Messieurs les Présidents de la République de Côte d’Ivoire et de la République de Guinée,
Monsieur le Président,
Madame la Secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées,
Monsieur le Chef d’Etat-Major des armées,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Monsieur le Préfet,
Messieurs les Anciens Combattants,
Mesdames et Messieurs,

Il y a 75 ans, avec l’aide des forces alliées, la France brisait enfin les chaînes dans lesquelles l’armée d’Hitler l’avait enchaînée durant quatre longues années, car pour la seconde fois, en cette année 1944, une armada de braves débarquait sur les plages de notre pays pour le délivrer du joug de l’occupant. Il y eut le débarquement de Normandie et il y eut le débarquement de Provence. Il y eut le 6 juin et il y eut le 15 août. La reconquête de la France avait commencé par le nord, sur les côtes de la Manche, elle se poursuivit par le sud sur les côtes de la Méditerranée. Et cette fois, nos libérateurs étaient majoritairement français. Sur les plages de Cavalaire et de Saint-Raphaël, dans les villes de Toulon et de Marseille, dans les massifs des Maures et de l’Esterel, la France renouait enfin un fil rompu quatre ans auparavant : celui de ses valeurs et de sa grandeur. Ce n’était plus des groupes épars ou des détachements esseulés qui se levèrent alors. C’était une armée nationale reconstituée, "une belle armée française", selon les mots du Général de Lattre de Tassigny dans toutes ses composantes terrestre, maritime, aérienne, une armée d’environ 250.000 hommes soutenus par plus de 120.000 soldats des forces alliées britanniques, américains, canadiens et de tant d’autres nations, une armée qui sortait enfin de l’ombre et de l’exil pour se préparer au rendez-vous de l’histoire.

Après la débâcle, l’occupation et la collaboration, après l’humiliation, l’assujettissement et l’infamie, la France retrouvait l’éclat de ses couleurs, celles que de Gaulle porta si haut à Londres, Brazzaville, puis Alger. Le débarquement du 15 août est le deuxième acte de notre libération. Après Overlord, ce fut l’opération Dragoon, le débarquement de Provence mené sur les ordres de l’Amiral américain Hewitt, puis de son compatriote le Général Patch. Il permit d’ouvrir un nouveau front, de déloger les garnisons d’Hitler en les chassant du sud de la France et de ravitailler toutes les troupes alliées.

Le 15 août, donc, des milliers d’hommes guidés par la liberté, traversèrent la Méditerranée. Ils avaient embarqué en Corse et en Algérie, en Italie, à Malte. Bientôt, une armada fantastique de plusieurs centaines de bâtiments de guerre convergeait sur les rives du Var. Au côté de leurs alliés américains, qui débarquèrent en nombre et en force ce premier jour, les forces françaises étaient là : des marins, des aviateurs, des soldats, fiers et déterminés. Les premiers libérateurs vinrent du ciel. Dès l’aube, des avions de guerre et des milliers de parachutistes américains et britanniques qui avaient pris leur envol quelques heures plus tôt, vibrant à l’unisson de chants guerriers, prirent d’assaut la Provence et bloquèrent les accès aux renforts allemands. Après les airs, la mer allait bientôt charrier sur notre sol ses flots de soldats. À bord de leurs canots, deux commandos français se faufilèrent dans la nuit pour débarquer en éclaireur. À Théoule, les hommes du groupe naval d’assaut se heurtèrent aux champs de mines et aux tirs ennemis. Les pertes furent terribles. Mais au Cap-Nègre, les hommes des commandos d’Afrique escaladèrent la façade abrupte, réduisirent au silence une batterie d’artillerie au sommet du Promontoire, puis sécurisèrent l’ensemble de la zone. L’affrontement fut violent. Mais la mission était accomplie.

Le débarquement pouvait alors commencer. Il était 8 heures. Appuyées par la puissance de feu de la force navale, les premières vagues d’assaut déferlaient sur Alpha, Delta, Camel, les plages de l’opération. Le soir même, 100.000 soldats, notamment américains, avaient déjà pris pied sur le sol provençal. La libération du sud de la France était en marche.

Le lendemain, l’armée B, qui sera bientôt rebaptisée première armée française, entrait en scène. Des milliers d’hommes aux parcours si divers et aux destinés si différentes, dans la guerre comme dans la vie, dans une fraternité d’arme et dans une fraternité d’âme, partageaient un même idéal et un même courage : abnégation, bravoure, panache.

Cette armée était à l’image de son chef, Jean de Lattre de Tassigny. Ce Vendéen, fait de la même trempe que son voisin Clemenceau, était un combattant de Verdun et du Chemin des Dames. En novembre 1942, il avait suivi le seul chemin qui vaille, celui de l’honneur, et gagna Alger pour prendre le commandement de cette première armée française. Parmi les valeureux combattants de sa grande armée, il y avait des Français libres venus de la métropole, dont certains s’étaient déjà couverts de gloire en Tunisie, en Sicile, en Corse, en Italie. Il y avait aussi bon nombre de Résistants de la France des outremers, des dissidents des Antilles, des Guyanais, des Réunionnais, des Tahitiens, des Néo-Calédoniens, qui avaient souvent pris tous les risques pour rejoindre l’armée de de Lattre.

Mais la très grande majorité, des soldats de la plus grande force de l’armée française de la libération, venait d’Afrique. Français d’Afrique du nord, pieds noirs, tirailleurs algériens, marocains, tunisiens, zouaves, spahis, goumiers, tirailleurs que l’on appelait sénégalais, mais qui venaient en fait de toute l’Afrique subsaharienne, et parmi eux des Guinéens, des Ivoiriens, cher Alpha, cher Alassane. Tous se sont unis contre l’ennemi nazi au service du drapeau et de la liberté. Tous ont fait preuve d’un courage immense et d’une bravoure hors pair. Ils ont payé un lourd tribut à la victoire qu’ils ont largement contribué à forger. Ils sont des milliers à s’être sacrifiés pour défendre une terre lointaine, une terre souvent inconnue, une terre jusqu’alors jamais foulée, une terre à laquelle ils ont à jamais mêlé leur sang. Ils ont fait l’honneur et la grandeur de la France et pourtant qui d’entre nous se souvient aujourd’hui de leurs noms, de leurs visages ? Vous en avez rappelé quelques-uns Monsieur le Professeur.

Qui se souvient d’un héros comme Yorgui Koli, cet homme né au Tchad en 1896 qui fit toute sa carrière dans l’armée française ? Sous-officier en 1940, il refusa l’armistice et rallia la France libre avec ses hommes à partir du Congo, il fut ensuite de toutes les batailles de la campagne d’Afrique, débarqua le 17 août 1944 sur ces plages de Provence après s’être coiffé des lauriers durant la campagne d’Italie. Fait compagnon de la Libération en 1945, comme 16 autres Africains, naturalisé Français en 1949, il regagna ensuite le Tchad et la vie civile.

Je pense à un autre compagnon de la Libération, le Lieutenant Mohamed Bel Hadj. Né en Algérie en 1905, en juin 1942 à Bir-Hakeim alors adjudant, il sauve par deux fois, au péril de sa vie, son Commandant de compagnie. Débarqué en Provence le 17 août avec ses frères d’armes du 22ème bataillon de marche nord-africain, Mohamed Bel Hadj est mort pour la France le 10 janvier 1945 au cours de la campagne d’Alsace. Il dit au médecin qui tentait de soigner sa blessure : "le Lieutenant Bel Hadj va mourir mais cela ne fait rien. Vive la France !".

Honorés à juste titre par leurs camarades de l’époque, ces combattants africains, pendant nombre de décennies, n’ont pas eu la gloire et l’estime que leur bravoure justifiait. La France a une part d’Afrique en elle et sur ce sol de Provence, cette part fut celle du sang versé. Nous devons en être fiers et ne jamais l’oublier : les noms, les visages, les vies de ces héros d’Afrique doivent faire partie de nos vies de citoyens libres parce que sans eux nous ne le serions pas.

C’est pourquoi je lance aujourd’hui un appel aux maires de France pour qu’ils fassent vivre par le nom de nos rues et de nos places, par nos monuments et nos cérémonies la mémoire de ces hommes qui rendent fiers toute l’Afrique et disent de la France ce qu’elle est profondément : un engagement, un attachement à la liberté et à la grandeur, un esprit de résistance qui unit dans le courage. Je sais que certains maires ont déjà honoré de cette dette de mémoire et de fraternité - Reims, Menton ou encore Chasselay et tant d’autres communes. La gloire de tous les soldats de la Libération est immense et notre gratitude en retour doit être impérissable et nous n’oublierons rien ni personne.

Aussitôt qu’elles eurent débarquées, les troupes tricolores se tournèrent vers les deux môles de résistance allemands : Toulon et Marseille. La conquête de ces ports en eaux profondes était indispensable mais les garnisons ennemies eurent le tort de tenir jusqu’au bout, coûte que coûte, à n’importe quel prix. Les affrontements furent âpres. Les rues, les fortifications, les bunkers furent le théâtre de rudes batailles. Pourtant, dès le 23 août, Toulon était libérée, 12 jours avant les prévisions initiales. Et après d’épiques combats sur la colline de Notre-Dame de la Garde et alors que la nouvelle de la libération de Paris se répandait, Marseille était reprise le 29, avec 26 jours d’avance sur le calendrier stratégique.

Ces succès éclatants des forces françaises et alliées, nous les devons au courage des troupes et à l’audace de leurs chefs aguerris et intrépides, à l’image du Général de Monsabert, lui que le régime de Vichy avait déchu de sa nationalité française. Nous le devons à tous les soldats alors présents mais aussi à la Résistance intérieure, à toutes ces femmes, à tous ces hommes farouchement résolus à accomplir le devoir simple et sacré qu’évoquait le Général de Gaulle. Le 15 août résonna comme un signal. L’insurrection nationale pouvait paraître au grand jour, les forces françaises de l’intérieur furent de tous les combats, de toutes les luttes : Draguignan, à l’époque préfecture du Var, fut ainsi libérée par les Résistants eux-mêmes, dès le 16 août, soutenus peu après par l’arrivée des troupes. Le 19, les Marseillais se soulevaient à leur tour. Ici, en Provence, cette infanterie patriotique se leva partout sans rien attendre que les fruits de la liberté. En maints endroits elle balisa le chemin des armées de la Libération, accompagna l’armée régulière avant souvent de la rejoindre.

Par le sang versé, la Résistance a reconduit le pacte séculaire de la France avec la liberté. Nous savons leur grandeur, mais nous ne trouverons jamais assez de mots, ou des mots assez puissants, pour leur dire notre gratitude d’avoir ainsi continué à se battre pour que vivent nos valeurs, pas de mots assez forts pour dire ces années de combat, parfois de doute, de ceux qui, dans cette région numéro 2, ont pris parfois tous les risques, comme le Capitaine Alexandre, un certain René Char, et tant de compagnons d’armes. Grâce à ces forces conjuguées, moins d’un mois après le débarquement du 15 août, l’armée du Général De Lattre a rejoint celle du Général Leclerc, le 12 septembre, en Bourgogne, dans une émotion indescriptible. L’étau se refermait. L’occupant était acculé hors de France. Après Toulon, Paris avait été libéré, puis Marseille, puis Lyon. Strasbourg attendait encore, mais quelques semaines seulement. La victoire, désormais, était inéluctable, et la France y avait pris sa part.

En ce jour, nous nous rappelons combien le débarquement de Provence et l’épopée de nos armées ont été décisifs pour la France et pour l’Europe, pour la place de la France dans le cercle des puissances victorieuses, pour la place de la France dans le monde. C’est une page cruciale de notre histoire, car ce fut plus qu’un sursaut, une résurrection. En 1944 et en 1945, la France redevenait la France. Elle recouvrait sa liberté et sa souveraineté, elle renouait avec ses valeurs et avec ses vertus.

Vétérans, anciens combattants, anciens résistants, soldats de la Libération, je veux vous dire ici, en ce jour, à nouveau, la reconnaissance de la nation. Vous avez redonné à notre pays sa liberté et sa dignité. Vous avez redonné ses couleurs à notre drapeau et sa devise à notre peuple. Votre engagement suprême est notre héritage. Il nous revient de le préserver, de le transmettre, de le faire fructifier contre tous les obscurantismes, contre l’ignorance, contre l’oubli, dire, raconter ce souvenir, agir à notre tour pour que cette histoire, trop peu connue de nos concitoyens, prenne toute sa place dans nos mémoires et dans nos coeurs, à la juste mesure du sang versé, pour rappeler aussi que cette liberté est venue de la Méditerranée par les Français, les alliés, les combattants d’Afrique unis dans l’amour de la liberté et de notre patrie, car tel est le vrai visage de notre Méditerranée.

Chère jeunesse de France, votre participation à cette cérémonie vous engage, car désormais, vous savez, vous avez vu. Cela fait de vous non pas seulement les héritiers naturels mais encore les émissaires de cette histoire, car celle-ci vous honore mais vous oblige également. Vous devez la porter, en réaliser les promesses et en mesurer la dette. Nous ne vivrions pas libres sans tous ces héros et résistants de Londres, les résistants de l’ombre, les soldats du 6 juin et ceux du 15 août qui, pour certains, sont là, devant vous, devant nous, et qui, toujours, doivent vivre en nous. C’est en ne cédant rien de ce qu’ils ont conquis, eux qui ont contribué à faire de la France une nation libre et souveraine, que nous serons dignes de leur combat. C’est en n’oubliant rien des sacrifices qu’ils ont consentis pour que triomphent nos valeurs que nous les transmettrons à notre tour aux générations futures. C’est à la lumière de la flamme qu’ils ont fait jaillir dans la nuit noire qu’a traversée notre pays que nous nous devons, à notre tour, d’éclairer le chemin de notre avenir. Merci. Merci.

Vive la République, vive la France.