L’intégration de l’Union européenne, dans une entité politique transatlantique sous direction états-unienne, vient de connaître un premier revers et cela après une vingtaine d’années d’un mouvement univoque, pendant lesquelles s’est développé un processus de fusion politique.

Celui-ci s’est d’abord concrétisé au niveau de la coopération policière communautaire, organisée directement par le FBI depuis la fin des années 80. La deuxième étape de l’intégration a débuté par le contrôle états-unien de la coopération judiciaire. Les accords d’extradition signés entre les USA et l’Union européenne [1] constituent une pièce maîtresse dans la constitution d’un « espace de liberté, de sécurité et de Justice » transatlantique [2]. Ce deuxième procès est sous tendu par une saisie de plus en plus importante des données relatives à la vie privée.

La capture des informations personnelles, justifiées au niveau pénal, est avant tout une accumulation économique primitive devant aboutir à l’installation de nouveaux rapports de propriété, consacrant la fin de la propriété de soi [3]. La saisie des données privées résulte d’initiatives états-uniennes et se sont accompagnées de leur transfert massif vers les USA. Des accords signés entre le Conseil de l’Union européenne et les Etats-Unis ont légitimé une capture de fait, qui, dans un premier temps, s’est d’abord imposée comme un pur rapport de forces violant le droit européen [4].

En ces matières, le Parlement européen avait seulement une compétence d’avis. Cependant le Traité de Lisbonne a accordé à cette assemblée de nouvelles compétences en matière police-Justice. Le Parlement a étrenné ses nouveaux pouvoirs en refusant un projet d’accord de transfert des données financières des citoyens de l’Union vers les USA. Plusieurs accords « Swift », justifiant les saisies états-uniennes, avaient déjà été signés par le Conseil. Ce refus est donc une première. Ce faisant, il constitue une rupture dans la légitimation constante du rapport de domination exercé par les USA sur les populations européennes. Il ouvre ainsi une possibilité de coupure entre rapport de domination et hégémonie, entre pur rapport de forces et consentement.

Le Parlement européen refuse l’accord transitoire

Ainsi, malgré les pressions du Conseil européen, de la Commission et de nombreux Etats membres [5], qui avaient multiplié les promesses tardives pour convaincre les députés, l’assemblée plénière du Parlement européen à Strasbourg a refusé, ce 11 février, de ratifier l’accord « Swift » signé par la Commission européenne avec les autorités états-uniennes [6]. Il s’agit là d’une réaction du Parlement face à une évolution structurelle des relations transatlantiques, qui donne à l’exécutif états-unien une souveraineté directe sur les populations européennes. Si la réaction des députés n’a pas les moyens de remettre en cause le rapport de domination qui préside à ces relations, il marque cependant un cran d’arrêt dans l’exercice de l’hégémonie états-unienne, dans le processus de reconnaissance par les Européens du droit que s’est donné Washington d’organiser leur existence.

Le texte soumis aux députés accordait aux services US le droit de capturer, sur le sol européen, les informations liées aux transactions financières transnationales des ressortissants des pays membres de l’UE. Par une large majorité, l’assemblée a ainsi suivi l’avis de la Commission des Libertés civiles et de la Justice qui, le 4 février, avait demandé à l’assemblée de rejeter l’accord avalisé le 30 novembre 2009 par le Conseil des ministres de l’Intérieur de l’UE [7].

Cet accord permettait aux autorités états-uniennes de se saisir, sur les serveurs de la société Swift placés sur le sol de l’ancien continent, des données financières des citoyens européens. Selon la Commission des Libertés du Parlement, le texte n’offre pas suffisamment de garanties pour la protection de ces informations personnelles transmises à l’administration US. De plus, elle s’était insurgée contre le caractère unilatéral du texte, puisque les Etats-uniens sont les seuls à exploiter ces informations. Les enquêteurs européens n’ont, quant à eux, pas accès aux données US placées sur le serveur situé aux USA.

Un point d’arrêt à l’hégémonie états-unienne ?

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, Swift, société américaine de droit belge a transmis clandestinement, au département du Trésor US, des dizaines de millions de données confidentielles concernant les opérations de ses clients. Malgré la violation flagrante des droits, européen et belge, de protection des données personnelles, ce transfert n’a jamais été remis en cause. Au contraire, l’UE et les USA ont signé plusieurs accords destinés à légitimer cette capture. C’est le dernier de ceux-ci que vient de refuser le Parlement. Cet accord fait suite à une réorganisation du système Swift afin que les données inter-européennes ne quittent plus le sol de l’ancien continent, au lieu d’être envoyées sur un second serveur aux Etats-Unis. Ce changement impliquait que les autorités états-uniennes aient accès directement aux données placées sur les serveurs européens. Ce qui implique la reconnaissance d’un transfert de souveraineté à l’exécutif états-unien.

L’opposition du Parlement à ce transfert unilatéral des données financières des Européens constitue un cran d’arrêt dans le processus de reconnaissance de l’hégémonie US sur les citoyens de l’ancien continent. Cependant, le rapport de domination états-unien reste intact, puisque les Américains n’ont jamais cessé d’avoir accès aux données européennes, même lorsque la violation du droit de l’Union avait été révélée et qu’aucun accord légitimant la capture des informations n’avait encore été signé. C’est encore le cas actuellement. Le nouveau serveur placé sur le sol européen est opérationnel depuis fin 2009 et les autorités états-uniennes y ont directement accès en justifiant leur action par l’urgence de la lutte antiterroriste. On peut supposer que cette situation de fait ne sera pas modifiée par le vote du Parlement européen.

Les conséquences de la réaction du Parlement européen doivent être lues sur un autre plan, celui de l’évolution de l’ensemble des relations USA-UE et notamment du projet de création d’un grand marché transatlantique, véritable acte d’intégration de l’Union européenne dans une structure politique impériale organisée par Washington. Dans ce projet, il est notamment prévu la création d’une assemblée transatlantique destinée à légitimer l’action en cours. A la lumière de la dernière réaction du Parlement, ce dernier objectif pourrait bien ne pas être le long fleuve tranquille espéré tant par les autorités états-uniennes que par la Commission et le Conseil de l’UE.

[1« Europe-Etats-Unis : un rapport impérial », par Jean-Claude Paye, Le Monde, le 24 février 2004, in Réseau Voltaire, le 25 février 2004.

[2« Un nouvel ordre politique : Le futur grand marché transatlantique », par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, le 4 février 2009

[3Ibidem.

[5« Nous sommes déçus de ce revers dans la coopération antiterroriste avec l’UE », Interview de William Kennard, ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’Union européenne, Le Monde, le 13 février 2010.

[6Pour le détail complet du débat, consulter le site du Parlement européen. « Accord UE/États-Unis d’Amérique sur le traitement et le transfert de données de messagerie financière de l’UE aux États-Unis aux fins du programme de surveillance du financement du terrorisme ». Texte déposé : A7-0013/2010. Débats : PV 10/02/2010 - 13 et CRE 10/02/2010 - 13. Votes : PV 11/02/2010 - 6.4 et CRE 11/02/2010 - 6.4. Texte adopté : P7_TA(2010)0029.

[7« Swift : le Parlement européen irrite Washington », Le Soir, le 4 février 2010,