Aujourd’hui, John Kerry dépasse George W. Bush dans les sondages. La situation peut évoluer et les sommes dépensées durant la campagne auront un effet déterminant, mais elle offre déjà deux enseignements : pour la première fois depuis 1984, les relations internationales et la place des États-Unis dans le monde seront un thème central de la campagne et, sauf revirement exceptionnel en Irak, les évènements internationaux risquent de plaider contre George W. Bush.
Toutefois, ceux qui espèrent que l’arrivée de Kerry au pouvoir entraînera un changement global de la politique étrangère des États-Unis risquent d’être très déçus. En effet, il faut prendre en compte le fait que les politiques étrangères sont comme de gros tankers et qu’il est très difficile de les faire changer de cap. Les révolutions stratégiques sont plus l’exception que la règle et le poids du Congrès dans la politique étrangère aura en outre un impact déterminant. Il ne faut pas oublier par ailleurs que Kerry a voté en faveur de la Guerre d’Irak et du Patriot Act. Il a beau affirmer souhaiter la ratification du Traité interdisant les essais nucléaires, la Convention sur la vérification des armes biologiques, le Protocole de Kyoto et le Traité de la Cour criminelle internationale, pourra-t-il faire changer d’avis le Sénat et obtenir la majorité des deux tiers ?
Il poursuivra vraisemblablement la politique unilatérale initiée par Bill Clinton et seulement renforcée par George Bush. Il a déjà affirmé à la communauté juive new-yorkaise qu’il ne changerait pas la ligne de conduite de son pays vis-à-vis d’Israël. De son côté, le Congrès devrait continuer à s’opposer à l’évolution du partenariat transatlantique. Ce n’est pas un hasard si Howard Dean avait présenté Kerry comme le candidat du compromis et de l’establishment et avait concentré ses attaques sur lui.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« La stratégie américaine figée », par Pascal Boniface et Barthélemy Courmont, Libération, 8 mars 2004.