Monsieur le Président [Kagamé], merci de nous recevoir avec tant de simplicité et tant d’amitié. Cette visite au Rwanda me tenait très à cœur, elle a été préparée par la visite que vous a rendue Bernard Kouchner auparavant. Elle me tenait très à cœur parce que ce qui s’est passé ici, au Rwanda, dans les années 90, c’est une défaite pour l’humanité toute entière. J’ai visité le mémorial. C’est un moment bouleversant. Je dois d’ailleurs dire que le Rwanda a construit ce mémorial de façon pudique et digne. Ce qui s’est passé ici a laissé une trace indélébile, absolument indélébile. Ce qui s’est passé ici est inacceptable et ce qui s’est passé ici oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir à ses erreurs qui l’ont empêché de prévenir et d’arrêter ce crime épouvantable.

On en parlait avec le président Kagamé, je sais que pour lui, recevoir le président français, c’est un geste important. Et j’imagine qu’au Rwanda, cela pose débat et question. C’est normal, vous avez tant souffert. Mais j’ai dit au président Kagamé que pour nous, venir ici, cela fait débat aussi dans mon pays. Mais le devoir des chefs d’Etat, c’est de voir plus loin pour organiser la réconciliation, voir l’avenir. Des erreurs, des erreurs d’appréciation, des erreurs politiques ont été commises ici. Et elles ont eu des conséquences absolument dramatiques.

Maintenant, il faut reconstruire. Avec le président Kagamé, on s’est parlé plusieurs fois. On s’est rencontré au Portugal. On a essayé de se comprendre l’un et l’autre et de se faire confiance. Et, venir ici à l’invitation du président Kagamé, c’est une démarche de confiance à l’endroit des autorités rwandaises.

Mais à partir de toutes ces erreurs, de tous ces drames, nous allons essayer de construire une relation bilatérale où on va explorer une nouvelle façon de s’entraider et de se comprendre mutuellement. La France veut aider le Rwanda, la France est à l’écoute du Rwanda et nous allons construire une coopération économique, politique, culturelle qui ne ressemblera sans doute à aucune autre. C’est vous dire si ce déplacement que nous faisons avec Bernard Kouchner ici est pour nous extrêmement important. Il doit tourner une page, une page extrêmement douloureuse.

Je voudrais dire, enfin, mon admiration pour tous les Rwandais, pour votre capacité à reconstruire ce pays. Quand je vois ce qu’est Kigali, quand je vois aujourd’hui ce que vous êtes en train de faire, je me dis, peut-être, peu nombreux sont les peuples qui, après avoir connu un tel drame, une telle tragédie, sont capables de repartir de l’avant et de se réconcilier entre eux.

Si la réconciliation a lieu au Rwanda, comment pourrait-elle ne pas avoir lieu entre le Rwanda et la France ? C’est très exactement ce que nous essayons de bâtir et de construire et le président Kagamé et moi, on est même assez conscients de la portée historique de cette démarche mutuelle.

Q - La France parle d’erreur, la France ne demande pas pardon comme l’ont fait d’autres pays européens, je pense à la Belgique, je pense aux Etats-Unis avec Bill Clinton ; Pourquoi ? Est-ce que ce n’est pas le moment, est-ce que c’est trop difficile, est-ce que ce n’est pas le lieu ?

R - Avec le président Kagamé, on s’est parlé de tout très librement. Qu’est-ce qu’on essaye de faire ? Le président Kagamé essaye d’amener toute la société rwandaise vers l’avenir et vers la réconciliation, étape, par étape, pour ne laisser personne de côté.

J’ai prononcé des mots qui sont forts. Chaque pays a son histoire. La Belgique a été ici présente dans la colonisation - je parle sous le contrôle du président Kagamé - pendant huit décennies ou neuf décennies. Forcément, ce n’est pas la même chose. Les Etats-Unis d’Amérique avec M. Clinton dont la fondation a participé au financement a aussi une histoire particulière avec le Rwanda. Je ne voudrais par rentrer dans le détail mais je la connais et cette histoire particulière peut amener à prononcer certaines expressions.

J’ai dit les choses mais je peux les préciser. Grave erreur d’appréciation. Forme d’aveuglement quand nous n’avons pas vu la dimension génocidaire du gouvernement du président qui a été assassiné. Erreur dans une opération Turquoise engagée trop tardivement et sans doute trop peu. Les mots ont un sens Madame, les mots ont un sens. Voilà. Et on en a parlé très franchement.

Alors, vous savez, nous ne sommes pas ici pour nous amuser, pour faire une course au vocabulaire. Nous sommes ici pour réconcilier des nations, pour aider un peuple qui a été meurtri. Le génocide qui a eu lieu ici, là, voilà. C’est pour tourner une page et je crois qu’il est très important que chacun comprenne que le processus que nous engageons est un processus qui évoluera étape par étape. Et je crois que la précision est la garantie de la solidité des relations que nous sommes en train de construire. Et dans ce qu’a dit le président Kagamé, il n’y a aucune surprise de ma part, il me l’avait dit. Je lui ai d’ailleurs dit que sur tous les sujets, nous en parlerons comme nous en avons parlé. Il n’y a pas de gêne, il n’y a pas de mensonge, il y a simplement la compréhension du point d’équilibre pour chacun d’entre nous et je crois que c’est bien ainsi.

Q - Monsieur le Président, ma première question s’adresse aux deux présidents : le centre culturel français a été le symbole dominant des relations entre le Rwanda et la France ; quelle sera la base du nouveau partenariat et quels sont les autres domaines sur lesquels vous allez vous focaliser ? Et une question au président Sarkozy : qu’avez-vous à dire à propos des mandats d’arrêt du juge Bruguière qui, par ailleurs, ont été à l’origine de la rupture des liens entre la France et le Rwanda ?

R - Le centre culturel français ouvrira ses portes dès le premier semestre de cette année. L’école Saint-Exupéry rouvrira ses portes à la rentrée 2010 et RFI recommencera ses émissions cette année, après trois années - si mon souvenir est exact - d’interruption. C’est symbolique, je l’ai dit au président Kagamé, mais cela ne se limitera pas à cela, mais ce sont des choses tout de suite que nous avons décidées.

Sur les mandats d’arrêt. En France, la justice est indépendante. Je l’ai dit au président Kagamé qui, d’ailleurs, le comprend parfaitement. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas d’opinion. Je dois respecter l’indépendance de la justice, les procédures de la justice. Cela ne veut pas dire qu’on n’en parle pas.

Nous voulons que les responsables du génocide soient retrouvés et soient punis. Il n’y a aucune ambiguïté, je l’ai dit au président Kagamé. Ceux qui ont fait cela, où qu’ils se trouvent, doivent être retrouvés et punis. Alors, est-ce qu’il y en a en France ? C’est à la justice de le dire. Et puis, je ne rentrerai pas dans tous les dossiers, mais nous venons de refuser l’asile politique à une des personnes concernées et il y a une procédure judiciaire engagée. Nous sommes tenus - il faut que nos amis du Rwanda le comprennent - par l’indépendance de la justice, par son calendrier, par ses procédures. Mais notre volonté, c’est que tous les génocidaires soient punis.

Pour le reste, deux mots. Que les historiens fassent leur travail. Je ne suis pas historien, j’ai dit un certain nombre de choses de mon point de vue et la visite que nous faisons avec Bernard Kouchner doit être comprise par nos amis du Rwanda comme une visite à très forte portée symbolique. Très forte portée symbolique. Mais il y a le travail des historiens. Comment peuvent travailler les historiens ? Avec un peu de temps, un peu de recul. La réconciliation ne peut pas attendre. Le président Kagamé l’a entamée. Mais le travail des historiens doit suivre sa route.

Enfin, dernier point, j’ai invité le président Kagamé à Nice pour le Sommet entre l’Afrique et la France, parce que je trouve que ce serait un formidable symbole de notre confiance réciproque, de notre capacité à tourner la page, qu’il soit notre invité, qu’il vienne.

Voilà, ce sont des faits qui peuvent construire l’avenir et qui vont tourner la page. Cela n’efface pas la douleur, cela n’efface pas les erreurs, cela n’efface pas les difficultés, mais cela permet d’envisager l’avenir en prenant en compte l’autre. Voilà, c’est ce qu’on essaye de bâtir, je ne dis pas qu’on le fait bien, je ne dis pas que c’est facile. Il y a eu beaucoup de discussions entre nous. Mais voilà où l’on est arrivé et je crois que c’est cela qui est important et qu’il faut continuer ce processus.

Q - Président Kagamé, sur la question de la paix dans la région des Grands Lacs, il va y avoir un sommet consécutif au Sommet Afrique-France de Nice, est-ce que vous participerez à ce sommet consacré aux Grands Lacs ? Une autre question franco-rwandaise sur l’avenir de l’enseignement de la langue française. Vous avez récemment décidé de passer à l’anglais pour une partie du système scolaire. Est-ce que la visite du président français aujourd’hui est un signe d’un certain changement et d’un certain retour à la Francophonie ?

R - Un mot pour que vous compreniez bien. D’abord, la stabilité dans cette région des Grands Lacs, elle sera d’abord l’affaire des pays de la région des Grands Lacs. Le président Kagamé a parfaitement raison. Si nous pouvons aider, c’est notre devoir de le faire. J’ai d’ailleurs dit au président Kagamé combien je trouvais courageux et utile les nouvelles relations entre la République démocratique du Congo, le président Kabila et lui. Il se trouve - je ne veux pas révéler de secrets - que, quand je le disais au président Kagamé, il m’indiquait : "c’est amusant ce que vous me dites car j’ai eu hier encore le président Kabila au téléphone". Tout ce qui fait qu’ils parlent, qu’ils se concertent, qu’ils s’organisent, la France le soutient. Mais ce n’est pas à la France de leur dire comment ils vont faire la paix, comment le meilleur partage des richesses se fera. C’est un travail ensemble que l’on engage. Et je suis fier que le président Kagamé accepte notre invitation. Voilà, et d’ailleurs c’est très difficile de dire qu’on fait confiance à quelqu’un et qu’on n’en tire pas la conclusion qu’il est le bienvenu.

Et puis un mot sur la Francophonie, tout ce sur quoi vous aimez beaucoup écrire, le "pré-carré" et, comment dites-vous ? La "Françafrique", c’est cela ? Mais tout cela a beaucoup changé. Je respecte votre compétence sur l’Afrique mais regardez l’Afrique telle qu’elle est aujourd’hui. Il n’y a plus de pré-carré et c’est très bien ainsi, il n’y a pas de relation exclusive. Qu’a dit le président Kagamé ? "Je suis Rwandais, je veux être ami avec les Français, avoir un partenariat avec eux mais je veux également pouvoir parler avec les Anglo-Saxons".

Mais il a raison, si nous-mêmes nous avions à diriger le Rwanda, c’est ce que l’on essayerait de faire. Si être ami, c’est s’interdire de parler à tous les autres, alors, on n’est pas ami. Sauf à imaginer que la France peut, à elle seule, porter un milliard d’Africains. Ce n’est pas du tout comme cela qu’il faut voir les choses. Cela, c’est ce qu’on voyait après la colonisation. On est dans une autre idée. Que veut le président Kagamé ? Le développement du Rwanda. Et serait-il vraiment impossible d’imaginer qu’on est dans un sommet France-Afrique et, en même temps qu’on ait de bons rapports avec le Commonwealth et les Anglais ? Mais c’est l’inverse. Je vous rappelle que le Royaume-Uni et nous sommes en Europe. C’est-à-dire que je devrais reprocher au président Kagamé de faire ce que nous, nous faisons ? A ma connaissance, la Grande-Bretagne et nous, nous sommes unis, nous sommes amis. Tant mieux que tous ensemble et j’irais même plus loin, que les Etats-Unis, que la Grande-Bretagne, que les grandes démocraties du monde aident l’Afrique à se développer, c’est notre intérêt. C’est peut-être cela la rupture dans le fond, puisque vous la cherchez tellement, peut-être qu’on l’a trouvée ensemble.

Q - Aujourd’hui, l’Afrique qui a été colonisée par la France, les pays francophones connaissent une évolution, soit politique ou bien quand il y a des conflits. On peut dire, par exemple, l’Algérie, le Tchad, la Côte d’Ivoire. Quelle est l’interprétation que vous en donnez, Monsieur le Président ?

R - Je ne veux pas abuser de la patience du président Kagamé et on avait dit deux questions mais je répondrai. Nous étions hier, avec Bernard Kouchner, à Libreville. Qu’a dit le président Ali Bongo ? Je le dis pour le président Kagamé. "Arrêtons de faire porter aux autres ce qui est notre responsabilité aussi". Je crois que c’était très courageux et très intéressant de le dire.

Pour le reste, la Côte d’Ivoire, cinq ans sans élection, est-ce un problème ? Oui. Le Niger, est-ce un problème ? Oui. Pourquoi est-ce un problème ? Parce que l’Afrique, pour son développement, a besoin d’une économie de marché et d’une démocratie. Alors, on ne peut pas plaquer notre modèle sur le leur, mais tout ce qui peut faire qu’on reconnaît les progrès dans la démocratie, qu’on les encourage, nous le ferons.

On ne peut pas tout ramener exclusivement à la seule question de la colonisation cinquante ans après. C’est simplement ce que je veux dire. En respectant, par ailleurs, les ombres, les lumières, les erreurs, les histoires en commun. On ne peut pas continuer uniquement à décliner ce seul discours. Voilà. Et pour moi, il est temps vraiment de parler de l’avenir et de vous aider à construire cet avenir pour la jeunesse d’Afrique. Et c’est très exactement ce qu’on est venu faire ici, au Rwanda. Merci à tous./.