« La forteresse Amérique relève le pont-levis »
Fortress America pulls up the drawbridge
Gulf News (Dubaï)
[AUTEUR] Linda S. Heard est spécialiste du Proche-Orient.
[RESUME] Pendant que le communisme était démantelé pour être remplacé par de très relatives libertés démocratiques, les États-Unis ont restreint les libertés individuelles au nom de la sécurité nationale. Comme l’a dit Henry Kissinger dans une conférence à Évian en 1992, quand des choses inconnues sont bien mises en scène, les hommes sont prêts à abandonner leurs libertés individuelles en échange d’un bien-être garanti par le gouvernement. Avec de telles idées, l’ancien conseiller était l’homme idéal pour diriger la commission d’enquête sur le 11 septembre dont l’administration Bush n’arrivait plus à empêcher la création. C’est donc un homme pour qui la vérité est moins importante que la sécurité nationale qui mènera l’enquête.
Mais si les Américains ne pourront jamais savoir pourquoi les services de renseignements ont échoué à les protéger, ils peuvent encore agir sur ce qui se prépare : le département de la Sécurité nationale et le Total Information Awareness, dirigé par l’amiral John Poindexter, un homme mêlé au scandale Iran-Contras et qui aura accès à des sources d’information gigantesques.
Ces deux organismes viennent compléter l’USA Patriot Act, voté après le 11 septembre, qui avait déjà sapé le principe de respect de la vie privée et avait permis de nombreuses arrestations sur de simples présomptions, souvent motivées par des critères raciaux. Cette loi a accru le contrôle des citoyens par le FBI et la CIA au moyen de nouvelles technologies. Enfin, sur le plan extérieur, le président a désormais le droit d’entreprendre des frappes préventives et de négocier personnellement des accords commerciaux.
Nous sommes en train d’assister à la désintégration de l’Amérique en tant que république démocratique et, ironiquement, c’est le processus mis en place par ceux qui prétendent défendre le mode de vie états-unien qui est en train de la détruire.
« Le mépris des frappes préventives est une erreur fatale »
Pre-emptive scorn is dead wrong
The Age (Australie)
[AUTEURS] Greg Hunt est député du parti libéral australien. Brad Haynes est un ancien conseiller du ministre des Affaires étrangères australiens.
[RESUME] Les implications des attentats du 11 septembre et de Bali ont été sous-estimées par beaucoup. Nous sommes désormais sous la menace croisée du terrorisme et des armes de destruction massive, menaces qui pourraient un jour être liées si Al Qaïda venait à se procurer de telles armes.
À long terme, le but des terroristes est de créer un monde panislamique et extrémiste, à l’image du régime des Talibans et, à moyen terme, de détruire l’Islam modéré et de prendre le contrôle des principaux États musulmans. Pour cela, ils tentent d’y créer l’instabilité et d’y provoquer des crises économiques en y frappant les occidentaux, de sorte que ceux-ci se retirent des économies locales.
Pour contrer le terrorisme, nous devons mettre en place une stratégie "d’engagement compréhensif" basée sur le développement des échanges économiques, culturels et éducatifs entre l’Occident et le monde musulman. Ils s’accompagneront d’une coopération policière et d’une nouvelle stratégie militaire fondée sur les frappes préventives.
Contrairement, à ce que prétendent les opposants à ces frappes, il n’y a rien de nouveaux là dedans. Le but de la police n’est-il pas d’arrêter les voleurs et les assassins avant qu’ils n’attaquent ? Il s’agirait là du même principe et les frappes préventives ne seront utilisées qu’en dernier recours. Nous vivons dans un monde nouveau, avec de nouvelles menaces et pour y faire face, nous devons lier la coopération et les actions préventives.
« Pourquoi nous ne ferons pas la guerre »
Pourquoi nous ne ferons pas la guerre
Le Monde (France)
[AUTEUR] Joseph Cirincione est directeur de recherche à la Carnegie Endowment for International Peace à Washington.
[RESUME] L’administration américaine a réussi à convaincre la plupart des journalistes qu’elle allait bientôt attaquer l’Irak. L’armée américaine est positionnée dans le Golfe et les dirigeants arabes ont donné leur accord tacite à une attaque. Tout est donc en place pour que George W. Bush puisse lâcher ses chiens de guerre, et c’est pourquoi il ne le fera pas.
En effet, le caractère hautement crédible de la menace d’une guerre semble avoir fait céder Saddam Hussein et les inspections se passent bien. Il ne devrait pas y avoir de preuves que l’Irak a refusé de coopérer et les faucons américains n’auront donc aucun prétexte pour attaquer.
De nombreux militaires estiment que la guerre ne sera pas aussi facile que l’affirment les dirigeants les plus belliqueux et que, même si elle l’était, la victoire nécessiterait une longue occupation de l’Irak. Ces points ont été soulevés par l’ancien secrétaire à la Marine sous Reagan, James Webb, et par l’ancien commandant en chef du commandement central des forces américaines sous George H. Bush, Antony Zinni.
En outre, les analyses économiques laissent prévoir que les conséquences d’une guerre en Irak dans ce domaine seraient catastrophiques. C’est pour cette raison que la vieille garde du parti Républicain, tel James A. Baker III ou Brent Scowcroft, ont déconseillé publiquement à George W. Bush de faire la guerre et de passer par le cadre de l’ONU.
Le président sait, par ailleurs, que l’opinion publique états-unienne ne le soutient pas totalement et que si les États-Unis attaquent l’Irak sans l’accord de l’ONU et s’enlisent dans le conflit, les prochaines élections seront perdues à coup sûr.
Toutes ces raisons, militaires, économiques et politiques, laissent à penser que si Saddam Hussein ne commet pas d’actes stupides ou que Bush ne se laisse pas tenter par les faucons, la guerre n’aura pas lieu à brève échéance.
[CONTEXTE] Les tribunes de James A. Baker III et Brent Scowcroft ont été traités dans le numéro 17, pour le premier, et le numéro 36, pour le second, de Tribunes Libres Internationales.
« Pacifiste ou "normal" »
Pacifist or ’normal’ ?
International Herald Tribune (États-Unis)
[AUTEUR] Yumiko Nakagawa est titulaire de la bourse Vasey du Pacific Forum du Center for Strategic and International Studies.
[RESUME] Le Japon a envoyé des navires militaires dans le Golfe pour aider les États-Unis. En agissant ainsi, il devient un pays "normal", un pays ayant une armée susceptible d’intervenir à l’étranger en tant que membre de l’ONU ou d’allié des États-Unis. Pourtant, l’opinion publique japonaise semble avoir du mal à tirer les conclusions de cette normalisation et elle n’est toujours pas prête à défendre une position favorable à l’intérêt national si la vie d’un de ses soldats doit être perdue.
L’Irak sera un test pour la démocratie japonaise et sur sa capacité à accepter le coût de ses décisions politiques et la responsabilité collective qui accompagne naturellement la décision prise démocratiquement d’envoyer des troupes dans un autre pays. Cette responsabilité n’existait pas avant la Seconde Guerre mondiale.
« Après Mombassa, quelques leçons »
After Mombasa : some lessons
Jerusalem Post (Israël)
[AUTEUR] Shlomo Gazit est ancien chef de la sécurité militaire israélienne et directeur du Jerusalem Post.
[RESUME] Les attaques à Mombassa au Kenya contre des Israéliens, le 29 novembre, date anniversaire de la partition de la Palestine par l’ONU en 1947, n’ont fait, heureusement, que trois victimes israéliennes. Il n’y a rien de spécialement nouveau dans ces attaques, si ce n’est qu’elles n’ont pas été menées par des Palestiniens mais, apparemment, par Al Qaïda.
Bien que visant des Israéliens, elles visent plus largement les Occidentaux et leurs économies et elles ne doivent pas nous faire perdre notre sang-froid. Des expressions comme "génocide" ou "destruction des fondations d’Israël" sont hors de propos.
En revanche, il faut bien comprendre désormais que, plus nous minimiserons le rôle d’Israël dans le conflit global, moins nous serons attaqués. Nous avons suffisamment à faire avec le conflit palestinien que nous pourrions regretter de nous placer en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. Laissons l’Amérique mener cette guerre.
« La lutte pour les idéaux démocratiques de l’Iran »
The Fight for Iran’s Democratic Ideals
New York Times (États-Unis)
[AUTEURS] Saeed Razavi-Faqih est étudiant à l’Université Tarbiat-Modarres de Téhéran. Il a été récemment libéré de prison où il avait été incarcéré pour avoir mené des manifestations étudiantes. Ian Urbina est rédacteur en chef du Middle East Research and Information Project de Washington.
[RESUME] Ce week-end, des milliers d’étudiants iraniens ont manifesté pour soutenir Hashem Aghajari, condamné à mort pour blasphème. Toutefois, leurs revendications sont plus larges que cette simple demande. En effet, la révolution de 1979 avait un idéal de démocratie, de justice sociale et de défense de l’identité culturelle du pays, mais cet idéal a été dévoyé. Aujourd’hui, les religieux conservateurs ont imposé une censure des médias et du débat politique.
Les étudiants manifestent pour avoir plus de libertés et rien n’arrêtera la réforme. Dans un pays où 65 % de la population a moins de trente ans, la question n’est plus de savoir si les changements auront lieu, mais quand ils auront lieu.
Malheureusement, la politique agressive de l’administration Bush vis-à-vis de l’Iran et la future guerre en Irak donnent aux conservateurs toutes les excuses dont ils ont besoin pour se maintenir au pouvoir.
« Vers un modèle démocratique turc »
Vers un modèle démocratique turc
Libération (France)
[AUTEUR] Denis MacShane est ministre britannique des Affaires européennes et membre de la Fabian Society.
[RESUME] L’Europe a aujourd’hui la possibilité de revenir sur ses erreurs passées et de reconnaître les apports considérables du monde musulman à sa culture en encourageant la Turquie à devenir membre de l’Union Européenne.
Le XXème siècle a vu l’avènement de la démocratie chrétienne en Europe par la transformation des partis religieux réactionnaires en parti chrétiens démocrates, qui ont, d’une certain manière, réconcilié la foi et la politique. La Turquie a, aujourd’hui, la possibilité de construire une démocratie musulmane réconciliant identification religieuse et droit démocratique laïque.
Il ne faut pas brusquer ce pays qui s’intègrera à son rythme. Ankara devra, pour l’instant, simplement accepter le principe de la force de défense européenne et l’accord sur Chypre proposé par l’ONU pour que l’UE lui ouvre la porte lors du sommet de Copenhague. L’entrée de la Turquie prendra, certes, des années, mais l’Europe ne doit montrer aucune ambiguïté sur le fait qu’elle est prête à accueillir une démocratie islamique. Il ne faut plus prétendre que l’Europe est uniquement chrétienne et assumer pleinement qu’elle est l’héritière de toutes les religions abrahamiques.
Une démocratie islamique en Turquie offrirait à l’Europe une ouverture vers l’Est et le monde musulman, tout en faisant reculer l’islamophobie sur son sol. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le processus de constitution d’un nouveau régime ne devra pas conditionner les principes démocratiques à l’exercice de la foi.
« La rage raciste des élites de Caracas »
Racist rage of the Caracas elite
The Guardian (Royaume-Uni)
[AUTEUR] Richard Gott est l’auteur de In The Shadow of the Liberator : Hugo Chavez and the Transformation of Venezuela.
[RESUME] Depuis quelques années, les classes moyennes et supérieures de la société vénézuélienne contestent l’autorité d’Hugo Chavez. Celui-ci est soutenu par les pauvres qui forment la majeure partie de la population urbaine. L’opposition a lancé une grève comparable à celle qu’elle avait organisée en avril dernier et qui s’était conclu par un bref coup d’État, déjoué par une coalition regroupant les pauvres et l’armée.
L’opposition espère réussir aujourd’hui là où elle a échoué au printemps dernier, mais le monde a changé et les États-Unis la soutiennent moins et lui préfèrent la tentative de conciliation de Cesar Gaviria, le secrétaire général de l’Organization of American States. De plus, les pauvres, qui ont bien compris que l’opposition allait installer un régime dans le style de celui de Pinochet si elle gagnait, soutiennent encore plus leur président.
Les opposants reprochent à Chavez d’être un gauchiste qui conduit le pays au chaos tout en tenant un discours raciste dans lequel se mêle toutes les peurs traditionnelles des élites blanches. Leur principal atout est le contrôle qu’ils exercent sur la compagnie Petroleos de Venezuela, pourtant publique, qui sert exclusivement à enrichir ses cadres et ses dirigeants. Il est vital pour Chavez d’en reprendre le contrôle et il pourrait avoir besoin de décréter l’état d’urgence pour que le gouvernement reprenne la main.
[CONTEXTE] Sur la tentative de coup d’État organisée par Washington à Caracas, en avril dernier, voir notre enquête : « Opération manquée au Venezuela ».
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