Cet article est extrait du livre Sous nos yeux.
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Les victimes adultes du gazage de la Ghoutta était presque exclusivement des hommes. Les enfants étaient tous d’âges proches, ils avaient été enlevés ensemble par les jihadistes à Alep.

27 — La «  ligne rouge  »

En mai 2013, l’Otan diffuse à ses membres un rapport indiquant que la population soutient le Président el-Assad à 70 %. 20 % soutiennent les rebelles et 10 % sont sans opinion [1]. Paris et Ankara concluent qu’il n’y aura de victoire que si l’on revient au plan initial et que l’on bombarde la Syrie. Il faut prendre une initiative pour faire pression sur Washington.

Le 21 août une attaque chimique touche des civils syriens dans la banlieue de Damas, dans une zone contrôlée par les jihadistes, la Ghouta. Dans les heures qui suivent, une vaste machine de communication se met en branle accusant la République arabe syrienne d’en être responsable. Cette attaque marquerait le franchissement de «  la ligne rouge  » fixée par le Président Obama. Les Occidentaux s’apprêteraient à «  punir le régime  » en bombardant sa capitale.

Le gouvernement syrien dément toute implication et rappelle que le 23 mai, la police turque a arrêté 11 jihadistes à Adana en possession d’un important stock de gaz sarin [2]. Si le chef du groupe, Hytam Qassap, est de nationalité syrienne, les autres sont Turcs. En outre, l’armée syrienne libre a elle-même diffusée des vidéos d’un petit laboratoire de fabrication d’armes chimiques et menacé les alaouites de les gazer [3].

Ce qui s’est passé à la Ghouta est sujet à caution  : les services secrets US affirment avoir observé – sans intervenir – durant les quatre jours précédents l’armée arabe syrienne préparer le gaz [4]. Des vidéos sont diffusées par l’opposition, mais l’une d’elle est datée par YouTube (heure de Californie) avant le lever du soleil à Damas alors qu’elle est filmée à la lumière du jour. Les victimes sont soit des enfants – tous du même âge –, soit des hommes, seulement 2 femmes sur les 1 429 victimes dénombrées par les États-Unis. Les enfants morts s’avèrent être en réalité des alaouites qui ont été enlevés par les jihadistes quelques semaines plus tôt [5]. Bien qu’ils soient officiellement absents du pays, la France et le Royaume-Uni assurent avoir prélevé des échantillons sur place et les avoir immédiatement analysés. Ils confirment l’usage de gaz sarin. Problème  : le seul test connu nécessite dix jours pour être réalisé.

Selon les services de Renseignement français et britanniques, l’usage des armes chimiques par l’armée syrienne est attesté par des interceptions téléphoniques d’officiers. Mais il s’avère que ces interceptions ont été effectuées par les Israéliens [6]. Très vite, il apparaît que le Renseignement militaire français est prudent. Il n’est pas l’auteur de la Note de synthèse diffusée par le ministère français de la Défense [7]. Celle-ci a été réalisée par Sacha Mandel, un conseiller binational israélo-français du ministre.

Sur le fond, on ne comprend pas pourquoi l’usage d’armes chimiques serait une «  ligne rouge  ». En quoi est-elle pire que les autres «  armes de destruction massive  »  ? Pourquoi les États-Unis, signataires de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, en reprochent-ils l’usage à la Syrie qui n’en est pas signataire alors qu’ils ont eux-mêmes violé leur signature en 2003 dans la palmeraie de Bagdad  ? [8]

Marcus Klingberg, fut directeur adjoint de l’Institut israélien de recherche en biologie (IIRB) de Ness Ziona. Il transmettra au KGB les résultats des recherches israéliennes d’armes biologiques. Arrêté en 1982, il refusera le qualificatif d’espion, assurant avoir travaillé pour l’Humanité. Il est le grand-père de l’adjoint au maire de Paris, Ian Brossat.

Lorsque les armes chimiques sont apparues, durant la Première Guerre mondiale, elles ont surpris et, de ce fait, ont été très meurtrières. Cependant, les États ont rapidement trouvé les moyens d’y faire face, de sorte qu’aucun ne les a utilisées de manière significative sur le champ de bataille durant la Seconde Guerre mondiale. Au Proche-Orient, Israël a refusé de signer la Convention, entraînant avec lui l’Égypte et la Syrie. De 1985 à 1994, Israël a financé des recherches en Afrique du Sud visant à créer des armes sélectives en fonction des caractéristiques raciales. Il s’agissait de déterminer des agents toxiques ne tuant que les Noirs et les Arabes et pas le peuple juif [9]. Elles étaient conduites sous la direction du cardiologue du Président Peter Botha, le colonel Wouter Basson. On ignore si elles ont été couronnées de succès, ce qui semble improbable au plan scientifique. Plusieurs milliers de cobayes humains meurent durant les expériences [10].

Rapidement, les services britanniques valident les observations ci-dessus et mettent en garde le Premier ministre, David Cameron, contre une opération sous faux drapeau [11]. La télévision syrienne diffuse une vidéo d’un chauffeur des jihadistes. Il atteste s’être rendu en Turquie et avoir reçu les obus toxiques dans une caserne turque, puis les avoir secrètement transportés à Damas [12].

Interrogé par la presse russe, le Président syrien Bachar el-Assad, répond  : «  Les déclarations émises par des politiciens états-uniens, occidentaux et d’autres pays constituent une insulte au bon sens et une expression de mépris envers l’opinion publique de leurs peuples. C’est un non-sens  : d’abord on accuse, ensuite on rassemble les preuves. (…) Ce genre d’accusation est exclusivement politique, et répond à la série de victoires enregistrées par les forces gouvernementales sur les terroristes [13].  »

François Hollande, quant à lui, clame haut et fort que sa conscience lui ordonne de «  frapper  » Damas [14]. Ce faisant, il poursuit l’œuvre du parti de la colonisation qui, durant le gouvernement provisoire de Charles de Gaulle et celui de Georges Bidault, en mai 1945 et novembre 1946, bombarda de sa propre initiative Sétif, Guelma et Kherrata (Algérie), puis Damas (Syrie), et enfin Hai Phòng (Indochine/Vietnam). Au moment de retirer ses troupes, juste après l’indépendance, l’armée du général Fernand Olive attaqua Damas, uniquement pour manifester son dépit. Elle détruisit une partie du souk millénaire (comme cela a été fait aujourd’hui à Alep) et l’Assemblée nationale, symbole de la nouvelle République qu’elle rejetait.

L’Allemagne est la première à observer que, même si la Syrie avait utilisé des armes chimiques, son bombardement resterait illégal en regard du droit international, sauf décision du Conseil de sécurité [15]. Les Britanniques et les États-uniens sont en définitive persuadés que l’affaire a été fabriquée par la Turquie avec le soutien de la France et d’Israël.

À Londres, la Chambre des Communes interdit au Premier ministre d’attaquer Damas avant que la responsabilité du gouvernement de Bachar el-Assad soit établie avec certitude. Les députés, dont beaucoup connaissent le degré d’implication de leur pays contre la Syrie, se souviennent du tort subi par le Royaume à la suite de sa guerre contre l’Irak, en 2003, sur la base des accusations mensongères de George Bush et Tony Blair. À Washington, Barack Obama s’en remet au Congrès qu’il sait opposé à toute nouvelle aventure militaire quelle qu’elle soit [16]. Il s’agit bien sûr d’une manœuvre dilatoire car le Syrian Accountability Act de 2003 lui donne tous les pouvoirs pour détruire la Syrie.

François Hollande, qui a parlé trop fort et trop vite, reste seul en lice. Impuissant, il se terre à l’Élysée, tandis que la parole de la France est décrédibilisée au plan international. Personne ne demande de comptes à la Turquie et surtout pas Anne Lauvergeon, Alexandre Adler, Joachim Bitterlich, Hélène Conway-Mouret, Jean-François Copé, Henri de Castries, Augustin de Romanet, Laurence Dumont, Claude Fischer, Stéphane Fouks, Bernard Guetta, Élisabeth Guigou, Hubert Haenel, Jean-Pierre Jouyet, Alain Juppé, Pierre Lellouche, Thierry Mariani, Gérard Mestrallet, Thierry de Montbrial, Pierre Moscovici, Philippe Petitcolin, Alain Richard, Michel Rocard, Daniel Rondeau, Bernard Soulage, Catherine Tasca, Denis Verret et Wilfried Verstraete, qui ont tous reçus des «  cadeaux  » du patronat turc au nom de Recep Tayyip Erdogan.

La Russie aide les États-Unis à sortir de la crise la tête haute. Ils invitent la Syrie à signer la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, ce qu’elle fait sans attendre. Le Président Bachar el-Assad négocie avec l’OIAC un moyen de détruire les stocks existants, mais ce sera aux frais de Washington.

Par la suite, le journaliste états-unien Seymour M. Hersh met en lumière les hésitations de son pays dans cette affaire [17]. Puis, les professeurs Richard Lloyd et Theodore Postol du Massachusetts Institute of Technology démontrent que les obus chimiques ont été tirés depuis la zone «  rebelle  » [18]. La France persiste cependant, seule, à accuser la République arabe syrienne. «  Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage  », dit-on dans les campagnes françaises.

Quoiqu’il en soit, les Occidentaux réitéreront régulièrement contre la Syrie leurs accusations d’emploi d’armes chimiques, bien que tous les stocks aient été détruits conjointement par la Russie et les États-Unis. Ce petit jeu cessera lorsque Damas découvrira de telles armes dans des bunkers jihadistes. Elles avaient été livrées par la CIA et avaient été fabriquées par Chemring Defense (Royaume-Uni), Federal Laboratories et Non-Lethal Technologies (USA),

Le 6 juillet 2012, François Hollande présidait un sommet des Amis de la Syrie. Parmi les invités d’honneurs, on comptait plusieurs criminels contre l’humanité (c’est-à-dire ayant organisé l’exécution massive de personnes au seul motif de leur appartenance religieuse). Douze jours plus tard, il donnait l’ordre d’assassiner les membres du Comité syrien de Sécurité nationale et de donner l’assaut de Damas.

28 — Indécision

Ayant fermé son ambassade et rappelé tout son personnel en 2012, ayant retiré l’essentiel de ses Forces spéciales après son engagement au Mali début 2013, ayant été désavoué par Washington, Paris n’a plus ni moyens sur place, ni plan d’action.

Ne sachant trop que faire, François Hollande se tourne vers son allié de toujours, Tel-Aviv, qui lui avait fourni une fausse preuve de la responsabilité syrienne dans l’attaque sous faux drapeau de la Ghouta. Un petit retour est ici nécessaire sur son activité en faveur de la colonisation de la Palestine durant son mandat de premier secrétaire du Parti socialiste  :

  En 2000, alors que le sud du Liban est occupé, il prépare avec le futur maire de Paris Bertrand Delanoë le voyage du Premier ministre Lionel Jospin en Palestine. Son discours comprend une condamnation de la Résistance à l’occupation qu’il assimile à du terrorisme.
  En 2001, il exige la démission du Parti socialiste du géopoliticien Pascal Boniface, coupable d’avoir critiqué dans une note interne le soutien aveugle du Parti à Israël.
  En 2004, il écrit au Conseil supérieur de l’Audiovisuel pour remettre en cause l’autorisation d’émettre donnée à Al-Manar, la chaîne de télévision du Hezbollah. Il ne cessera ses pressions qu’une fois la chaîne de la Résistance censurée.
  En 2005, il est reçu à huis clos par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Selon le compte-rendu de la réunion, il aurait apporté son soutien à Ariel Sharon et aurait vivement critiqué la politique arabe gaulliste. Il aurait déclaré  : «  Il y a une tendance qui remonte à loin, ce que l’on appelle la politique arabe de la France et il n’est pas admissible qu’une administration ait une idéologie. Il y a un problème de recrutement au Quai d’Orsay et à l’ENA et ce recrutement devrait être réorganisé  ». Ce faisant, il renverse la réalité car la «  politique arabe de la France  » n’est pas une politique en faveur des Arabes contre les Israéliens, mais une politique dans le monde arabe.
  En 2006, il prend position contre le Président Ahmadinejad qui a invité à Téhéran des rabbins et des historiens, dont des négationnistes. Il feint d’ignorer le sens du congrès, qui visait à montrer que les Européens avaient substitué la religion de l’Holocauste à leur culture chrétienne. Et, à contresens, il explique que le Président iranien entend nier le droit des Israéliens à exister et qu’il s’apprête à poursuivre l’Holocauste.
  Il se mobilise pour la libération du soldat israélien Gilad Shalit, prisonnier du Hamas, au motif que celui-ci dispose de la double nationalité française et israélienne. Peu importe que le jeune homme ait été arrêté alors qu’il servait dans une armée d’occupation en guerre contre l’Autorité palestinienne, également alliée de la France.
  En 2010, il publie avec Bertrand Delanoë et Bernard-Henri Lévy, une tribune libre dans Le Monde pour s’opposer au boycott des produits israéliens. Selon lui, le boycott serait une punition collective, infligée aussi aux Israéliens qui œuvrent à la paix avec les Palestiniens. Un raisonnement qu’il n’avait pas tenu lors de la campagne similaire contre l’Apartheid en Afrique du Sud.

Dès son arrivée en Israël, le 17 novembre 2013, le président François Hollande déclare en hébreu  : «  Tamid écha-èr ravèr chèl Israël  », et en français «  Je suis votre ami et je le serai toujours  »

Dès son arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv, il déclare en hébreu  : «  Tamid écha-èr ravèr chèl Israël  », et en français «  Je suis votre ami et je le serai toujours  » [19].

Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, observe que les États-Unis et le Royaume-Uni se sont retirés du théâtre des opérations, ce qui n’empêche pas la CIA et le MI6 de poursuivre la guerre secrète. Il propose donc de mettre en place une coordination de ceux qui souhaitent poursuivre la guerre ouverte jusqu’au renversement de la République arabe syrienne  : l’Arabie saoudite, la France, Israël, le Qatar et la Turquie. Le Liban et la Jordanie continueront leur aide logistique, mais n’interviendront pas dans la direction des opérations. Washington ne souhaitant plus apparaître, l’ensemble sera dirigé par Jeffrey Feltman depuis l’ONU à New York. Il faut faire vite. En effet, l’orage gronde à Washington. Les partisans de l’attaque de la Syrie sont écartés. Le 8 novembre, le général David Petraeus est contraint de démissionner de ses fonctions de directeur de la CIA, tandis qu’Hillary Clinton est victime d’un «  accident  » et disparaît durant un mois.

Jeffrey D. Feltman est l’homme orchestre des «  Printemps arabes  », et il est aussi un grand ami de Nétanyahou. Il est devenu Directeur des Affaires politiques de l’ONU depuis plus d’un an. Il a fait rédiger un plan de reddition totale et inconditionnelle de la Syrie par Volker Perthes, le directeur du Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), le plus puissant think tank européen. Celui-ci a en outre pris en charge la direction Afrique du Nord et Moyen-Orient du Service d’action extérieure de l’Union européenne. La Haute représentante de l’Union, Catherine Ashton, est devenue son perroquet. Feltman confie une seconde fois à l’Arabie saoudite la formation d’une armée de 50 000 hommes en Jordanie. Il débute parallèlement une réorganisation des groupes jihadistes. Enfin, sur instructions de la Maison-Blanche, il organise les négociations de «  Genève 2  ».

Benyamin Nétanyahou imagine une alliance à trois  : la France défendra les intérêts d’Israël et de l’Arabie saoudite au plan international, en échange de gigantesques contrats, d’investissements et de pots-de-vin. Il s’agit de saboter les négociations États-Unis / Iran, de manière à maintenir le monopole du directoire régional Tel-Aviv / Riyad.

Majed al-Majed a reconnu lors de son arrestation être un officier des services secrets saoudiens, placé sous l’autorité directe du prince Bandar Ben Sultan. Il dirigeait une branche d’Al-Qaïda et assurait le lien entre celle-ci et de hautes personnalités du Proche-Orient.

Le roi d’Arabie, dont un agent parmi les plus importants, Majed Al-Majed, vient d’être arrêté par l’armée libanaise, accepte d’offrir 3 milliards de dollars en armes françaises si les Libanais n’enregistrent pas ses aveux. Le chef terroriste meurt opportunément tandis que le roi distribue des «  cadeaux  » aux Libanais et aux Français (à titre d’exemple, 100 millions de dollars pour le «  Président  » inconstitutionnel Michel Sleimane) [20]. En réalité, si les bénéficiaires des «  cadeaux  » royaux les conserveront, jamais les commandes d’armement ne seront formalisées [21]. Seul leader français à ne pas recevoir personnellement de «  cadeau  » royal, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian négocie pour sa région le sauvetage du groupe volailler Doux, endetté à hauteur de 400 millions d’euros, qui sera partiellement racheté et renfloué par le Saoudien Al-Munajem.

Après la démission de Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU a désigné l’Algérien Lakhdar Brahimi pour suivre le dossier syrien. À la différence d’Annan, il n’a pas le titre de «  médiateur  » car Ban Ki-moon considère désormais que «  Bachar doit partir  !  » Sa mission est de conduire la Syrie vers «  une transition politique, conformément aux aspirations légitimes du peuple syrien  ». C’est à Brahimi que l’on doit la création du «  Service d’appui à la décision  »  ; le service secret personnel du secrétaire général car désormais l’ONU n’est plus un forum pour la paix, mais dispose d’un service secret pour implémenter la politique de Washington. La diplomatie française le connaît bien compte tenu de ses rôles successifs lors de la fin de la guerre civile au Liban, du coup d’État militaire en Algérie et de l’agression anglo-saxonne en Afghanistan [22].

Genève 2 est un piège. À la différence de Genève 1 – qui réunissait les États-Unis et la Russie en présence de leurs partenaires les plus proches, mais à l’exclusion de tout Syrien –, non seulement la Syrie et des «  représentants de l’opposition  » sont invités à ce second round, mais tous les États impliqués. Sauf l’Iran dont l’invitation, après avoir été lancée, est annulée, prétendument à la demande des Saoudiens. Mais qui peut croire que l’Arabie ait un tel pouvoir sur l’ONU  ? En réalité, Jeffrey Feltman organise par ailleurs les négociations 5+1 avec l’Iran et entend ne pas anticiper la levée des sanctions états-uniennes et européennes à son égard. Quant aux représentants de l’opposition, ce sera uniquement ceux qui ont été adoubés par l’Arabie, c’est-à-dire la nouvelle Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution, présidée par Ahmed Jarba. Ce dernier est un petit trafiquant de drogue qui trouve là son heure de gloire car il est issu de la tribu saoudo-syrienne des Chammars, la même que celle du roi.

Deux jours avant l’ouverture de la conférence, le Qatar fait diffuser par le cabinet londonien d’avocats Carter-Ruck l’annonce d’un rapport de trois anciens procureurs internationaux sur le témoignage de «  César  » et les pièces à conviction qu’il leur a remises [23]. «  César  » déclare être un officier de la police militaire syrienne, habituellement chargé de photographier les scènes de crime. Il assure avoir durant le conflit photographié, dans des morgues d’hôpitaux militaires, les victimes du «  régime  ». Il aurait récemment fait défection. Il a remis 55 000 photographies, représentant 11 000 cadavres, qu’il déclare avoir prises lui-même. Pour être plus angoissant, chaque page du communiqué annonçant le rapport est frappée de la double mention «  Confidentiel  ». Les anciens procureurs concluent à des privations de nourriture et à des tortures qui auraient été administrées systématiquement par le «  régime  » aux «  personnes [qu’il aurait] incarcérées  ». En réalité, ceux de ces clichés qui ont été pris en Syrie montrent les corps de mercenaires de diverses nationalités qui ont été ramassés par l’armée arabe syrienne sur le champ de bataille et ceux de personnels civils et militaires qui sont morts sous la torture des jihadistes parce qu’ils soutenaient la République arabe syrienne.

Lors de la séance inaugurale de la conférence de Genève 2, John Kerry a défendu la position saoudienne : exclusion de l’Iran, composition de la délégation de l’opposition par les seuls membres actuels de la Coalition nationale, démission et jugement de Bachar el-Assad.

Le nouveau secrétaire d’État, John Kerry, qui connaît bien Bachar el-Assad, sait évidemment que tout cela est de la pure propagande, mais le communiqué du cabinet Carter-Ruck lui fournit un argument de plus pour son discours à Genève 2, le 22 janvier 2014. Comme personne ne comprend très bien ce qui se passe depuis l’éviction d’Hillary Clinton et de ses partisans, les télévisions du monde entier sont présentes. Lorsque le ministre des Affaires étrangères syrien que les Français ont tenté d’assassiner, Walid Mouallem, prend la parole, il ne s’adapte pas à la situation et s’adresse à l’opinion publique syrienne, manquant la seule occasion qui lui sera offerte de démonter en direct aux yeux du monde le complot occidental. C’est un diplomate d’une rare loyauté  : lors d’une réunion de la Ligue arabe, il a refusé un pot-de-vin de 100 millions de dollars offerts par son homologue qatari s’il se retournait contre son pays. Son discours pose la question du soutien au terrorisme apporté par la «  délégation de l’opposition  » et par ses sponsors présents dans la salle.

En définitive, il ne sortira rien de Genève 2 car, entre le moment de sa convocation et la tenue de la conférence, Washington a adopté une nouvelle stratégie. Les États-Unis ne sont pas obligés de renoncer à leur rêve d’un monde unipolaire et de pactiser avec la Russie. Ils ont encore une carte à jouer  : précisément, le terrorisme.

Pendant que les diplomates pérorent à Genève 2, le Président Obama reçoit le roi de Jordanie pour fixer les conditions de participation de son pays. Parallèlement, la conseillère nationale de sécurité, Susan Rice, accueille les chefs des services secrets de la Coalition [24].

Comme chaque année, le Congrès tient une séance à huis clos au cours de laquelle il vote les «  budgets noirs  » du Pentagone. L’existence de cette séance est attestée par une dépêche de l’agence britannique Reuters [25], mais ne sera jamais évoquée par la presse états-unienne et ne figure pas sur les registres officiels. Les parlementaires autorisent la poursuite du financement et de l’armement des groupes armés en Syrie, en violation des résolutions 1267 et 1373 du Conseil de sécurité [26]. Sans le savoir, ils viennent d’ouvrir les portes de l’enfer.

(À suivre …)

Ce livre est disponible en français en version papier.

[3« L’ASL expose son laboratoire d’armes chimiques », Réseau Voltaire, 5 décembre 2012.

[5« Identification des enfants morts dans la ghouta », Réseau Voltaire, 6 septembre 2013.

[6« Exclusive : US Spies say intercepted calls prove Syria army used nerve gas », Foreign Policy, August 28, 2013. « L’administration Obama valide une intox israélienne », Réseau Voltaire, 30 août 2013.

[7« Synthèse du Renseignement français sur l’attaque chimique du 21 août 2013 », par Sacha Mandel, Réseau Voltaire, 2 septembre 2013.

[8« Vérités cachées sur les arsenaux chimiques et sur la Convention internationale », par Manlio Dinucci, Traduction Marie-Ange Patrizio, Il Manifesto (Italie) , Réseau Voltaire, 13 septembre 2013. Saddam Hussein. Présumé coupable, Me Emmanuel Ludot ; Carnot (2004).

[9Dr la mort - Enquête sur un bioterrorisme d’État en Afrique du Sud, Tristan Mendes-France, Favre Pierre Marcel (2002).

[12« Les missiles chimiques de la ghouta provenaient de l’armée turque », Réseau Voltaire, 16 septembre 2013.

[13« Entretien de Bachar el-Assad aux Izvestia », par Bachar el-Assad, Réseau Voltaire, 26 août 2013.

[14« Interview de François Hollande au « Monde » », par François Hollande, Réseau Voltaire, 30 août 2013.

[15« Syrie : ingérence délibérée, prétexte douteux », par Général Dominique Delawarde, Réseau Voltaire, 12 septembre 2013.

[16« Déclaration de Barack Obama sur la Syrie », par Barack Obama, Réseau Voltaire, 31 août 2013.

[17“Syria : Whose sarin ?”, Seymour M. Hersh, London Review of Books ; version française « Le sarin de qui ? », Réseau Voltaire, 13 février 2014.

[19« Déclaration de François Hollande à son arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv », par François Hollande, Réseau Voltaire, 17 novembre 2013.

[20« Le silence et la trahison qui valaient 3 milliards de dollars », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 15 janvier 2014.

[21« L’armée libanaise renonce aux 3 milliards d’armement français », Réseau Voltaire, 7 février 2014.

[22« Le Plan Brahimi », par Thierry Meyssan, El-Ekhbar (Algérie) , Réseau Voltaire, 28 août 2012.

[24Spymasters gather to discuss Syria”, par David Ignatius, Washington Post, 19 février 2014.

[25“Congress secretly approves U.S. weapons flow to ’moderate’ Syrian rebels”, par Mark Hosenball, Reuters, 27 janvier 2014.

[26« Les États-Unis, premiers financiers mondiaux du terrorisme », par Thierry Meyssan, Al-Watan (Syrie) , Réseau Voltaire, 3 février 2014.