveau monde, plus humain, si on aide les États-Unis à redevenir une grande nation démocratique et non plus un empire.

« Gagner un empire en perdant une démocratie ? »

Gaining an empire, losing democracy ?
International Herald Tribune (États-Unis)

[AUTEUR] Norman Mailer est auteur et journaliste, son dernier livre est The Spooky Art : Some Thoughts on Writing. Cette tribune est adaptée d’un discours prononcé le 22 février devant le Los Angeles Institute for the Humanities

[RESUME] Les Bushistes semblent croire que la seule façon de sauver l’Amérique est d’en faire un empire militariste au prix de la démocratie.
Notre pays est en train de devenir fou : aux yeux des conservateurs, même la culture est suspecte. La guerre en Irak est la première étape permettant l’édification d’un empire mondial et la seule opposition à ce rêve est la Chine, pays qui nous dépassera technologiquement un jour ou l’autre. L’Amérique se comportera alors avec la Chine comme les Romains avec les Grecs.
Malheureusement pour les Bushistes, leur politique suscite beaucoup d’opposition et cela pourrait les empêcher de faire la guerre. Toutefois, je pense qu’elle aura lieu car ils sont incapables de penser à une autre solution. Bush transforme l’Amérique en méga-république bananière où l’armée aura de plus en plus de pouvoirs et où la démocratie disparaîtra. Le fascisme, après tout, est peut-être la forme naturelle des États si on ne se donne pas la peine de défendre la démocratie.

« La guerre pour la paix ? Ça a marché dans mon pays »

War for Peace ? It Worked in My Country
New York Times (États-Unis)

[AUTEUR] José Ramos-Horta est ministre des affaires étrangères et de la coopération du Timor oriental et Prix Nobel de la Paix en 1996.

[RESUME] Dans ma famille, nous étions sept frères et cinq sœurs. Nous ne sommes aujourd’hui plus que trois frères, la plupart des autres étant morts dans les conflits contre les troupes indonésiennes équipées par les États-Unis ou les autres pays occidentaux dans l’indifférence du reste du monde. Il n’existe pas de familles dans mon pays qui n’ait pas perdu un membre dans les décennies d’occupation indonésienne et dans la guerre de résistance.
Les pays occidentaux qui avaient laissé faire se sont rachetés en créant une force d’interposition en 1999, puis en garantissant l’indépendance de mon pays et de mon peuple. Nous désespérions pendant notre lutte de voir un gouvernement étranger venir à notre aide. C’est pour cela qu’aujourd’hui je suis consterné de voir que certains dirigeants européens empêchent d’exercer le seul moyen de pression contre Saddam Hussein : la menace militaire. C’est cette seule menace qui a permis aux inspecteurs de revenir à Bagdad et qui pousse l’Irak à collaborer.
Les mouvements anti-guerre ont une position noble, mais s’ils dissuadent les États-Unis et leurs alliés de faire la guerre, ils contribueront à la paix des morts. Saddam Hussein a fait deux guerres. Il opprime son peuple et l’endiguement ne fonctionne pas contre lui. Pourquoi les manifestants anti-guerre ne réclament-ils pas la fin des atteintes aux Droits de l’homme en Irak ? Les manifestants rejettent la réalité du régime irakien à la faveur de leur anti-américanisme.
Je souhaite qu’on accorde plus de temps aux inspections et qu’on négocie le départ volontaire de Saddam Hussein, mais cela n’est possible qu’avec la menace militaire. Les mouvements pacifistes ne doivent pas permettre à un dictateur de rester au pouvoir. Un intellectuel Kosovar m’a dit un jour : « je suis pacifiste. Mais j’ai été heureux, je me suis senti libéré, quand j’ai vu tomber les bombes de l’OTAN ».

« De Belgrade à Bagdad : les leçons du Kosovo »

From Belgrade to Baghdad : the lessons of Kosovo
International Herald Tribune

[AUTEUR] Wolfgang Petritsch a été chef des négociations pour l’Union Européenne aux discussions de Rambouillet sur le Kosovo en 1999.

[RESUME] Si Slobodan Milosevic et Saddam Hussein ont tous les deux commis des crimes abominables, c’est leur seul point commun.
Le conflit en Yougoslavie a commencé après l’échec de toutes les tentatives de négociations. En Irak, grâce aux menaces états-uniennes, les inspections ont repris et même si elles ne sont pas menées dans des conditions optimales, elles obtiennent de bons résultats. Ainsi de 1991 à 1998, elles avaient permis de détruire plus d’armes de destruction massive que la guerre du Golfe. Si on donne plus de moyens aux inspecteurs, ils peuvent parvenir à désarmer l’Irak.
Nous ne sous-estimons pas le danger représenté par les armes de destruction massive, mais nous pensons que le chaos qu’engendrerait une guerre peut justement permettre à des groupes terroristes de s’en emparer. Nous sommes conscients que l’Irak restera un problème tant que Saddam Hussein restera au pouvoir, mais nous ne pensons pas que l’élimination de Saddam Hussein ou l’arrivée d’un Mac Arthur en Irak conduira à la démocratie dans ce pays. En outre, tout comme au Kosovo, il était impossible d’agir sans prendre en compte l’intégralité des relations serbo-albanaises, il est impossible d’agir au Proche-Orient sans s’attaquer à l’ensemble des problèmes de cette région, et notamment le conflit israélo-palestinien.

« Ferveur napoléonienne »

Napoleonic Fervor
Washington Post (France)

[AUTEUR] Robert Kagan est membre de la Carnegie Endowment for International Peace. Il est analyste sur les questions de stratégie militaire et écrit une tribune mensuelle dans le Washington Post.

[RESUME] D’après Dominique Galouzeau de Villepin, Waterloo était un moment glorieux de l’histoire française malgré la défaite. C’est sans doute l’esprit de Napoléon à Waterloo qui inspire Villepin et la politique étrangère française.
En effet, Chirac et Villepin se dirigent vers un Waterloo. Ils savent qu’ils ne peuvent pas empêcher Tony Blair et George W. Bush de faire la guerre en Irak, mais de la défaite ils espèrent tirer des victoires futures. Tout d’abord, ils veulent une victoire de principe, Chirac et Villepin estimant être les seuls garants d’une vision du monde européenne opposée à celle de leur pire ennemi : les États-Unis. Ils espèrent que la guerre sera un désastre pour les États-Unis et leurs alliés européens et que les gouvernements pro-états-uniens tomberont. Cela permettra à la France de réaliser son objectif de toujours : dominer l’Europe.
Les États-Unis vont peut-être gagner la guerre en Irak, mais la France peut diriger le continent dans les années ou les décennies à venir. Les États-Unis ne doivent pas trop compter sur les pays de l’Est pour rester à leurs côtés car plus ils seront intégrés dans l’Europe, plus ils se rapprocheront des positions franco-allemandes. Après tout, c’est peut-être la France qui incarne la « nouvelle Europe » et ceux qui veulent préserver les relations transatlantiques qui représentent la « vieille Europe ». Malheureusement, pour réaliser son rêve, tout comme Napoléon, la France causera des destructions, surtout dans les organisations internationales. L’OTAN, l’ONU et l’Union Européenne risquent d’en payer le prix.
Toutefois, les États-Unis peuvent conserver des soutiens en Europe avec un succès en Irak car tout le monde ne trouve pas de gloire dans la défaite.

« Une guerre de libération »

A war of liberation
Washington Times

[AUTEUR] Dr. Najmaldin Karim est neurochirurgien. Il est président du Kurdish Institute de Washington et membre du Comité de coordination de l’opposition irakienne.

[RESUME] L’Amérique ne se bat pas pour obtenir des gains mais pour défendre des principes, pour l’amour de la liberté, la sienne et celle des autres. Malheureusement, tous les pays ne sont pas comme elle et, alors que Colin Powell travaille à la libération de l’Irak, un petit nombre de dirigeants états-uniens et la Turquie veulent qu’Ankara envahisse le Kurdistan irakien.
La semaine dernière, En Turquie, Washington a demandé aux dirigeants kurdes d’accepter sur leur sol les troupes turques, temporairement. Dans le même temps, Abdullah Gül, le premier ministre turc déclarait que la guerre en Irak ne concernait pas la Turquie, mais que son pays, qui a refusé de voir ses troupes sous commandement états-unien, se réservait la possibilité d’agir dans le nord de l’Irak pour éviter des massacres, des vagues de réfugiés vers ses frontières et empêcher l’établissement d’un État kurde indépendant.
Nous savons que l’armée turque n’est pas une force de maintien de la paix crédible compte tenu de ses exactions bien connues contre des civils. La crainte affichée d’un État indépendant kurde est exagérée puisque les dirigeants de la région autonome veulent seulement un régime fédéral en Irak. Ankara refuse même ce fédéralisme et cherche un prétexte pour envahir le nord de l’Irak. Si l’armée turque nous envahit, nous nous défendrons des deux côtés de la frontière et cela affaiblira l’économie turque tout en brisant ses rêves d’intégration européenne. En outre, cela serait dommageable pour la position politique de Washington et pourrait pousser l’Iran à exercer son influence en Irak et en Afghanistan.

« Le sida en Afrique : l’état d’alerte »

Le sida en Afrique : l’état d’alerte
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Renaud Muselier est secrétaire d’état UMP aux affaires étrangères français.

[RESUME] Les populations africaines vivent une catastrophe avec le sida. On ne peut que se féliciter que le président Bush ait annoncé que les États-Unis feraient des efforts financiers pour lutter contre cette maladie et que Jacques Chirac, qui présidera le G8 en 2003, ait présenté l’Afrique comme la priorité de sa présidence.
En Afrique, 29 millions de personnes sont touchées par cette maladie. Elle tuera 70 millions de personnes d’ici à 20 ans. L’épidémie bouleverse l’ensemble des structures politiques, économiques et sociales et provoque une crise alimentaire en touchant essentiellement les forces vives des nations africaines. Face à cette situation, la solidarité africaine ne suffit plus et il nous faut l’aider en suivant quatre grand axes :
 L’aide à la recherche pour trouver un vaccin.
 Le soutien aux campagnes de prévention et d’information.
 Le développement de l’accès aux soins.
 L’augmentation de l’aide financière versée par les pays riches au fond mondial de lutte contre le sida et la mobilisation des ressources du secteur privé.
Le sida ne doit pas être banalisé et j’espère avoir contribué à donner un coup de projecteur sur ce drame.