Dov S. Zakheim est une figure à part dans le dispositif néo-conservateur mis en place autour de George W. Bush. Rabbin reconnu, rouage essentiel du « complexe militaro-industriel » états-unien, il a longtemps servi de caution juive pour les politiques de Washington défavorables à Israël. Depuis, il a rejoint le camp des ultra-conservateurs aux côtés de Dick Cheney et intégré le groupe des « Vulcains » mené par Condoleeza Rice. En juillet 2004, il participe à la restauration du « Comité du danger présent », dont le but affiché est de contraindre la future administration à lutter contre l’Islam.
Dov Zakheim est certainement un des rares ecclésiastiques à avoir eu une telle carrière politique au cœur même du pouvoir états-unien, c’est-à-dire l’appareil militaro-industriel. Le responsable des cordons de la bourse du Pentagone est en effet très implanté au sein de la communauté juive. Né à Brooklyn, Zakheim vient d’une famille très sioniste. Son père compte Menachem Begin parmi ses amis, et vient de la même ville de Pologne que Yitzakh Shamir.
Diplômé en 1970 de l’université de Columbia, Dov Zakheim part faire ses études à Londres, à la London School of Economics. Diplômé du Jew’s College de Londres en 1973, il obtient également un doctorat en économie et science politique au St Antony’s College de l’université d’Oxford. C’est à cette époque qu’il est ordonné rabbin.
Le défenseur des intérêts du Pentagone auprès de la communauté juive
L’entrée dans la sphère politique de Dov Zakheim est certainement plus liée à l’important capital relationnel dont il dispose par sa famille qu’à ses fortes convictions religieuses. Après avoir été employé par la division Affaires internationales et Sécurité nationale du Congressional Budget Office, il rejoint le pouvoir exécutif et le département de la Défense en 1981, sous la présidence de Ronald Reagan. Son rôle consiste, entre autres, à élaborer les plans de défense en cas de guerre nucléaire.
Rapidement, son appartenance à la communauté juive états-unienne le désigne pour en faire l’émissaire spécial en Israël. Il est chargé de faire avaler à Tel-Aviv les couleuvres de Washington.
En 1983, le secrétaire à la Défense de Ronald Reagan, Casper Weinberg, lui demande d’évaluer, puis d’organiser, l’opposition au projet d’avion de chasse israélien, le Lavi. Le programme élaboré par Tsahal menaçait de coûter plusieurs milliards de dollars au Pentagone, pour développer une arme qui aurait ensuite pu être vendue à la Chine et à l’Afrique du Sud. Pour avoir « saboté » le projet, Zakheim est qualifié de « traître à la famille » par le ministre de la Défense de l’époque, Moshe Arens, pourtant un ami d’enfance. En 1996, le rabbin états-unien revient sur cet épisode dans un livre, Flight of the Lavi - Inside a U.S.-Israeli Crisis. Il y raconte comment il a mené à bien sa mission, et « résisté aux dirigeants israéliens, aux supporters de l’État juif à Washington et à la communauté juive américaine, afin de défendre les intérêts économiques et stratégiques des États-Unis ». Selon lui, la politique qu’il défendit à l’époque servait d’ailleurs également les intérêts d’Israël, puisqu’il coûtait moins cher à Tel-Aviv de s’équiper en matériel militaire états-unien que de produire ses propres technologies.
Zakheim aura l’occasion de rejouer ce rôle de médiateur avec Israël. Au début des années 1990, il est embauché comme consultant par McDonnell Douglas, une société d’armement états-unienne spécialisée dans la fabrication de F-15. Une fois en place, il convainc Washington d’accepter la vente de plusieurs exemplaires de cet avion de chasse à l’Arabie saoudite. D’après un article du Baltimore Sun paru en 1993, le rôle assigné par McDonnell Douglas à Zakheim était précisément « d’aider à amollir l’opposition potentielle d’Israël à la vente ».
Ces deux épisodes permettent de nuancer le concept de « lobby juif » états-unien, si fréquemment utilisé pour évoquer la communauté juive d’outre-Atlantique. En réalité, il apparaît que les Juifs états-uniens sont bien plus soumis à la volonté de Washington que l’inverse. Ce sont eux, ensuite, qui font « tampon » entre les États-Unis et Israël, où ils sont chargés de défendre la politique de la Maison-Blanche en faisant valoir l’alliance indéfectible entre les deux pays.
L’actuelle administration Bush s’est inspirée de ces exemples plus récemment pour s’opposer à la politique d’installation de colonies par le Likoud. La Maison-Blanche a conduit à cette occasion une campagne en direction des pro-Israéliens à Washington, tout en établissant des groupes de travail comprenant des responsables états-uniens et israéliens, et en bénéficiant du soutien de la presse et de l’opinion publique israéliennes. Une démarche similaire à celle adoptée à la fin des années 1980 par Dov Zakheim. Elle facilita, à l’époque, la défaite électorale du gouvernement likoudnik.
Depuis cette période, Dov Zakheim a néanmoins dû donner des gages à Israël pour pouvoir encore servir de relais entre la Maison-Blanche et Tel-Aviv. En 1997, il prend ainsi ses fonctions au sein de la Commission états-unienne pour la Préservation de l’héritage américain à l’étranger, dont la mission est de protéger des sites ayant une valeur historique pour les États-Unis, principalement les cimetières juifs. Et lorsque plusieurs reponsables états-uniens demandent, en 1998, à ce que des agents de la CIA soient envoyés en Israël pour s’assurer que les accords israélo-palestiniens de Wye Plantation sont bien appliqués par les deux parties, il affirme publiquement son opposition [1].
Au cœur du complexe militaro-industriel
Dov S. Zakheim ne peut pas être assimilé, en tant que rabbin membre de l’administration Bush, à un « faucon sioniste ». Certes, il est impossible de le considérer comme un pro-arabe, mais il est avant tout un défenseur des intérêts états-uniens, et notamment du Pentagone.
De 1985 à mars 1987, il est sous-secrétaire adjoint à la Défense pour la Planification et les Ressources. À ce titre, il joue un rôle actif dans le système d’acquisitions du département de la Défense. Il mène parallèlement une carrière dans le secteur privé, notamment en tant que consultant pour McDonnell Douglas et Northman Grupman ; ce qui est tout à fait symptomatique du mélange des genres fréquent au sein de la Défense états-unienne, où s’entrechoquent intérêts publics militaires et intérêts privés industriels. Des intérêts tellement indissociables que l’on parle du « complexe militaro-industriel ».
Début 2000, il devient vice-président de System Planning Corp, une société de technologie, recherche et analyse, basée à Arlington, en Virginie, et directeur général de SPC International Corp, une filiale spécialisée dans le conseil politique, militaire et économique. La System Planning Corp a également élaboré un système permettant de guider des avions à distance, depuis le sol. Il poursuit en parallèle son entrisme dans le milieu de la Défense. Bien que républicain, il est nommé par le secrétaire à la Défense de Bill Clinton, William Cohen, au sein de la Task Force sur la Réforme de la Défense. L’année suivante, il siège au Bureau des Écoles régionales d’outre-mer du département de la Défense. En 2000, il a à nouveau l’occasion d’apporter son soutien au Pentagone dans le cadre de l’élaboration de sa politique d’achat, en participant au Conseil scientifique consacré à « l’impact de la politique d’acquisition du DoD sur l’Industrie de la Santé militaire ».
Autour du candidat Bush
Durant toute cette période, Zakheim travaille, en marge de ses activités officielles, à la victoire républicaine lors de la l’élection présidentielle à venir, en novembre 2000. En 1998, il signe le manifeste de ce qui n’est alors qu’un rassemblement d’ultra-conservateurs, le « Projet pour un nouveau siècle américain ». En 2000, ce groupuscule mis en place par l’American Entreprise Institute publie un nouveau rapport dans lequel il appelle de ses vœux un « événement catastrophique et catalyseur, semblable à un nouveau Pearl Harbor » afin de rallier l’opinion publique états-unienne à ses projets délirants [2]. Le document est signé par Dov Zakheim, mais aussi David Epstein, Robert Kagan, Eliot Cohen, I. Lewis Libby, Paul Wolfowitz... Il n’est pas destiné au grand public, mais plutôt aux bailleurs de fonds de la campagne républicaine afin de leur présenter le projet qu’ils financent.
Le travail de Zakheim est récompensé. En 1999, il est invité à rejoindre les « Vulcains », un groupe d’experts en politique étrangère piloté par Condoleezza Rice, qui forme à son domicile le candidat George W. Bush aux questions internationales [3]. Après que la Cour suprême eut nommé George W. Bush à la présidence, il participe brièvement à la Commission de transition de la Rand Corporation, en 2001. Cette commission se réunit après chaque élection présidentielle aux États-Unis afin d’exposer les propositions du complexe militaro-industriel au nouveau Président. L’état-major reconnaissant ne l’oublie pas au moment de la distribution des postes : une fois arrivée à la Maison-Blanche, l’équipe réunie autour du vice-président Dick Cheney le nomme Contrôleur et Directeur financier du Pentagone. À ce poste, il supervise l’explosion des dépenses militaires états-uniennes, pour le plus grand bonheur de l’industrie de l’armement pour laquelle il a si longtemps travaillé.
Des affiliations néo-conservatrices
S’il n’est pas à proprement parler, un défenseur acharné d’Israël, Dov S. Zakheim n’en est pas moins un néo-conservateur convaincu, comme en témoigne son curriculum vitae. Il est professeur d’économie auxiliaire à l’université Yeshiva de New York, enseigne au Trinity College, au National War College (où a également enseigné Daniel Pipes) et à l’université de Columbia. La liste des think-tanks qu’il a, à un moment ou à un autre, fréquentés permet de mieux cerner sa place dans le champ politique états-unien.
Dov Zakheim a siégé au comité directeur du Foreign Policy Research Institute jusqu’en 2000. LE FPRI a été dirigé par Daniel Pipes au milieu des années 1980 [4]. Ce groupe de recherche en politique étrangère néo-conservatrice, au sein duquel on trouve notamment Richard Perle et Alexander Haig, a été fondé par Robert Strausz-Hupé en 1955 et théorise depuis les moyens de parvenir à un nouvel ordre mondial dirigé par les États-Unis, un « empire américain » selon le premier numéro de la revue du FPRI, Orbis, paru en 1957.
La participation de Zakheim au Center for Security Policy [5] en fait un faucon suffisamment introduit dans les milieux néo-conservateurs pour y faire valoir l’idéologie élaborée par le FPRI. Au sein de ce clan républicain, il se situe dans l’écurie du vice-président Dick Cheney, comme en atteste sa présence au sein du Center for Strategic and International Studies. On le trouve également à la Fondation Heritage, chantre de l’idéologie reaganienne, au Wilson Center for International Scholars et enfin au Council on Foreign Relations. Son appartenance au CFR atteste de sa notabilisation : seuls y sont admis les « happy few » démocrates ou républicains, membres de l’aristocratie politique washingtonienne et férus de politique étrangère
Le « danger présent »
En mars 2004, Dov Zakheim démissionne de ses fonctions au Pentagone, sans donner de raison. Il a rejoint depuis la firme Booz Allen Hamilton, une structure à mi-chemin entre le cabinet d’avocat international, l’assureur de risque et la société de conseil, basée à McLean, en Virginie. Ce cabinet a notamment été sollicité pour travailler au projet de surveillance totale de la population états-unienne, le Total Information Awareness System [6]. Le 6 mai 2004, Zakheim a été nommé vice-président par le conseil d’administration de Booz Allen Hamilton [7], où il rejoint l’ancien directeur de la CIA, James Woolsey, nommé à ce poste en juillet 2002 [8].
Depuis juillet 2004, les deux hommes participent à la formation d’un troisième « Comité sur le danger présent », par référence au groupe homonyme créé une première fois au début de la Guerre froide pour lutter contre l’Union soviétique. Désormais, cet organisme devra « défendre des politiques visant à gagner la guerre contre le terrorisme mondial, un terrorisme mené par des islamistes radicaux opposés à la liberté à la démocratie ». On retrouve en son sein quarante et un néo-conservateurs particulièrement agressifs, tels que Jeane Kirkpatrick, Newt Gingrich, ou encore Frank Gaffney [9]. Un épisode qui rappelle celui du second « Comité sur le danger présent », créé sous Carter sous la forme d’un « shadow cabinet » [10] uniquement consacré à la politique étrangère. Après l’élection de Ronald Reagan en 1981, 46 d’entre eux avaient intégré l’administration présidentielle. À voir la composition de ce troisième « Comité sur le danger présent », on peut se faire une idée de ce que sera un seconde administration Bush fils, s’il doit y en avoir une.
[1] Bio of Dov Zakheim : What the Board was Looking For, par Caryn Litt, Yeshiva University Observer.
[2] « Rebuilding America’s Defenses - Strategy, Forces and Resources for a New Century »,The Project for a New American Century, septembre 2000.
[4] « Daniel Pipes, expert de la haine », Réseau Voltaire, 5 mai 2004.
[5] Voir « Les marionnettistes de Washington », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 13 novembre 2002.
[6] « L’œil du Pentagone », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 18 novembre 2002.
[7] « Dr. Dov S. Zakheim joins Booz Allen as Vice President », de Booz Allen Hamilton, 6 mai 2004.
[8] « R. James Woolsey Joins Booz Allen as Vice President », communiqué de Booz Allen Hamilton, 15 juillet 2002.
[9] « Committee on Present Deception », par Jim Lobe, TomPaine.com, 23 juillet 2004.
[10] Le « shadow cabinet », tel qu’il existe dans plusieurs pays anglophones, est un gouvernement fantôme composé d’autant de membres et de postes que le gouvernement au pouvoir au même moment
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