L’effondrement de l’URSS, en 1991, rouvre le « grand jeu » d’Asie centrale qui, tout au long du XIXe siècle opposa les grandes puissances par peuples interposés. Mais, surpris par cette situation soudaine et inattendue tout autant que par la faiblesse de la Russie, les protagonistes traditionnels ne se mobilisèrent pas immédiatement. Remplissant ce vide, des aventuriers se disputèrent la Tchétchènie-Ingouchie.

Au moment de l’effondrement de l’URSS, alors que le pays sort à peine de la campagne militaire d’Afghanistan, Moscou affaibli doit faire face aux revendications autonomistes des Républiques caucasiennes. Ces nouvelles affirmations identitaires sont parfois d’ordre religieux. Lorsqu’elles sont musulmanes, comme au Daghestan, en Tchétchénie, en Ossétie du nord et en Azerbaïdjan, Moscou tente de s’appuyer sur des minorités orthodoxes. À l’inverse, lorsqu’elles sont orthodoxes, comme en Géorgie, Moscou s’appuie sur des minorités musulmanes. Les analyses géopolitiques de la région en fonction de critères religieux ou de la « question des nationalités » sont des leurres : le Kremlin sait parfaitement adapter sa diplomatie aux différentes situations.

Comme pour bien d’autres officiers supérieurs de l’Armée rouge, la dissolution de l’URSS aurait dû signifier la fin de la carrière militaire du général de division Djokhar Doudaïev. Toutefois, le 27 octobre 1991, il est élu président de la République autonome de Tchétchénie-Ingouchie, région dont il est originaire mais où il n’avait jamais vécu. Le 4 novembre, il proclame unilatéralement la sécession et l’indépendance de la Tchétchénie. Il ne répond pas en cela à une revendication populaire, mais à un objectif personnel : se tailler un État dans l’URSS en décomposition.

Djokhar Doudaïev

Contrairement à la vision rétrospective qu’on peut trouver aujourd’hui chez certains analystes du monde russe, cette annonce ne modifie rien, ni à la gestion administrative, ni à l’équilibre régional des forces, et ne reçoit pas de reconnaissance internationale. Pour éviter que l’exemple ne soit contagieux, le président russe Boris Eltsine dénonce l’indépendance et ordonne l’état d’urgence à Grozny. Doudaïev réplique en mobilisant la population et en menaçant la Russie « d’une campagne terroriste visant les centrales nucléaires » [1] ; un chantage qui paraît d’autant plus crédible qu’il s’appuie sur le souvenir de la résistance tchétchène contre la colonisation tsariste au XIXe siècle, et sur celui de la révolte du Daguestan contre les bolcheviks au début des années 1920. Le ton monte. Eltsine confie tous les pouvoirs à un légat tchétchène, Ahmet Akhsanov, pour résoudre la crise. Celui-ci peut compter sur le ministre de l’Intérieur de Doudaïev, le général Ibrahimov, pour que les troupes du KGB s’assurent le contrôle du bâtiment des télécommunications de Grozny.

Le bras de fer ne dure pas. Le président du conseil des nationalités du Parlement de la Fédération de Russie, Nicolas Medvedev estime « inadmissible de traiter les problèmes ethniques par des moyens militaires ». Viktor Barannikov, ministre de l’Intérieur d’Eltsine assure ne pas avoir été consulté et déplore les initiatives de son président. Viktor Ivanenko, responsable du KGB, parle d’« une dramatique erreur » du président russe. Le 11 novembre, la Douma désavoue Eltsine et invalide l’état d’urgence, par 177 voix pour, 4 contre et 15 abstentions [2]. Privés d’autorité, Ahmet Akhsanov et le général Ibrahimov démissionnent. La confusion est totale, d’autant que le président du Soviet suprême, Rouslan Khasboulakov, lui-même tchétchène, affirme qu’aucune négociation n’est possible avec l’entourage du président Doudaïev, « un groupe de bandits, d’hommes sans conscience et sans honneur ».

La Tchétchénie-Ingouchie, que tous hormis son président considèrent comme une république russe autonome, se place comme acteur régional dans le Caucase. Ses premières décisions sont délibérément agressives envers l’ex-URSS : alors que le président géorgien, l’autocrate Zviad Gamsakhourdia, lâché par Moscou [3], est chassé de Tbilissi par un mouvement révolutionnaire, et qu’il trouve refuge en Arménie, Grozny annonce la création d’une force d’interposition du Caucase pour lui venir en aide [4], et le reçoit. Le général Doudaïev déclare « ne reconnaître que le gouvernement constitutionnel de la Géorgie et son président élu par le peuple » [5]. Il est imité par James Baker, le secrétaire d’État états-unien, qui, pour ajouter à l’embarras de Moscou, se fait un plaisir d’exprimer les « inquiétudes » de Washington « concernant la manière violente dont un dirigeant démocratiquement élu a été renversé » [6]. En avril 1992, la Tchétchénie est la seule République autonome, avec le Tatarstan, à refuser de ratifier le traité de la Fédération proposée par le président Eltsine qui leur accorde pourtant une large autonomie. Peu après, Grozny prend le contrôle des troupes ex-soviétiques de la Communauté des États indépendants stationnées sur son territoire, et les place sous sa juridiction.

La « question des nationalités » devient l’enjeu de luttes de pouvoir à Moscou. Le 30 juin 1992, le ministre des Affaires étrangères russe, Andreï Kozyrev fait état publiquement de ses craintes d’un coup d’État dans la Fédération à propos de cette question. Selon lui, « certaines personnalités conservatrices et des dirigeants militaires, comme le vice-président Alexandre Routskoï, veulent renforcer leur influence en encourageant une plus grande participation militaire de la Russie dans les conflits qui opposent les minorités russes à d’autres États de l’ex-URSS comme en Moldavie et en Géorgie » [7]. La Tchétchénie fait également partie des sujets de discorde. La Géorgie, présidée par l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’URSS, Edouard Chevardnadze, demande ainsi à la Russie de mener une action contre le « centre terroriste » dirigé par l’ancien président Gamsakhourdia depuis Grozny. En réponse à l’instabilité régionale, Moscou déploie ses troupes à la frontière des trois Républiques transcaucasiennes, l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan, pour éviter une déstabilisation de ses propres territoires. Une question d’autant plus cruciale que le président Doudaïev cherche des soutiens à l’étranger : au cours de l’été 1992, il se rend en Arabie saoudite et dans les Émirats, puis, à l’automne, en Turquie, à Chypre et en Bosnie-Herzégovine. Une tournée aux États-Unis est évoquée quelque temps.

L’absence de réaction militaire significative du Kremlin illustre la crise majeure qu’il traverse. Le gouvernement ne gouverne plus. Ministres, conseillers et directeurs, privés de tout repère idéologiques, se montrent vulnérables aux tentations. La privatisation de l’économie se fait par la voie de sa criminalisation. D’autant qu’en proclamant l’indépendance de la Tchétchénie, Doudaïev a libéré la quasi-totalité des détenus de droit commun, qui grossissent, à Moscou, les rangs de la criminalité organisée et développent un important réseau de connexions politiques en Russie. C’est à peu près à cette époque que le futur oligarque Boris Berezovski, commence à conclure des affaires avec ces gangs tchétchènes, sur fond de guerre des clans avec la Fraternité de Solntsevo, composée de mafieux slaves [8]. En Tchétchénie, les bandits locaux coopèrent avec les mafieux russes pour le trafic d’héroïne, dont l’aéroport de Grozny devient une plaque tournante au niveau mondial. De la même manière, l’absence totale de législation bancaire dans le pays incite les dirigeants russes pressés de piller les caisses de la Fédération à se servir de faux établissements bancaires tchétchènes pour opérer leurs opérations de "cavalerie" et de blanchiment. Le pétrole, enjeu capital de la région, fait également l’objet d’un partage entre dirigeants tchétchènes et russes : le pays est situé au carrefour d’un grand nombre d’oléoducs [9], à une période où la nomenklatura vend les ressources naturelles de la Russie pour son propre bénéfice. Il suffit de négocier avec le pouvoir en place à Grozny pour trouver un modus vivendi. Le journaliste arménien Vicken Cheterian déclarera ainsi, lors d’une conférence des Amis du Monde Diplomatique, que « chaque général [russe] a son puits de pétrole ». Selon Paul Klebnikov, auteur de Parrain du Kremlin [10], « les hauts fonctionnaires russes et les membres des services de sécurité qui travaillaient habituellement pour les bandes tchétchènes de Moscou entretenaient également des rapports mutuellement profitables avec le gouvernement du président Djokhar Doudaïev, permettant au gouvernement de s’approprier des millions de tonnes de pétrole russe sans bourse délier ou presque ».

Pourquoi les choses s’enveniment-elles subitement fin 1993 au point que Moscou décide d’une intervention militaire ? Plusieurs hypothèses sont avancées. Il y a tout d’abord des problèmes internes à la Tchétchénie : en avril 1993, le président Doudaïev tente d’installer une véritable dictature : il dissout le Parlement et confisque l’ensemble des pouvoirs pour son gouvernement. L’opposition se mobilise pour réclamer des élections libres. Tout en revendiquant, elle aussi, l’indépendance, elle apparaît comme plus proches de Moscou ou, à tout le moins, « moins radicalement anti-russes » [11]. À la même période, la guerre des gangs s’envenime à Moscou, faisant des dizaines de morts par jour de part et d’autre. Pour Paul Klebnikov, « la campagne de Tchétchénie ne fut rien d’autre qu’une guerre des gangs à grande échelle ». Grâce aux arrangements passés avec des hauts fonctionnaires russes, les dirigeants tchétchènes « étaient en mesure de vendre le pétrole russe sur les marchés étrangers ». Après avoir participé, sur instruction de Moscou, à la défense des séparatistes abkhazes de Géorgie, en 1993, les chefs militaires tchétchènes décidèrent de mettre la main sur ce trésor : « ce fut à ce moment que Djokhar Doudaïev, décidant qu’il était devenu grand et fort, arrêta de partager le butin avec ses associés de Moscou, explique le général Lebed. Donc [le gouvernement russe] résolut de le punir militairement » [12]. D’autant que l’Azerbaïdjan venait de signer un important accord pétrolier, en septembre 1994, avec un consortium anglo-états-unien. Les ressources pétrolières transitant par la Tchétchénie n’en devenaient que plus importantes. Des facteurs liés à la politique intérieure russe sont également évoqués par Alexandre Lebed : selon lui, lorsque l’Armée rouge se retira des anciens pays du bloc de l’Est, après la chute du mur de Berlin, plusieurs généraux du Groupe de Forces occidental (GFO), sous le commandement du général Matveï Bourlakov et la tutelle du ministre de la Défense, le général Pavel Gratchev, « négocièrent sur le marché noir une partie de l’équipement de leurs unités », notamment à la Serbie et à la Croatie, alors en pleine guerre l’une contre l’autre. Pour dissimuler cette « corruption massive de l’état-major », les généraux poussèrent le Kremlin à s’engager dans un conflit en Tchétchénie, afin de dissimuler leurs vols de matériels en pertes sur le champ de bataille. « Ces soi-disant généraux avaient besoin d’un grand conflit quelque part, pour qu’un nombre important de blindés pussent être considéré comme détruit pendant les combats », explique le général dans un entretien avec Paul Klebnikov [13]. Le journaliste Dmitri Kholodov, du Moskovskii Komsomolets enquête sur cette piste en 1994 ; en octobre, il est tué par l’explosion d’une mallette dans son bureau.

Alexandre Lebed

La répression par l’armée russe débute le 11 décembre 1994, avec un soutien du bout des lèvres du président états-unien, Bill Clinton, qui déclare souhaiter « un minimum de sang ». Paul Klebnikov recense les principaux décideurs de l’attaque : outre Boris Eltsine, il cite Pavel Gratchev, le ministre de la Défense, Oleg Soskovets, premier adjoint de Boris Eltsine, Oleg Lobov, secrétaire du Conseil de sécurité, Alexandre Korjakov, chef de la garde présidentielle, Viktor Erine et Sergueï Stepachine, tous formant ce qu’il appelle « le parti de la guerre ». Une dénomination contestée par le général Lebed : « Ce n’était pas le parti de la guerre. C’était le parti des affaires ». Lui et le général Gromov, vice-ministre de la Défense, tous deux très populaires, s’opposent à cette offensive. L’histoire leur donnera raison. Contrairement aux fanfaronnades du ministre de la Défense russe, Pavel Gratchev, selon lequel « un bataillon de parachutistes pouvait prendre Grozny en deux heures », la prise de la capitale tchétchène nécessita deux mois de carnage. Les troupes dépêchées sur place n’étaient pas des forces d’élite, mais simplement de jeunes conscrits stationnés à la frontière russe depuis les graves troubles qui secouèrent le Caucase en 1991-1992. La stratégie choisie fut un échec complet : l’envoi de colonnes de blindés, sans renfort aérien, ni appui de l’infanterie sur un théâtre urbain permet aux Tchétchènes d’en détruire un très grand nombre. Il leur suffit pour cela de neutraliser le véhicule de tête et le véhicule de queue, avant de s’attaquer aux autres, immobilisés. La réponse de Moscou fut féroce et, fin janvier 1995, l’armée russe s’empara de Grozny. Les combats se poursuivirent alors dans les montagnes, où les chefs de guerre tchétchènes s’étaient réfugiés. La désorganisation totale des forces russes s’y fit criante : « des commandants d’unité refusaient d’exécuter des ordres d’attaque, d’autres de respecter des cessez-le-feu. Beaucoup acceptaient des pots-de-vin pour laisser s’échapper des unités tchétchènes encerclées, tandis que certains vendaient même des armes à leurs adversaires » [14]. Le tout dans l’indifférence feutrée de la communauté internationale : le 6 janvier 1994, le président Bill Clinton écrit à Boris Eltsine simplement pour lui demander d’épargner les civils.

Depuis l’indépendance unilatérale du pays, les chefs tchétchènes avaient menacé Moscou de lancer des opérations terroristes sur le sol russe. En juin 1995, Chamil Bassaïev, ancien homme d’affaires moscovite devenu chef de guerre, pénétra avec plusieurs dizaines de combattants de plus de cent kilomètres en Russie, avant d’investir la mairie et l’hôpital de la ville de Boudionnovsk, où il prit en otage les 1500 occupants. Encerclé par les troupes d’élite russe, il repoussa plusieurs assauts puis, après avoir fait exécuter des otages, obtint du Premier ministre Viktor Tchernomyrdine le droit de repartir avec plusieurs dizaines d’otages pour couvrir sa retraite. Le bilan de l’attaque, qui se monte au moins à 120 morts, entraîna un cessez-le-feu de six mois avant la reprise des combats.

Sans mobiles idéologiques précis, les différents protagonistes ne parviennent pas à concevoir de solution politique. Au contraire, ils tentent de régler leurs conflits d’intérêts personnels par la force, engageant leurs troupes respectives dans des affrontements meurtriers et stériles, dans lesquels ils sacrifient les populations.

L’élection présidentielle de juin 1996, pour laquelle Boris Eltsine ne part pas favori, va accélérer la fin du conflit. Les oligarques qui entourent le président russe, au premier rang desquels Boris Berezovski, font barrage au candidat communiste, Guennadi Ziouganov, pourtant en tête dans les sondages. La paix en Tchétchénie pourrait être un moyen inespéré pour Eltsine de regagner en popularité. Mais son équipe de campagne privilégie finalement la communication : en s’appuyant sur les médias publics - contrôlés par le Kremlin - et privés - contrôlés par ses amis - le candidat Eltsine occupe le devant de la scène, notamment à la télévision. Mieux, le 8 mai, Boris Berezovski et les autres membres du cabinet de campagne d’Eltsine rencontrent le général Lebed, candidat lui aussi. Rien ne filtre de leur entrevue, mais les analystes notent alors un retour en grâce du général dans les médias. En mai 1996, à quelques jours seulement de l’élection, le président tchétchène Djokhar Doudaïev est tué par un missile guidé en repérant son téléphone portable. L’impact d’une telle action est difficile à évaluer, mais nul doute qu’elle a joué dans le résultat du premier tour : le président sortant obtient 35,1 % des suffrages exprimés, contre 32 % à son adversaire communiste, tandis que le général Lebed réalise un score inespéré de 14,7 %. Deux jours plus tard, ce dernier est nommé secrétaire du Conseil de sécurité et conseiller personnel du président Eltsine pour les questions de sécurité. Le ministre de la Défense, Pavel Gratchev, est remercié, tout comme Alexandre Korjakov, Mikhaïl Barsoukov, directeur du service fédéral de sécurité (FSB, ex-KGB) et du vice-premier ministre Oleg Soskovets. Sept généraux nommés par Gratchev sont limogés. Le « parti de la guerre » est décapité.

Pourtant, le lendemain du second tour, le 6 juillet 1996, les affrontements reprennent en Tchétchénie, après une période d’accalmie. L’armée russe pilonne les positions des insurgés. Le 11 juillet, une bombe explose au cœur de Moscou, faisant cinq blessés. Le lendemain, un nouvel attentat fait un mort. Les auteurs ne seront pas identifiés. Deux hypothèses circulent néanmoins : « celle d’une mise en garde des milieux mafieux contre le renforcement annoncé de la lutte contre le crime organisé. Et celle du "terrorisme tchétchène" » [15]. Le général Lebed se voit confier la lutte contre le terrorisme. Ses positions sont tranchées : il dit n’être plus favorable à l’indépendance de la Tchétchénie car celle-ci « est traversée par des routes, des oléoducs et des chemins de fer », et que son indépendance pourrait conduire à « une grande guerre du Caucase » [16]. Les affrontements sont particulièrement violents, faisant plus de quatre cents victimes civiles en une semaine. Un processus de négociation est néanmoins lancé : Alexandre Lebed y envoie son émissaire spécial, Serguei Drobouch, qui est la cible de bombardements... de la part de l’armée russe commandée par le général Viatcheslav Tikhomirov, un faucon qui a pris l’initiative de la reprise des combats. Du côté tchétchène, c’est Rouslan Khasboulatov, ancien président du Soviet suprême russe, qui est nommé « chef du groupe des conseillers » de la direction indépendantiste, par le président Zelimkhan Iandarbiev. Les Tchétchènes réclament un statut « d’indépendance-association » avec la Russie : il s’agirait d’un reconnaissance par Moscou de la Tchétchénie comme un « État indépendant, sujet de droit international ». En échange, « Grozny déléguerait à Moscou la "mise en œuvre de la défense collective et la direction des forces armées". Russie et Tchétchénie conserveraient une monnaie unique, des frontières, un espace douanier et économique et un système de défense communs » [17].

Chamil Bassaïev

Le 8 août, Chamil Bassaïev mène un commando au cœur de Grozny qui, profitant de l’effet de surprise, tue plus de 500 soldats. Les trois mille soldats russes de Grozny sont contraints de rester dans leurs cantonnements, tandis que les hommes de Bassaïev s’assurent le contrôle de la ville. Le 12 août, le général Lebed se rend à Khassaviourt, au Daguestan, pour y entamer des négociations de paix. Au finale, les deux camps se mettent d’accord sur un retrait des troupes russes, avec un moratoire sur le statut de la République dont au fond tout le monde se moque puisque ce n’est pas l’en jeu réel. Il devra être réglé « d’ici au 31 décembre 2001 », date à laquelle il sera soumis à référendum. L’accord de paix est signé le 3 septembre 1996. Malgré les réticences du président Boris Eltsine, qui refusera pendant plusieurs jours, de rencontre Alexandre Lebed, le premier conflit tchétchène s’achève. Sa durée s’explique par les intérêts personnels qu’y trouvaient certains responsables, aussi bien russes que tchétchènes, le conflit ayant été l’occasion de trafics en tout genres.

Le général Lebed relate ainsi la réaction de Boris Berezovski après la signature des accords de paix : « Berezovski vint me voir et tenta de m’intimider. Quand il comprit que l’on ne pouvait pas m’effrayer, il me dit simplement : "Vous avez ruiné une telle affaire. Tout allait si bien. Ils s’entre-tuaient ? Et alors ? Ils se sont toujours entre-tués et s’entre-tueront toujours" ».

Cet article est le premier d’une enquête en trois volets. Le suivant, Business et terrorisme à Moscou, revient sur la tentative d’instrumentalisation du conflit Tchétchène par les oligarques dans leur bras-de-fer avec avec le président Poutine, entre 1996 et 1999. Le dernier article, Le « domino » tchétchène, dévoile les enjeux géo-stratégiques de la seconde guerre de Tchétchénie, sur fond de pipeline, d’islamisme radical, et de « Grand jeu » caucasien.

[1« En imposant l’état d’urgence aux Tchétchènes, M. Eltsine engage l’épreuve de force dans le Caucase », par Jan Krauze, Le Monde, 8 novembre 1991.

[2« URSS : une décision de M. Boris Eltsine contestée », par Jan Krauze, Le Monde, 12 novembre 1991.

[3Boris Eltsine avait notamment annoncé, peu de temps avant, qu’il refuserait l’adhésion de la Géorgie de Gamsakhourdia à la Communauté d’États indépendants (CEI) « à cause des atteintes aux droits de l’homme dans ce pays ».

[4« Géorgie : calme trompeur à Tbilissi », par José Alain Fralon, Le Monde, 13 janvier 1992.

[5« Où est M. Gamsakhourdia », Le Monde, 23 janvier 1992.

[6« Washington critique les conditions de la destitution de M. Gamsakhourdia en Géorgie », Le Monde, 20 février 1992.

[7« M. Kozyrev estime que "la menace d’un coup d’État existe" », Le Monde, 2 juillet 1992.

[8Voir « Boris Berezovski, le receleur », par Paul Labarique, Voltaire, 26 avril 2004.

[9La Tchétchénie est notamment au centre du réseau d’oléoducs par lequel transitait le pétrole de la Caspienne et de la Sibérie occidentale, en direction du terminal pétrolier de Novorossisk sur la mer Noire.

[10Parrain du Kremlin - Boris Berezovski et le pillage de la Russie, de Paul Klebnikov, Robert Laffont, 2000.

[11« Le conflit russo-tchétchène », par Sandra Bisin et Vincent Thollet, DESS journaliste bilingue de Paris III, 2003.

[12Parrain du Kremlin, op. cit.

[13Parrain du Kremlin, op.cit.

[14Parrain du Kremlin, op.cit.

[15« Nouvel attentat au cœur de Moscou », par Sophie Lambroschini, Libération, 13 juillet 1996.

[16« Boris Eltsine confie la lutte contre le terrorisme au général Lebed », par Sophie Shihab, Le Monde, 13 juillet 1996.

[17« Les vélléités de paix du candidat Eltsine sont restées lettre morte », par Dorian Malovic, La Croix, 8 août 1996.