« La bonne guerre pour de bonnes raisons »

The Right War for the Right Reasons
New York Times (États-Unis)

[AUTEUR] John McCain est sénateur républicain de l’Arizona et membre de la Commission du commerce, des sciences et des transports et de la Commission des forces armées du Sénat états-unien. Il était en 2000, le principal rival de George W. Bush à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle.

[RESUME] Les forces américano-britanniques vont bientôt désarmer Saddam Hussein, avec ou sans l’aval du Conseil de sécurité. Elles pourront être fières de leur action bien que des opposants la qualifient de « Guerre injuste ».
Ils prétendent que :
 Tous les moyens non violents n’auraient pas été épuisés avant de déclencher la guerre. C’est vrai, s’ils estiment que les États-Unis doivent tolérer indéfiniment l’échec des moyens non violents à désarmer l’Irak.
 Nos armes ne feraient pas la distinction entre combattants et non combattants. C’est exact, mais c’était tout aussi vrai quand nous avons dû combattre l’Allemagne et le Japon et cette guerre était pourtant juste. De plus, nous développons des armes de plus en plus précises qui permettent d’éviter de frapper trop de civils. On nous reproche de planifier une attaque massive au début de la guerre (3 000 bombes en 48 heures) et que cette attaque qui frappera durement et démoralisera la population, mais en réalité nous visons l’armée irakienne pour éviter qu’elle utilise ses armes de destruction massive et qu’elle s’en prenne aux civils ou à ses voisins.
 Notre attaque serait disproportionnée par rapport à la menace irakienne. Pourtant Saddam Hussein continue de construire le plus dangereux arsenal du monde.
 Notre attaque ne serait pas légitime. Pourtant, le président Bush a juré de défendre les États-Unis, pas le Conseil de sécurité de l’ONU. Bush n’est responsable que devant le peuple américain.
 Le changement de régime en Irak n’entraînerait pas la paix et déstabiliserait la région. C’est vrai que ce risque existe, mais il est moins important que de laisser Saddam Hussein au pouvoir, un homme qui a agressé quatre pays. En outre, rien ne dit que la libération d’une population enthousiaste augmente l’antipathie dans le monde arabe vis-à-vis des États-Unis.
Nos troupes se battent pour la paix, la liberté et la justice en Irak et certains vont mourir pour cette juste cause. Que Dieu les bénisse et que l’humanité honore leur sacrifice.

[CONTEXTE] Cette tribune est une réponse, sans le nommer, à la tribune de Jimmy Carter de lundi dans le même New York Times. Son texte, « Just War - or a Just War ? » analysait la guerre à venir en Irak sous l’angle de la théorie de la « Guerre juste ». Cette tribune avait été traitée dans le numéro 105 de Tribunes Libres Internationales.

« Mettons la moralité de côté, renverser Saddam est un impératif politique »

Morality aside, getting rid of Saddam is politically imperative
Daily Telegraph (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Malcolm Rifkind est ancien ministre conservateur des Affaires étrangères britanniques (1995-1997).

[RESUME] Durant les derniers mois, j’ai critiqué l’attitude cavalière de l’administration Bush vis-à-vis de ses alliés et son dédain apparent pour le Conseil de sécurité et pour les rapports d’Hans Blix. Pourtant, d’une certaine façon, les Français, les Allemands et les Russes ont fait pire. En effet, s’ils étaient restés aux côtés des États-Unis et du Royaume-Uni pour faire pression sur Saddam Hussein, nous aurions plus obtenu que le démantèlement de quelques missiles controversés.
La position de Tony Blair est encore une autre question. En effet, M. Blair essaye de convaincre les Britanniques qu’il y a un impératif moral à renverser Saddam Hussein, pourtant on ne se souvient pas qu’il ait essayé de convaincre le président Clinton de le faire à l’époque. En fait, cet argument n’a pas d’autres buts que de convaincre le Parti travailliste qui reste insensible aux arguments géostratégiques.
M. Blair suit la politique traditionnelle des Premiers ministres britanniques : être l’allié le plus proche des États-Unis. Malheureusement, ce soutien a été beaucoup trop inconditionnel et il a oublié que même Margaret Thatcher avait critiqué la prise de Grenade. M. Blair a affirmé que son soutien dépendrait d’une nouvelle résolution, puis il a renoncé à cette condition quand son obtention est devenu improbable. Il s’est mis alors à regretter les vetos « déraisonnables ». En fait, il est resté lié à tout ce que George W. Bush avait décidé.
Ainsi, les derniers mois n’ont pas été glorieux pour les diplomates américains, britanniques, français et allemands. La crédibilité de l’ONU et de l’alliance occidentale est aujourd’hui en jeu. Pour ma part, il m’est désormais difficile de choisir quelle position défendre. Je pense que nous pourrions laisser deux ou trois mois aux inspecteurs, en échange toutefois de l’assurance du soutien russe et français au début d’une action militaire qui viendrait sanctionner le non-désarmement irakien au terme de cette période. Sans cette assurance, je soutiendrais la position de M. Bush d’attaquer tôt.
Il est vrai que M. Bush a été incompétent jusqu’ici, mais c’est le passé, et il faut regarder la situation. Les États-Unis ont 200 000 hommes dans la région et ils ne peuvent les laisser là indéfiniment. Ils ne peuvent pas non plus les retirer si Saddam Hussein est toujours au pouvoir et que l’Irak a toujours ses capacités d’armement biologique et chimique. Ce serait en effet, une défaite déstabilisante pour les États-Unis et le monde.
Je pense que seuls les Américains ont la puissance suffisante pour amener la liberté et la démocratie et pour faire face aux menaces du monde. Ni la France, ni la Russie ne le peuvent. On peut donc beaucoup critiquer Bush et Blair, pourtant si les États-Unis devaient être humiliés dans les semaines à venir, le vainqueur ne serait pas l’ONU, mais Saddam Hussein, Kim Jong Il et les autres despotes de la planète.

« Le panache et l’intérêt »

Le panache et l’intérêt
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Alain Besançon est soviétologue. Il est membre de l’Institut d’histoire sociale et de la Nouvelle Initiative Atlantique.

[RESUME] Crécy, Poitiers, Azincourt et Pavie sont toutes des batailles que la France a perdues parce qu’elle a fait passer le panache avant l’efficacité et la stratégie. L’histoire française est remplie de ces moments où l’on a fait passer « l’honneur » avant les avantages.
Si l’on a aujourd’hui l’impression que l’administration Bush mène une politique à l’encontre des intérêts américains et si les Britanniques les suivent traditionnellement, tous les autres pays sont en train de rechercher leur intérêt. Et la France ? Où est son intérêt dans l’utilisation du veto ? Il ne changera pas l’attitude des États-Unis, ne sauvera pas l’ONU ou l’Europe, bien au contraire et rajoutera une crise à la crise existante.
On me parle de défense de « principes », « d’honneur ». Cette attitude ne nous a pas véritablement réussi en 1870 ou à Fachoda. Pourtant, la population française semble aussi enflammée qu’à cette époque et la gauche souffle sur les braises, sans souci de responsabilité, pour mettre la droite dans l’embarras. Une partie de la droite parle de « nouveau 18 juin ». Mais le 18 juin, le général De Gaulle avait fait une analyse des rapports de force et avait regardé où était l’intérêt de la France. Ici, nous n’avons rien de tel.
Le peuple français pourra toujours se consoler de ne pas avoir analysé la situation et recherché son intérêt avec de la gloire. N’avait-il pas construit l’Arc de Triomphe après une défaite écrasante ?

« Comment choisir entre tant de maux ? »

Comment choisir entre tant de maux ?
Le Monde (France)

[AUTEUR] Hocine Aït-Ahmed est président du Front des Forces socialiste algérien et s’oppose au régime des généraux dans son pays. Il fut l’un des dirigeants historiques du FLN pendant la guerre d’indépendance.

[RESUME] Les grandes manifestations contre la guerre en Irak ont rendu visible l’exaspération de l’opinion publique occidentale contre la politique de Bush et des gouvernement qui le soutiennent. Elles sont aussi souligné l’exclusion des populations arabes de la scène politique nationale et internationale par leur régime.
Le silence des populations arabes est dû à un mélange contradictoire de résignation et de révolte et à la dislocation sociale. Les régimes arabes sont corrompus, brutaux et impopulaires. À l ’extérieur, ils affichent un credo moderniste et anti-islamiste, mais, à l’intérieur, ils rivalisent de zèle religieux et traditionaliste avec les groupes les plus conservateurs. De leur côté, les peuples dénoncent l’archaïsme et l’absence de liberté dans lesquels on les a plongé, mais affichent des sympathies pour les groupes tribaux ou islamistes les moins susceptibles de liberté ou de modernité.
Le problème que pose la guerre en Irak, c’est qu’après l’avoir condamnée, on se retrouve démuni politiquement tant le droit international a été violé par le passé et tant le souvenir de l’incapacité des institutions onusiennes à empêcher les dictateurs d’agresser leur population est vivace. Les oppositions des pays arabes continuent d’être mal considérées par ces défenseurs du droit et la situation de mon pays, l’Algérie, est presque caricaturale.
Le vide laissé par la disparition du pôle soviétique a été comblé par une multitude de réseaux euro-arabes ou euro-africains. Ces réseaux existaient déjà du temps de l’affrontement Est-Ouest, mais ils se sont consolidés et ont galvaudé les discours sur la souveraineté des peuples ou le droit international pour maintenir au pouvoir des régimes brutaux. La France et l’Allemagne ont raison de s’opposer au remodelage du monde par les États-Unis leur son seul profit, mais on aurait pu espérer que l’Europe condamne également enfin la dictature dans les pays arabes et rompe avec son hypocrisie.
L’invocation du droit international a peu de chance de stimuler une population qui voit l’intervention américaine comme un acte brutal et égoïste, mais aussi comme une possibilité de bouleverser le statu quo. Le silence des populations arabes est peut être aussi un refus de la vassalité à laquelle les invitent les Européens. Certains pensent que le massacre à venir en Irak est une catastrophe d’où peut émerger une situation meilleure.
Si l’Europe veut vraiment proposer une alternative, elle doit en finir avec les effets d’annonce et réviser sa position vis-à-vis du monde arabe.

« L’armée de Saddam ne va pas se battre pour lui »

Saddam’s army is not going to fight for him
Gulf News (Dubaï)

[AUTEUR] Amir Taheri est journaliste iranien et rédacteur en chef du journal français Politique Internationale. Il est expert du cabinet Benador Associates à New York.

[RESUME] Comment se battra l’armée irakienne ? Certains optimistes la voient défaite en quelques jours, certains pessimistes pensent que cela prendra des mois, voire des années et parlent de guérilla urbaine. En réalité, la première question à se poser est : Y a-t-il une armée irakienne ?
Sur le papier, c’est une armée de 460 000 hommes répartis en 23 divisions qui a bénéficié depuis 30 ans de 23 % du budget national. En réalité, seules huit divisions sont pleinement opérationnelles. Saddam n’ose pas renforcer son armée car il craint qu’elle ne le renverse pour négocier avec les États-Unis. En effet, en raison des purges et de l’origine chiite de la majorité des conscrits, Saddam n’est pas populaire chez les militaires irakiens. De plus, il n’a plus l’aura d’un vainqueur, mais celle d’un perdant. En outre, l’armée irakienne n’a jamais été capable de se construire une stratégie efficace. Elle est coincée entre deux cultures militaires, celle des Soviétiques et celle des armées franco-britanniques et fait, en plus valider toutes ses décisions par Saddam. Cette situation lui a coûté de nombreuses défaites lors des différentes guerres.
L’armée irakienne n’est pas prête à mourir pour Saddam, mais elle est prête à le faire pour que l’Irak ne devienne pas une « colonie américaine ». Elle est donc tout à fait susceptible de renverser le dictateur, mais il est important qu’une autorité provisoire irakienne soit prête à exercer le pouvoir dès que la fin de Saddam semblera proche afin que l’armée stoppe les combats.
Saddam peut certes compter sur d’autres forces que l’armée pour combattre pour lui. Il dispose de forces parallèles, comme la garde républicaine ou sa garde personnelle, mais ce ne sont pas non plus des forces fidèles ou alors elles sont plus efficaces dans la répression contre la population que dans une bataille.
Parler de guérilla urbaine n’a donc aucun sens.
Saddam et son gang n’ont rien de guérilleros. Ce sont des hommes habitués au luxe, au cognac, aux vêtements de grands couturiers et aux havanes. La seule chance de ces hommes est que les États-Unis perdent politiquement là où ils gagnent militairement et qu’ils apparaissent non comme des libérateurs, mais comme des occupants. Les planificateurs de l’attaque américaine doivent donc faire très attention à cette question.