État neutre, la Suisse ne saurait prendre parti dans le conflit qui oppose les États-Unis à l’Irak. Mais pour la ministre helvétique des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, ce statut ne signifie pas la passivité face au drame en gestation. Devant le Forum économique mondial de Davos, fin janvier, elle a livré une analyse très critique du déploiement militaire états-unien dans le Golfe. Puis, profitant de la présence du général-secrétaire d’État, Colin Powell, elle a proposé que la Suisse accueille des « négociations de la dernière chance » entre les États-Unis et l’Irak.

Colin Powell a rejeté cette offre d’un revers de main. En effet, Washington considère qu’il n’a pas de problème avec l’Irak, mais que c’est l’Irak qui a un problème avec la communauté internationale. Madame Calmy-Rey, suivant une suggestion de Jean Ziegler, a alors proposé d’offrir l’asile politique à Saddam Hussein pour éviter la guerre. La Chancellerie a étudié la possibilité de modifier les lois en vigueur pour légaliser l’asile d’un si encombrant réfugié, tandis que le président du canton de Valais, Thomas Burgener, a proposé un lieu de résidence. Cette fois, c’est l’Irak qui a décliné l’offre, tant il est vrai pour Bagdad que le départ de Saddam Hussein ne changerait rien aux projets bellicistes états-uniens. Enfin, la Suisse a contacté les autres États neutres pour une initiative commune. Elle n’a réussi qu’à publier un communiqué commun avec la Finlande appelant à éviter la guerre par tous les moyens.

Micheline Calmy-Rey a alors décidé de convoquer, le 15 février 2003 à Genève, une conférence internationale sur les conséquences humanitaires de la guerre. Toutes les organisations internationales compétentes, des États, des experts et de prestigieuses institutions ont été invités Cette initiative a suscité la violente réprobation des États-Unis et la gêne visible des autres invités.
Washington a exercé de fortes pressions sur le gouvernement helvétique pour obtenir l’annulation de la conférence. Mais la Suisse a tenu bon et confirmé que la conférence se tiendrait quoi qu’il advienne. Washington a néanmoins réussi à obtenir que l’Irak ne soit pas invité.


Micheline Calmy-Rey, ministre des Affaires étrangères du gouvernement suisse.
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Les estimations divergent quant aux conséquences humanitaires de l’attaque de l’Irak, selon le type de scénario militaire retenu. Le nombre de morts dus aux bombardements devrait être d’au moins 25 000, mais pourrait atteindre dix fois plus. Le nombre de morts dus aux combats dépendra de la résistance à l’invasion états-unienne. Les officiels US affirment que celle-ci sera négligeable, mais la plupart des experts pensent au contraire que la résistance sera générale.

La bataille de Bagdad pourrait alors être interminable et provoquer 200 000 morts. Le nombre des blessés devrait rapidement dépasser les 500 000. Quand aux populations fuyant les bombardements, les combats et la faim, elles devraient représenter un à trois millions de personnes, dont au moins 500 000 réfugiés hors d’Irak. Ils avaient été un million cinq cents mille lors de la première guerre du Golfe.

À ce jour, aucune des grandes institutions internationales dont c’est la mission ne s’est exprimée publiquement sur le sujet. Tout au plus le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Rudd Lubbers, a-t-il envoyé des émissaires aux pays riverains pour leur demander d’ouvrir leurs frontières aux civils en fuite. Le Haut Commissariat aux Droits de l’homme, l’Organisation mondiale de la Santé, le Fonds pour l’alimentation, etc. sont restés silencieux.

Interrogés par le Réseau Voltaire, le 7 février 2003, lors du briefing régulier des portes-paroles des organisations humanitaires, au Palais des Nations Unies de Genève, aucun intervenant n’a été en mesure de préciser si son organisation participerait ou non à la table ronde suisse. Le porte-parole du secrétaire général de l’ONU n’a pas été capable d’indiquer si Kofi Annan répondrait à l’invitation, alors même que la Suisse abrite la plupart des agences des Nations Unies.

Il n’est évidemment pas innocent pour Madame Calmy-Rey d’avoir fixé la date de cette conférence internationale au 15 février, c’est-à-dire le jour même où des manifestations contre la guerre se tiendront dans le monde entier. Critiquée par les partis pro-états-uniens et la presse conservatrice qui l’accusent de vouloir se faire une célébrité mondiale à peu de frais en planifiant cette conférence humanitaire, la ministre helvétique est approuvée par 80% de ses concitoyens.