La crise du Darfour peut conduire à une grave catastrophe humanitaire et menace la stabilité et la sécurité d’une région névralgique du continent africain. Le Soudan est en effet le plus grand pays d’Afrique, à la charnière des mondes arabe et africain. La guerre, qui s’y poursuit au Sud depuis plus de vingt ans, est pour beaucoup un symbole du combat entre musulmans et chrétiens. Le Darfour, région musulmane, essentiellement africaine, ajoute une dimension supplémentaire : celle d’un affrontement possible entre Arabes et Africains. Le Conseil de sécurité des Nations unies n’a-t-il pas lui-même reconnu, dans sa résolution 1556, que « la situation au Soudan constitue une menace pour la paix et la sécurité internationale » ?
La France a reconnu très tôt la gravité de la situation. Mon prédécesseur Dominique de Villepin a été le premier représentant d’une puissance occidentale à venir, dès février dernier, au Tchad puis au Soudan, pour évoquer la question du Darfour. Je me suis moi-même rendu à el-Fasher le 27 juillet dernier pour apporter le soutien de la France à l’action de l’Union africaine. Dès décembre, la France soutient le travail des ONG au Darfour. Aujourd’hui, l’aide globale de l’Europe s’élève d’ores et déjà à plus de deux cent vingt millions d’euros, soit près du double de l’aide américaine. La France agit depuis le territoire tchadien pour venir en aide aux réfugiés et se mobilise avec ses soldats au Tchad qui assurent le long de la frontière une mission de soutien à l’action d’observation de l’Union africaine. Michelle Alliot-Marie était elle-même, il y a quelques jours, sur place. L’urgence est aussi, et surtout, politique car il n’y aura pas de solution durable au conflit du Darfour sans un accord politique. Il est impératif de faire pression pour que toutes les parties, mouvements rebelles comme autorités de Khartoum, respectent le cessez-le-feu négocié en avril dernier et participent de manière sérieuse aux négociations initiées le 15 juillet dernier à Addis-Abeba par l’Union africaine. Cela sera long et difficile, mais c’est le seul moyen de sortir de la crise et d’éviter une confrontation entre l’Islam et l’Occident que certains ne manquent pas d’appeler de leurs vœux. La diplomatie française se veut avant tout efficace sur ces trois aspects en suivant trois principes : privilégier une solution africaine issue de l’UA, encourager le dialogue entre toutes les parties en conflit, insister sur le respect des engagements pris, mettre en place un processus par étape avec la communauté internationale permettant de progresser dans la voie d’un accord.
Ne soyons pas naïfs : les défis qui nous attendent au Darfour sont immenses. Et les enjeux au cœur de cette région témoignent, une fois encore, des affrontements qui menacent notre monde. C’est une raison supplémentaire pour la France de proposer ce chemin qui s’écarte autant de la complaisance que de l’intransigeance. Le Darfour et, au-delà, l’Afrique ont besoin de dialogue, d’écoute et d’attention. À nous de les appuyer dans la recherche difficile d’une solution essentielle à la stabilité de tout un continent.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Darfour : le médecin, le soldat et le diplomate », par Michel Barnier, Le Figaro, 12 août 2004