Au sujet de l ’organisation et des tâches des Services de renseignements suisses
Les bases légales qui régissent le renseignement militaire se trouvent à l’article 99 de la loi fédérale du 3 février 1995 sur l’armée et l’administration militaire (LAAM, RS 510.10), dans l’ordonnance y relative du 4 décembre sur le renseignement (ORen, RS 510.291) et dans l’ordonnance du 12 août 1992 sur les compétences en matière de dépenses dans le domaine du renseignement. En outre il existe plusieurs règlements concernant le Service de renseignements de l’armée, notamment le règlement du 30 juillet 1996.
Le Groupe des renseignements est directement subordonné au chef de l’Etat-major général. Il comprend les unités "Etat-major", "Renseignement stratégique" subdivisés en sections "acquisition", "analyse" et "support au renseignement" ainsi que "service de renseignements de l’armée" et "section du protocole militaire". Les tâches principales du Groupe des renseignements comprennent l’acquisition, l’évaluation et la transmission d’informations sur les pays étrangers, informations qui revêtent une importance pour la politique de sécurité.
En principe, le renseignement stratégique n’opère qu’à l’étranger. En cas de besoin il transmet des informations à la police fédérale si elles semblent avoir une incidence sur la situation intérieure. Le Service de renseignements de l’armée constitue une sorte de service auquel sont subordonnés, techniquement, les officiers de renseignements de l’armée et il élabore les conceptions et les bases nécessaires à l’exercice de leur fonction. "Le protocole militaire", enfin, coordonne les rapports avec les personnes et les instances étrangères.
Le Service de renseignement des forces aériennes, qui a un statut autonome, traite les questions de nature tactique et opérationnelle en matière de combat aérien. Il est subordonné directement au commandant des forces aériennes et travaille en collaboration avec le service de renseignements.
Les options fondamentales et les priorités du service stratégique sont formulées et approuvées par les services supérieurs (le chef du DDPS et le chef de l’Etat-major). Le mandat dont il est question en l’espèce date du 9 août 1995. La définition des tâches doit régulièrement faire l’objet d’une révision et d’une adaptation aux besoins et aux conditions du moment. L’on a assisté à la fin des années 80 à un profond bouleversement par le fait que l’accent n’est plus mis sur la menace militaire que présente le conflit Est-Ouest mais sur les secteurs de la politique, de l’économie, de la technologie, des foyers de crise et de l’environnement. En plus de ces tâches générales consistant à recueillir des informations et à les analyser, le service stratégique accepte des mandats particuliers qui lui sont confiés par la hiérarchie politique ou militaire, par exemple la délégation du Conseil fédéral pour la sécurité, l’organe de direction pour la sécurité ou aussi des commissions parlementaires.
Appréciation
Il importe de procéder d’urgence à une réorganisation de l’ensemble des opérations d’acquisition et d’analyse des renseignements dans le sens préconisé par les interventions parlementaires telles qu’elles ont été adoptées. Compte tenu de la situation politique radicalement nouvelle engendrée par la fin de la "guerre froide" et l’émergence des nouvelles formes de menace, la priorité absolue doit être accordée à la réorganisation des services du renseignement civil et militaire. L’organisation et les structures du Groupe de renseignement doivent être adaptées à la nouvelle donne. Il convient d’examiner s’il y a lieu de maintenir le système actuel de chevauchement des autorités civiles et militaires, ou bien si les besoins du Parlement, du gouvernement et de l’administration en renseignements - besoins qui depuis longtemps n’ont plus pour seule toile de fond des menaces de nature policière ou militaire - ne pourront pas être mieux couverts grâce à une structure d’organisation uniforme. En outre, il est nécessaire, pour l’acquisition et l’analyse de renseignements qui ont une incidence sur la sécurité, que les autorités politiques compétentes en la matière mettent d’urgence au point un mandat de prestations clair. Compte tenu de la nouvelle forme que prennent les menaces, il ne peut plus être longtemps du seul devoir du Groupe des renseignements lui-même ou, le cas échéant, du Département dont il dépend, de déterminer les points forts qui régiront les opérations d’acquisition et d’évaluation de l’information. C’est bien au Conseil fédéral en sa qualité d’autorité suprême de direction de la Confédération que doit incomber la tâche centrale de gérer et de contrôler les opérations de renseignements de l’Etat. (cf. recommandation 1)
Au sujet des rapports entretenus par les Services de renseignements suisses avec les pays étrangers en général
A la suite du rapport de la Dél CdG du 28 septembre 1993 sur les échanges de pilotes avec l’Afrique du Sud, diverses mesures ont été prises par le département afin de renforcer la planification et le contrôle des activités de renseignement. Selon les déclarations du divisionnaire Peter Regli, c’est, contrairement à la pratique antérieure, le chef de l’Etat-major général qui définit, en étroite collaboration avec le sous-chef d’état-major des renseignements, les axes prioritaires des activités des services de renseignements, ceci depuis le milieu des années nonante. Chaque année, il présente les plans de travail correspondants au chef du DDPS de manière à ce que ce dernier puisse définir les accents et les priorités. En vertu de l’article 10 de l’ordonnance sur le renseignement, le chef de l’Etat-major général informe régulièrement le chef du département sur l’activité du renseignement et sur ses contacts avec l’étranger. L’entretien de contacts réguliers avec l’étranger est subordonné à l’approbation du chef du département. En outre, le Contrôle fédéral des finances rédige chaque année un rapport spécial sur les finances des services de renseignements à l’attention du DDPS et du DFF.
Il n’existe pas d’instructions ou de règlements écrits qui portent spécifiquement sur les contacts du service de renseignements avec l’étranger.
Appréciation
Il conviendra d’examiner, dans le cadre de la réorganisation des opérations menées par l’Etat en matière d’acquisition et d’analyse des renseignements, de quelle manière appropriée on pourra tenir compte de la primauté du pouvoir politique dans le secteur du renseignement. L’établissement de contacts avec l’étranger et leur entretien ne doivent plus relever du bon vouloir du Groupe des renseignements. Il convient, au contraire, d’assurer grâce à des instructions et à des contrôles, qu’outre les aspects qui relèvent des services de renseignements les autres intérêts du pays sont compris dans l’évaluation (cf. recommandation 1)
Au sujet des contacts avec l’étranger et avec l’Afrique du Sud en particulier
Contacts avec les services de renseignements sud-africains
De 1981 à 1988, le divisionnaire Peter Regli était chef du Service de renseignements de l’aviation et de la défense contre avions (SRADCA, aujourd’hui la Section des renseignements des forces aériennes, SRFA) au Commandement des troupes d’aviation et de défense contre avions (CADCA). La garantie de la sécurité des pilotes et de la défense contre avions faisait partie de son domaine d’activité. A partir de 1984, il avait entretenu des contacts réguliers avec les renseignements des forces aériennes sud-africaines. Il avait d’ailleurs aussi participé aux échanges de pilotes examinés par la Dél CdG.
Lorsque le divisionnaire Peter Regli a été nommé sous-chef d’état-major des renseignements en 1991 -alors qu’il avait changé, déjà en 1989, de service pour passer au Groupe des renseignements - il a poursuivi ses rapports réguliers avec les services de renseignements des forces armées sud-africaines. Ces contacts ont été poursuivis même après le changement de régime en Afrique du Sud et se poursuivent encore actuellement.
Les séances de travail et les rencontres entre spécialistes ont fait l’objet de procès-verbaux classifiés SECRET. La Dél CdG a consulté les procès-verbaux qui existent encore depuis 1992. En règle générale ils contiennent peu d’éléments essentiels et constituent davantage des comptes rendus de voyages que des rapports de situation dignes d’être classés secrets D’après le divisionnaire Peter Regli, les procès-verbaux sont détruits après cinq années. De son point de vue, cette règle aurait été fixée d’entente avec le chef de l’Etat-major général de l’époque à la suite des travaux des Commissions d’enquête parlementaire "CEP DFJP" et "CEP DMF. Puisque le contenu des procès-verbaux a pour origine un pays étranger, que ledit contenu appartient donc à l’Etat interlocuteur et qu’il ne peut donc pas être utilisé par le service de renseignement militaire à des fins extérieures, lesdits procès-verbaux sont, à l’instar des dossiers de contrôle de sécurité des personnes, détruits au bout de cinq ans.
Appréciation
La décision de détruire les procès-verbaux relatifs aux rencontres de travail et aux entretiens entre spécialistes du service des renseignements a été prise par le sous-chef d’état-major des renseignements de sa propre autorité d’entente avec le chef de l’état-major général. Il apparaît que cette question n’a jamais été soumise au Département pour avis ; celui-ci n’a d’ailleurs pas soulevé d’objections à ce sujet.
D’après les règles qui sont généralement admises aujourd’hui, la décision de détruire des dossiers officiels ne relève pas du service administratif concerné mais des Archives fédérales. L’article 6 de la loi fédérale sur les archives - entrée en vigueur le 1 er octobre 1999 - prévoit que les services de l’administration offrent aux Archives fédérales tous les documents dont ils n’ont plus besoin en permanence dans la mesure où lesdits services ne sont pas eux-mêmes compétents pour l’archivage. D’après l’article 8 de la loi, les documents qui sont soumis à "l’obligation de proposer" ne peuvent pas être détruits sans l’autorisation des Archives fédérales. Il incombera éventuellement au Conseil fédéral de prévoir, par voie d’ordonnance en application des principes régis dans la loi, d’éventuelles restrictions quant au droit de consultation, afin de tenir compte des impératifs de protection du secret dans les cas relevant spécifiquement du Groupe des renseignements. (cf. recommandation 4).
Importance des contacts avec le service de renseignement sud africain
Il n’existe aucun accord entre la Suisse et l’Afrique du Sud concernant la coopération entre les services de renseignements militaires. Des accords de ce type sont quasi inconnus et il n’en existe pas non plus en relation avec d’autres Etats. Selon les dires du divisionnaire Peter Regli, les relations avec le service du renseignement des forces armées sud-africaines ont vu le jour en 1977. Elles auraient été formalisées par une première visite de chefs à Berne, le Conseil fédéral ayant donné son consentement. Le chef du Département lui-même n’a pas pris position à ce sujet.
Par voie écrite, la Dél CdG avait notamment soumis au DDPS la question de savoir si les dimensions politiques des relations avec l’Afrique du Sud avaient été étudiées. Il est expliqué dans le rapport rédigé par le divisionnaire Peter Regli que les personnes actuellement responsables du Groupe des renseignements ne peuvent pas répondre à cette question. Les premiers contacts auraient reçu l’aval au niveau politique ; ce dernier avait par conséquent connaissance de ces relations. La Suisse entretiendrait depuis longtemps des relations correctes et reconnues avec l’Afrique du Sud. C’est seulement depuis 1993 que les contacts avec l’étranger auraient fait l’objet d’une évaluation et d’une approbation politiques, à la fin de chaque année.
Concernant l’importance des contacts avec l’Afrique du Sud, le divisionnaire Peter Regli a fait valoir dans le rapport mentionné qu’un service de renseignement a besoin d’informations de différentes sources (donc également en provenance des homologues d’autres services) pour pouvoir remettre à la hiérarchie militaire et politique des analyses qui soient fiables et avérées. A l’époque de la "guerre froide", l’Union soviétique et le pacte de Varsovie constituaient la principale menace pour la Suisse. Toute information à ce sujet était d’une grande importance. L’Afrique du Sud était, toujours d’après le rapport mentionné, engagé dans une guerre à cette époque en Angola contre des forces communistes qui disposaient de matériel soviétique. Les informations tirées de cette guerre étaient d’une importance vitale pour le service suisse du renseignement. Aucun pays voisin en Europe ne pouvait se targuer d’une expérience semblable. De même, les services secrets communistes étaient également très actifs sur le continent africain. C’est aussi pour cette raison que le service suisse du renseignement étaient intéressé à maintenir des contacts avec les services secrets sud-africains. Il faut cependant retenir que le service suisse du renseignement a bien mieux tiré profit de l’Afrique du Sud que le contraire.
A l’époque de la "guerre froide", le service suisse des renseignements s’est essentiellement occupé d’analyses de situation militaires. Les évaluations auraient servi à ce que l’armée suisse, notamment les forces aériennes, soit mieux préparée à livrer une bataille de défense contre le Pacte de Varsovie. Les informations reçues d’Afrique du Sud, tout comme celles obtenus en Afghanistan, en Israël, etc. auraient directement servi à adapter la tactique et la procédure et à ajuster la formation en conséquence.
Appréciation
Le fait que le Département n’ait pas émis son propre avis sur l’importance et sur les implications politiques des contacts ave l’Afrique du Sud à l’époque du régime de l’apartheid est justement symptomatique de l’absence d’un contrôle politique des contacts pris à l’étranger. Le Département a laissé au divisionnaire Peter Regli le soin de répondre à cette question essentielle en sa qualité de sous-chef d’Etat-major des renseignements et a renoncé à fournir un avis qui lui était propre. Le divisionnaire Regli explique par ailleurs que les responsables actuels du Groupe des renseignements ne peuvent pas répondre à la question sur la dimension politique des relations avec l’Afrique du Sud. Il faut en déduire qu’aucune discussion à ce sujet n’a été menée à l’intérieur du Groupe des renseignements et que même le Département n’a pas vu l’utilité d’assumer une responsabilité politique de direction à ce sujet.
Il ne saurait être du devoir de la Dél CdG d’examiner le contenu matériel des informations recueillies en Afrique du Sud, ni même de porter un jugement final à leur sujet ; au vu des enquêtes qui ont été menées, elle n’est d’ailleurs pas en mesure de le faire. La Dél CdG doit donc s’en tenir aux réponses fournies par le sous chef d’Etat-major des renseignements. Après que le Département eut alors également renoncé à fournir une réponse de son propre chef à ce sujet, la Délégation est amenée à conclure, concernant au moins ce point, qu’aucun contrôle de suivi à l’intérieur du Département n’a été effectué ; elle doit conclure aussi que l’ampleur et l’utilité des relations entre la Suisse et l’Afrique du Sud dans le domaine du renseignement n’ont fait l’objet ni d’une question ni d’une réponse quant à leur portée politique.
Jürg Jacomet en tant qu’intermédiaire
Selon les déclarations de son neveu, Jürg Jacomet, né en 1946, a travaillé comme vendeur dans une armurerie privée après son apprentissage. Plus tard, il s’est mis à son compte et, avec un associé, a fondé l’entreprise Intermagnum AG. Jürg Jacomet était en possession d’une autorisation cantonale de vendeur d’armes et, depuis 1983, d’une autorisation octroyée par la Confédération pour la vente de matériel de guerre. Selon son neveu, la première et pratiquement unique affaire réalisée par cette société a porté sur la livraison d’environ 10’000 fusils de chasse à canon lisse vers l’Afrique du Sud. Il aurait de toute évidence disposé d’un large cercle de connaissances dans divers pays, et en particulier en Afrique du Sud et dans les pays de l’ancien bloc de l’Est. Il semblerait que Jürg Jacomet ait été atteint d’un cancer vers le début ou le milieu des années nonante environ. Vers fin 1993 ou au début de 1994, il a quitté son domicile en Suisse pour s’installer en Espagne puis aux Philippines. Jürg Jacomet est décédé en 1998. C’est pourquoi - si l’on excepte les déclarations qu’il a faites devant le procureur du district de Zurich - l’on doit recourir pour une large part aux indications fournies par des tierces personnes pour obtenir des indications sur sa personne et notamment sur ses contacts avec les services sud-africains du renseignement ou autres services officiels et privés.
Jürg Jacomet avait fréquenté, avec le divisionnaire Peter Regli, l’école d’officiers et était, de 1972 à 1990, officier de renseignements (de milice) des troupes d’aviation et de défense contre avions, mais pas de la SRADCA. Sur la base de divers témoignages, il est établi que, lors de ses contacts avec les collaborateurs des services secrets étrangers, Jürg Jacomet se faisait régulièrement passer pour un agent des services de renseignements suisses. Il se serait fait passer pour un collaborateur de la SRADCA entre 1980 et 1988 puis, au cours des années nonante pour un collaborateur du sous-chef d’état-major des renseignements. Pour mémoire, il convient de rappeler ici que le divisionnaire Peter Regli était chef de la SRADCA de 1981 à 1988 et que c’est en 1991 qu’il a été nommé sous-chef d’état-major des renseignements. Peter Regli fait valoir que ce n’est que par les médias qu’il a appris au milieu et à la fin des années 90 que Jürg Jacomet se faisait passer, dans ses contacts privés à l’étranger, pour un "agent du service secret suisse" ; il affirme n’avoir jamais eu connaissance de ceci auparavant.
Comme le divisionnaire Peter Regli l’a expliqué au cours de son audition par la Dél CdG, Jürg Jacomet n’avait pas seulement livré des informations intéressantes sur le matériel soviétique à la SRADCA, puis au service de renseignement militaire, mais aussi à son escadrille et à son régiment ainsi qu’aux forces aériennes. Jacomet aurait été très engagé et voulait servir la cause commune. Sa "chute" n’aurait commencé qu’au début des années 90 lorsque Jürg Jacomet aurait (apparemment) fréquenté des milieux mafieux et se serait livré - ce qu’on ne sait qu’aujourd’hui - à des "affaires troubles" avec Wouter Basson. Jacomet informait régulièrement et oralement le divisionnaire Peter Regli en sa qualité de chef de la SRADCA de ses voyages prolongés. A l’occasion de divers contacts personnels et professionnels, Jürg Jacomet lui aurait transmis des informations sur des avions de combat, des systèmes DCA et autres. Cependant, Jürg Jacomet n’aurait jamais fourni aucune indication au sujet de systèmes d’armement biologique ou chimique.
Le divisionnaire Peter Regli ne se souvient pas d’avoir également régulièrement reçu des messages par fax comme cela avait été de temps à autre prétendu par les médias. Il n’y a pas de documents au sujet des échanges d’informations entre le divisionnaire Peter Regli et Jürg Jacomet.
Divers dossier ont été constitués par le Police fédérale sur Jürg Jacomet. Une enquête de police judiciaire a été ouverte contre lui en 1993 après qu’on eut trouvé du matériel faiblement radioactif dans le restoroute de Kemptthal : il était soupçonné d’avoir enfreint la loi sur l’énergie atomique. Par ailleurs, son nom est associé à des opérations de trafic d’armes et d’escroquerie dans différents rapports établis par les autorités policières suisses et étrangères.
La presse a notamment fait état de soupçons selon lesquels Jürg Jacomet aurait introduit en Suisse vers la fin des années 80 un missile à infrarouge provenant d’un stock d’armes soviétiques en Angola. La Dél CdG a enquêté sur cette affirmation mais n’a pas pu en obtenir confirmation. Selon les déclarations du divisionnaire Peter Regli, le service de renseignement militaire ne dispose d’aucune information au sujet de livraisons d’armes à des particuliers. En revanche, il a pu être déterminé que le service de renseignement militaire avait transféré au cours des années 80 quelques pièces de munitions de production soviétique dans le but de les faire analyser en détail par le groupe de l’armement. Comme il relève bien du devoir d’un service de renseignement militaire de se procurer aussi des informations sur la technologie en matière d’armements, aucune objection n’est à soulever à ce sujet.
Pour le reste nous renvoyons au chapitre II 4 pour la participation réelle ou supposée de Jürg Jacomet aux plans élaborés par l’Afrique du Sud de développer des armes biologiques et chimiques .
Appréciation
A défaut de documents écrits provenant des différents contacts et étant donné que Jürg Jacomet est décédé entre temps, les rapports entre le divisionnaire Peter Regli et Jürg Jacomet n’ont pu être analysés que de manière fragmentaire. Les investigations menées ont cependant montré de la manière la plus nette que le comportement de "collaborateurs indépendants" peut être, le cas échéant, extrêmement compromettant pour le service du renseignement en tant que tel. Il est donc d’une urgente nécessité d’émettre des instructions claires qui définissent de manière exhaustive les critères concernant la sélection, les instructions et la surveillance d’informateurs et de collaborateurs informels du service des renseignements (voir recommandation 3).
Contacts avec Lothar Neethling, Wouter Basson et Lien Knobel
Il est ressorti au cours des enquêtes effectuées par la commission sud-africaine " Vérité et réconciliation " que l’armée sud-africaine avait lancé un projet secret en 1982 visant à permettre le déclenchement d’une guerre chimique et biologique défensive et - quoique de manière limitée - offensive. Sous le nom de code "Coast", le projet était dirigé par le médecin supérieur de l’Etat-major de l’armée sud-africaine, Wouter Basson. Depuis 1982 et jusqu’à sa dissolution en 1993, l’armée sud-africaine a investi dans ce projet plus de 100 millions de francs ; des soupçons pesaient sur Basson selon lesquels il aurait détourné plusieurs millions de francs de ces fonds pour des motifs privés. Pour sa participation au projet "Coast" Wouter Basson a été accusé par le ministère public sud-africain, au printemps 1999, de 27 meurtres et de nombreux autres délits.
Au cours de son audition devant la Dél CdG le divisionnaire Peter Regli s’est expliqué longuement au sujet des contacts dont les médias ont fait état avec Lothar Neethling, Wouter Basson et Lien Knobel. Il a expliqué à ce sujet qu’il aurait été de nouveau contacté par Jürg Jacomet. Ce dernier l’aurait prié de recevoir deux collaborateurs de haut rang dans la hiérarchie des forces armées sud-africaines en visite de courtoisie. Etant donné que Jürg Jacomet a toujours prétendu être un agent des services de renseignements - information qui n’est connue que maintenant - il était important pour sa crédibilité de pouvoir présenter son chef à ses invités sud-africains. Le divisionnaire Peter Regli aurait donc reçu le général Lothar Neethling et le brigadier Wouter Basson, accompagnés de Jürg Jacomet, dans son bureau au Palais fédéral à Berne entre l’été 1990 et l’automne 1991. La visite de courtoisie aurait duré environ 45 minutes et aurait, pour l’essentiel, permis de discuter de questions de sécurité. Aucun procès-verbal n’a été dressé à ce sujet. Il n’y aurait eu qu’une seule rencontre et les fonctions exactes des deux interlocuteurs ne lui auraient pas été connues. Par la suite il n’aurait plus eu de contact avec Lothar Neethling ou Wouter Basson. Le dernier l’aurait appelé une nouvelle fois après sa libération de sa détention préventive à Zurich (voir chapitre II 52) mais il aurait immédiatement raccroché le téléphone parce que Jürg Jacomet lui avait causé suffisamment de problèmes à l’époque.
Selon les déclarations du divisionnaire Peter Regli à la Dél CdG, c’est au cours d’une rencontre de travail qui a eu lieu en Afrique du Sud en mars 1994, que le général Lien Knobel l’a pour la première fois rendu attentif au fait que Wouter Basson, éventuellement avec la complicité de Jürg Jacomet, aurait détourné en Suisse des montants de plusieurs millions de francs. Le général Lien Knobel a demandé si le divisionnaire Peter Regli pouvait éventuellement l’aider à enquêter sur le sujet et récupérer ces montants. A son retour en Suisse, ce dernier aurait transmis cette requête au chef de la Police fédérale qui l’aurait renvoyé à la procédure d’entraide judiciaire ordinaire. C’est à l’occasion de la visite suivante, soit en octobre 1997, que le général Lien Knobel aurait pour la première fois mentionné l’existence d’un projet sud-africain d’armement biologique et chimique, projet auquel Wouter Basson et, éventuellement, Jürg Jacomet auraient participé.
Appréciation
Tout porte à croire que Jürg Jacomet a manifestement abusé du divisionnaire Peter Regli à l’occasion de l’unique contact avec Lothar Neethling et Wouter Basson et que le divisionnaire Regli a fait preuve d’un trop grand empressement en recevant des représentants d’un Etat étranger dans son bureau au Palais fédéral à Berne pour une visite de courtoisie. Il faut néanmoins souligner que ni Lothar Neethling ni Wouter Basson n’étaient des collaborateurs du service secret sud-africain avec lesquels le Groupe des renseignements suisse entretenait des contacts normaux. Il aurait donc sans aucun doute été indiqué que les motifs de Jürg Jacomet et des interlocuteurs étrangers soient examinés de plus près. La simple confiance ne saurait remplacer une enquête minutieuse.
Contacts de la Police fédérale avec les services secrets sud-africains
Contrairement aux services de renseignements militaires, la Police fédérale n’a entretenu que des contacts très distendus avec le National Intelligence Service sud-africain de l’époque. Une note confidentielle que le chef de la Police fédérale et du contre-espionnage de l’époque, Peter Huber, avait adressée au sous-chef d’état-major des renseignements le 20 août 1985 précisait qu’il n’y avait pas d’intérêt à des contacts supplémentaires avec d’autres services sud-africains. Pour cette raison, la Police fédérale limitait ses échanges d’informations aux cas concrets dans le cadre des rapports existants jusqu’alors.
Appréciation
Le comportement de la Police fédérale n’appelle aucune remarque
Prétendue participation du Laboratoire AC de Spiez aux projets sud-africains de développement d’armes biologiques et chimiques
Contacts avec Lothar Neethling et Wouter Basson
Divers médias ont fait état des soupçons selon lesquels le Laboratoire AC de Spiez aurait pu participer aux projets sud-africains de développement d’armes biologiques et chimiques. Ces soupçons étaient étayés par une rencontre qui aurait eu lieu à Lucerne à la fin des années quatre-vingts et à laquelle, outre Wouter Basson, des spécialistes de l’armement chimique suisses, allemands et américains auraient également pris part.
Les investigations de la Dél CdG lui ont permis de se rendre compte que, à l’exception d’un seul domaine, aucun contact n’avait eu lieu entre des représentants du Groupement de l’armement d’une part et des représentants du gouvernement de l’Afrique du Sud ou d’entreprises d’armement sud-africaines d’autre part. L’exception concerne le Laboratoire AC de Spiez.
Le 27 novembre 1987, le Laboratoire AC de Spiez a reçu un envoi spontané d’échantillons de sang et d’urine de la part de la société Louis Schleiffer AG domiciliée à Feldbach ZH, l’un des fournisseurs de matériel de protection ABC du Groupement de l’armement. D’après les données de la société Louis Schleiffer AG, ces liquides biologiques provenaient prétendument de victimes sud-africaines et devaient être analysées afin de découvrir d’éventuelles traces de toxiques connus et inconnus dans les métabolites. Le 2 décembre 1987 déjà, le Laboratoire AC de Spiez a communiqué à la société Louis Schleiffer AG que, étant donné le laps de temps trop important séparant l’engagement prétendu d’armes de combat biologiques ou chimiques et le prélèvement des échantillons, il n’était plus possible de procéder à l’analyse souhaitée.
Le 25 janvier 1988, sur l’initiative de Louis Schleiffer et par l’entremise de Jürg Jacomet, une discussion technique entre représentants du Groupement de l’armement et des représentants d’Afrique du Sud a eu lieu dans les locaux du Groupement de l’armement à la Kasernenstrasse 19 à Berne. Comme le chef de la division spécialisée du Laboratoire AC de Spiez, Bernhard Brunner l’a expliqué lors de son audition par la délégation, cette discussion avait été organisée par le service des renseignements aviation et défense contre avions de l’époque. Il avait été prié de recevoir la délégation sud-africaine à Spiez, ce qu’il avait toutefois refusé. Selon un procès-verbal manuscrit, outre les représentants du Groupement de l’armement, Jürg Jacomet en tant que représentant de la SRADCA, le général Lothar Neethling en tant que représentant de la police sud-africaine et le brigadier Wouter Basson en tant que représentant de la Commission de la défense sud-africaine ont également participé à cette discussion technique. Cette discussion a plus particulièrement porté sur les informations concernant l’utilisation présumée de nouvelles armes de combat en Namibie. Le divisionnaire Peter Regli n’a pas participé à cette discussion mais, d’après la déclaration du chef de la section spécialisée des techniques chimiques et biologiques du Laboratoire AC de Spiez, il aurait téléphoné et se serait étonné que les visiteurs n’aient pas été reçus à Spiez.
Le divisionnaire Peter Regli n’a pas pu se souvenir de cet entretien téléphonique. Mais il est pensable d’après lui que Jürg Jacomet lui aurait dit à l’époque qu’il recevait une délégation d’Afrique du Sud, qu’il lui aurait demandé s’il pouvait venir avec cette délégation à Spiez. Il est également possible qu’il ait téléphoné par la suite à Monsieur Brunner et qu’il aurait ouvert la porte à Jürg Jacomet. A l’époque de la guerre en Angola le Groupe des renseignements aurait été intéressé d’obtenir des informations sur les armes chimiques utilisées là-bas.
Un collaborateur du Groupement de l’armement avait dressé, à la main, une note au dossier au sujet de la rencontre du 25 janvier 1988 avec Lothar Neethling et Wouter Basson. Cette note comporte l’appréciation définitive selon laquelle "tout le tumulte autour de cette visite était confus". La visite de la Délégation sud-africaine a été précédée d’un entretien préparatoire au sein du Groupement de l’armement. Des indices seraient ressortis selon lesquels un collaborateur de la Division du matériel de protection ABC de l’époque semblait de toute évidence avoir d’étroites relations avec les visiteurs d’Afrique du Sud et qu’il semblait ne pas vouloir le montrer. En outre l’on essayait de mettre Louis Schleiffer en place en tant qu’"informateur numéro un" et d’entretenir les relations avec lui. En outre, la note manuscrite permet de constater que les avis au sein du Groupement de l’armement semblent assez divisés à ce sujet, des parallèles avec le cas Schilling sont supposés et il semblait alors nécessaire d’examiner les rapports entre la SRADCA, Schleiffer et Jacomet de plus près.
Le divisionnaire Peter Regli a expliqué qu’il ne connaissait que Jürg Jacomet : Le Groupe des renseignements n’avait aucun contact avec les autres personnes qui participaient à la rencontre du 25 janvier 1988, si bien qu’il n’était pas en mesure d’en dire plus.
A l’exception de cette unique rencontre à Berne, le 25 janvier 1988, aucune autre rencontre réunissant Lothar Neethling, Wouter Basson et des collaborateurs du Laboratoire AC de Spiez n’a pu être constatée. En particulier, la délégation n’a trouvé aucun indice permettant de conclure à une deuxième rencontre telle que celle qui, selon les articles de presse, aurait eu lieu à la fin des années quatre-vingts à l’hôtel National de Lucerne. Au cours de son audition, André Jacomet avait précisé qu’à l’époque il servait de chauffeur à son oncle Jürg Jacomet et qu’il se souvenait d’avoir conduit Jürg Jacomet et Wouter Basson à Lucerne, c’était en 1989 ou en 1990, en tout cas en hiver. Il se serait ensuite rendu à Spiez, en passant par le Brünig, pour aller chercher - toujours en compagnie de son oncle Jürg Jacomet - deux nouveaux passagers ; il ne saurait dire de qui il s’agissait. Il n’aurait pas pris part à l’entretien, mais Jürg Jacomet lui aurait dit qu’il aurait rencontré des experts américains, sud-africains et allemands afin de discuter du sujet en question.
Appréciation
Sur la base de ses investigations, la Dél CdG est convaincue qu’il doit y avoir eu deux rencontres en Suisse : l’une à Berne et l’autre à Lucerne. Des représentants du Laboratoire AC de Spiez ont participé à la première rencontre qui a eu lieu à Berne. En revanche, la seconde rencontre qui a probablement eu lieu à Lucerne, a sans doute été organisée par Jürg Jacomet, à l’insu des autorités suisses. Il n’est pas seulement possible, mais très probable que la course de Spiez à Lucerne décrite par André Jacomet n’était qu’une simple mise en scène, quel qu’en soit l’auteur, destinée à conforter Lothar Neethling et Wouter Basson dans leur idée qu’ils étaient en contact avec le Laboratoire AC.
La direction du Laboratoire AC de Spiez avait adopté un comportement extrêmement réservé à l’égard de Lothar Neethling et de Wouter Basson. Même si elle est entrée en matière dans la discussion technique - supposément organisée sur instigation de la SRADCA - elle n’a pas livré la moindre information qui relève de la sécurité ou qui soit compromettante. Même si l’on ne sait qu’aujourd’hui quelles étaient les intentions des interlocuteurs sud-africains de l’époque, la démarche du Laboratoire AC de Spiez a été empreinte dès le début de méfiance, un comportement qui s’est avéré par la suite parfaitement justifié. L’attitude adoptée à l’époque par AC de Spiez n’appelle pas d’objections.
Cet exemple montre une fois de plus le problème de l’absence de sensibilité politique et de contrôle sur le Groupe des renseignements. Ni Lothar Neethling ni Wouter Basson n’étaient des agents du service secret sud-africain ; dans la note de procès-verbal les deux interlocuteurs étaient désignés comme étant des représentants de la police sud-africaine et de la commission de défense d’Afrique du Sud. Malgré cela leur fonction n’a pas fait l’objet de recherches plus précises auprès de l’Etat sud-africain et aucune réflexion n’avait été menée sur l’opportunité d’un tel contact sur le plan politique. Une question reste néanmoins à poser : dans une situation aussi délicate, n’aurait-on pas pu attendre de sous-chef d’état-major des renseignements qu’il se mette en rapport auparavant avec les instances politiques responsables ?
Mais la rencontre avec Lothar Neethling et Wouter Basson démontre en outre aussi de manière patente le problème des insuffisances dans la sélection et le contrôle des personnes collaborant de manière informelle au sein du Groupe des renseignements. Quand bien même Jürg Jacomet n’était investi d’aucune fonction au sein du Groupe des renseignements, il a réussi non seulement à lancer l’idée de l’entretien technique mais aussi à y participer personnellement, et, de surcroît, en tant que présumé représentant de la SRADCA (cf. recommandations 1 et 3).
Contacts avec la société Protechnik Laboratoires LTD
Le 23 janvier 1991, le Laboratoire AC de Spiez a reçu la visite d’un scientifique sud-africain de la société Protechnik Laboratoires LTD. En Afrique du Sud, cette société travaille dans les mêmes domaines que le Laboratoire AC de Spiez. La visite avait été organisée par la voie diplomatique et autorisée par les instances hiérarchiques supérieures. L’entretien technique, auquel l’attaché militaire sud-africain a également participé, était consacré aux modèles informatiques destinés à optimiser la propagation des substances chimiques de combat.
Selon ses propres déclarations, le chef de la division spécialisées du Laboratoire AC de Spiez a été plusieurs fois invité à se rendre en Afrique du Sud, invitations qu’il a toujours déclinées étant donné qu’il estimait qu’elles étaient inopportunes pour des raisons politiques. Cela étant, les événements en Afrique du Sud et en Namibie ne présentaient que peu d’intérêt pour le Laboratoire AC de Spiez étant donné que les informations étaient diffuses et que les sources n’étaient pas sérieuses.
Après le changement de régime en Afrique du Sud, les contacts entre la société Protechnik Laboratoires LTD et le Laboratoire AC de Spiez se sont intensifiés. Les discussions ont particulièrement porté sur un soutien des autorités sud-africaines en matière d’information et de logistique en rapport avec la Convention sur les armes chimiques.
Appréciation
La protection contre les armes biologiques et chimiques fait partie des tâches principales du Laboratoire AC de Spiez. Une collaboration internationale dans ce domaine n’appelle donc pas la moindre remarque.
Au sujet de la prétendue livraison en Afrique du Sud d’un synthétiseur de peptides par le Laboratoire AC de Spiez
Demande d’entraide judiciaire du ministère public sud-africain
Au cours de l’enquête pénale sud-africaine à l’encontre de Wouter Basson, le 28 octobre 1996, le ministère public sud-africain a demandé à pouvoir interroger des collaborateurs du Laboratoire AC de Spiez au titre de l’entraide judiciaire. Les investigations des autorités judiciaires sud-africaines portaient sur un délit économique pour lequel Wouter Basson était inculpé et dans lequel Jürg Jacomet aurait joué un rôle non négligeable. Afin de maquiller le délit pour lequel il était inculpé, Wouter Basson avait fait des déclarations relatives à l’acquisition d’un synthétiseur de peptides. Selon ses dires, ce dernier aurait été acheté en automne 1990 auprès du Laboratoire AC de Spiez pour 2,4 millions de dollars US, auquel il aurait ultérieurement été rendu en échange de produits chimiques. Dans sa demande d’entraide judiciaire déjà, le ministère public sud-africain avait exprimé ses doutes quant à ces prétendues transactions qui n’avaient probablement jamais eu lieu.
Appréciation
Les investigations de la délégation ont montré que la transaction prétendue par Wouter Basson n’a jamais eu lieu. Le Laboratoire AC de Spiez n’a jamais fait de demande pour un synthétiseur de peptides ; il n’en a jamais acquis, ni pris en leasing, ni reçu. Il n’a livré ni instrument de ce type, ni produits chimiques de quelque nature que ce soit à l’Afrique du Sud.
Enquête pénale du ministère public du district de Zurich
A ce sujet, il convient d’ajouter que, en 1993, le ministère public du district de Zurich avait ouvert une enquête pénale contre Wouter Basson et Jürg Jacomet pour escroquerie. Le 19 mai 1993, en tant que représentant de la société Intermagnum AG, Jürg Jacomet, accompagné de Wouter Basson, avait négocié l’ouverture d’un compte courant auprès d’une banque à Zurich. Il s’agissait d’un crédit lombard en nantissement d’obligations. Une fois accomplies les formalités d’usage, le 25 mai 1993, vingt obligations d’une banque étrangère pour une valeur nominale de cinq millions de dollars US ont été déposées. Les contrôles réalisés avant l’octroi du crédit ont démontré que les obligations avaient de toute évidence été falsifiées.
Lors de l’interrogatoire du 3 août 1993, Jürg Jacomet a déclaré que la société Intermagnum AG qu’il dirigeait, faisait le commerce en gros d’armes de chasse et de tir sportif et qu’elle avait livré de telles armes à des sociétés sud-africaines jusqu’en 1988. Il aurait rencontré Wouter Basson en 1987 à Pretoria. Par la suite, il aurait eu des contacts privés avec ce dernier. A l’occasion d’un séjour en Suisse, Wouter Basson lui aurait demandé s’il était possible de déposer des papiers-valeurs en nantissement auprès d’une banque ; Jürg Jacomet a répondu qu’il étudierait la question Une fois les formalités liquidées, Wouter Basson lui aurait donné rendez-vous à l’aéroport de Zurich où il lui aurait remis les obligations afin qu’il les dépose à la banque.
Dans sa déposition, le directeur suppléant de l’époque de la banque a déclaré qu’il avait déjà rencontré Wouter Basson quatre ans auparavant et que ce dernier lui avait été présenté par Jürg Jacomet. A l’époque, il avait été question d’un projet d’assistance médicale en Afrique du Sud. L’affaire aurait été trop grande pour la banque qu’il dirigeait.
Par la suite, un mandat de recherche a été lancé contre Wouter Basson ; il a pu être arrêté à l’aéroport de Bâle le 27 novembre 1993 alors qu’il entrait en Suisse. Pour sa part, il a déclaré qu’il avait fait la connaissance de Jürg Jacomet à Zurich, lors d’une visite en Suisse du général sud-africain Lothar Neethling en 1982/1983. A l’époque, Jürg Jacomet lui aurait été présenté en tant que marchand d’armes représentant " officiellement / à titre officieux " le gouvernement suisse. Il en avait conclu que Jürg Jacomet travaillait pour les Services de renseignements suisses. Par la suite, des liens commerciaux et amicaux se seraient développés entre lui et Jürg Jacomet. Il y aurait eu une collaboration au sujet d’un transfert de technologie de la Suisse vers l’Afrique du Sud dans le domaine des mesures de protection AC. Dans cette affaire, Jürg Jacomet aurait, entre autres, établi les contacts avec les services de la Confédération et les entreprises concernés. Ces contacts intensifs auraient duré jusqu’en 1989 ; par la suite, ils auraient diminué d’intensité étant donné que Jürg Jacomet avait déplacé ses activités vers les pays de l’ancien bloc de l’Est.
En 1992, deux rencontres auraient eu lieu à Rümlang ZH, au bureau de Jürg Jacomet. Chaque fois, des ressortissants croates auraient été présents. La discussion aurait porté sur des questions de financement, d’achat et de transports d’armes vers la Croatie. Wouter Basson aurait été convié à ces discussions par Jürg Jacomet étant donné que les Croates se seraient également intéressés à des livraisons d’armes en provenance de l’Afrique du Sud, livraisons qui leur auraient été refusées. Jürg Jacomet aurait par la suite été chargé par Wouter Basson de vérifier un certain nombre de points restés dans l’ombre au sujet de ces livraisons d’armes vers la Croatie. C’est dans ce but qu’on lui aurait remis, depuis l’Afrique du Sud, une somme de 2,3 millions de dollars US. Ensuite, en décembre 1992, Jürg Jacomet aurait exécuté des paiements pour environ 800’000 dollars US à deux généraux et un ministre croates " à titre de contrepartie et d’échantillon ". En février 1993, après quelques échappatoires, Jürg Jacomet aurait reconnu avoir utilisé le reste de l’argent pour d’autres affaires.
Wouter Basson aurait alors été chargé par les services compétents de l’armée sud-africaine de récupérer les fonds détournés par Jürg Jacomet. A ce sujet, il a notamment été question que les livraisons d’armes vers la Croatie soient financées au moyen de prêts sur nantissement. Jürg Jacomet et lui-même auraient par la suite eu l’idée de se procurer les montants perdus au moyen de tels papiers-valeurs. Les deux Croates que Wouter Basson connaissait déjà de rencontres précédentes avec Jürg Jacomet, lui auraient fourni les obligations déposées auprès d’une banque zuricoise. Pour sa part, il était parti de l’idée que les Croates étaient encore débiteurs de la société Intermagnum AG et que c’est la raison pour laquelle ils lui avaient remis les obligations.
Les autres investigations auxquelles le ministère public du district de Zurich s’est livrées sont restées sans résultat si bien que, le 10 décembre 1993, Wouter Basson a été libéré de sa détention préventive contre paiement d’une caution. Il n’a plus été possible d’organiser une confrontation avec Jürg Jacomet, ce dernier s’étant entre-temps soustrait aux autorités de poursuite pénale. Etant donné qu’il n’a pas été possible d’établir la preuve que Jürg Jacomet ou Wouter Basson avaient eux-mêmes falsifiés les obligations ou qu’ils avaient du moins connaissance que ces dernières avaient été falsifiées, l’enquête pénale a été formellement classée le 21 septembre 1994, les frais étant mis à la charge des deux accusés.
Appréciation
Le 21 juillet 1997, dans le but d’élucider ces transactions financières le Ministère sud-africain de la justice a déposé une nouvelle demande d’entraide judiciaire auprès de la Suisse. Dans cette nouvelle requête les flux financiers dont il est question sont confirmés pour l’essentiel si bien qu’aucune raison ne justifie qu’il faille douter des déclarations faites par Wouter Basson et Jürg Jacomet devant le procureur du district de Zurich.
Concernant Jürg Jacomet l’on trouve certes, dans la demande d’entraide judiciaire mentionnée, l’indication selon laquelle "il se serait prétendument mis au service des services secrets suisses". Mais en dehors de cela il n’existe aucun indice démontrant que le service de renseignements aurait pu être impliqué d’une quelconque manière dans les affaires d’escroquerie. L’on peut donc admettre de bonne foi que l’acquisition présumée d’un synthétiseur de peptide n’a été qu’une affirmation de parade invoquée par Wouter Basson pour masquer ses délits financiers.
En rapport avec la procédure dirigée par le ministère public du district de Zurich, les médias ont également suspecté le divisionnaire Peter Regli d’avoir contribué de manière déterminante à la libération de Wouter Basson, ce que réfute le divisionnaire Regli. Les documents correspondants ne comportent aucun indice permettant d’accorder du crédit à ces rumeurs.
Au sujet de la découverte d’uranium
En septembre 1993 la police cantonale de Zurich a découvert et mis en sécurité environ 13 kg d’uranium faiblement radioactif sur l’aire d’autoroute de Kemptthal. L’enquête menée à l’époque avait déterminé que Jürg Jacomet avait déposé ce matériel à cet endroit en avertissant immédiatement et anonymement la police cantonale de Zurich. Auparavant il avait demandé conseil auprès du divisionnaire Peter Regli en discutant avec lui de la démarche. Même si cet événement éclaire les rapports entre le divisionnaire Peter Regli et Jürg Jacomet, il n’est en revanche pas directement lié aux rapports entre la Suisse et l’Afrique du Sud. La Dél CdG a donc renoncé chercher de nouvelles explications à ce sujet.
Au sujet de l’avion du CICR abattu en Angola
Au cours des auditions de la Dél CdG il a été affirmé notamment que le pilote de l’avion du CICR abattu en Angola était membre ou du moins collaborait avec les Services de renseignements suisses. En raison des accusations, le divisionnaire Peter Regli s’était référé au rapport de la Commission fédérale sur les accidents d’aviation : l’avion a été abattu le 14 octobre 1987 en Angola, l’équipage était composé d’un pilote et d’un copilote britanniques, d’un maître de manoeuvre néo-zélandais, et l’avion transportait une passagère suisse et un passager angolais. Il n’y aurait pas le moindre rapport entre cette affaire et le Groupe des renseignements suisse.
En relation avec cette affaire, les médias ont cité Edouard Brunner (" äusserst penible Geschichte ") et Urs Boegli, le porte-parole du CICR (" wir waren perplex "). D’autre part, la centrale genevoise de la Croix-Rouge indique avoir " vivement " protesté auprès du Département politique (aujourd’hui Département fédéral des affaires étrangères, DFAE) à Berne ; ce dernier aurait ouvert une enquête sur cet incident. Entre-temps, la Dél CdG a demandé au Département fédéral des affaires étrangères de lui produire le rapport relaté dans les médias. Dans une lettre du 23 septembre 1999, le DFAE a répondu à la Délégation qu’il n’était pas en mesure de retrouver ce document.
Appréciation globale
En conclusion, les questions posées au début appellent les réponses suivantes :
1- Après une enquête approfondie, la Dél CdG estime qu’à l’époque de la "guerre froide" le Groupe des renseignements suisse a utilisé à juste titre le remarquable potentiel d’informations qui s’offrait à lui grâce aux contacts avec les services sud-africains présents sur un des fronts politiques les plus importants du monde. Il n’existe aucun indice selon lequel l’acquisition d’informations se serait effectuée avec des moyens illégaux ou en violation d’instructions existantes.
Au vu des investigations menées par la Dél CdG, le reproche fait par les médias selon lequel le Groupe des renseignements, et notamment son chef le divisionnaire Peter Regli, auraient pris part à la mise en place du projet secret d’armes chimiques et biologiques en Afrique du Sud est sans fondement. Les allégations selon lesquelles le divisionnaire Peter Regli aurait participé à la conception ou, de surcroît, aurait promu ce projet d’armes sont dénuées de tout fondement. Il est tout aussi inexact que le chef du Groupe des renseignements aurait "entretenu des contacts" avec le chef du projet secret d’Afrique du Sud. Seule la visite dans le bureau du divisionnaire Peter Regli au Palais fédéral, visite arrangée par Jürg Jacomet, peut être prouvée.
En revanche, un objet d’insatisfaction pour la Dél CdG réside dans le fait que le Groupe des renseignements a pu agir à une époque non dépourvue de dangers sur un front sensible au niveau de l’information sans recevoir de directives et sans être soumis à une quelconque direction de la part des autorités politiquement responsables.
Le rôle de Jürg Jacomet est également problématique aux yeux de la Dél CdG. Pendant des années, Jacomet a pu manifestement passer, sans en être empêché, pour un collaborateur du Groupe des renseignements. A cet égard on ne peut s’empêcher de reprocher au chef du Groupe des renseignements d’avoir accordé trop peu d’importance à la sélection, à l’instruction et à la surveillance d’une personne collaborant de manière informelle, de lui avoir fait confiance de manière trop crédule et de ne pas avoir percé à jour le double jeu de Jürg Jacomet.
2- Le Laboratoire AC de Spiez s’est comporté de manière très réservée, voire même exemplaire, face aux tentatives des milieux sud-africains d’obtenir des résultats de travaux de recherche suisses. Il ne saurait être question d’une participation active ou même passive de ce service internationalement réputé à un projet secret d’armes sud-africain. Au contraire : le Laboratoire AC de Spiez avait pour objectif, et la preuve est faite que cet objectif est maintenu, de protéger la population des dangers des armes chimiques et biologiques et non de promouvoir ces armes
LISTE DES ABRÉVIATIONS
CADCA : Commandement des troupes d’aviation et de défense contre avions
CEP : Commission d’enquête parlementaire
CICR : Comité International de la Croix-Rouge
DDPS : Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports
Dél CdG : Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales
DFAE : Département fédéral des affaires étrangères
DFF : Département fédéral des finances
DFJP : Département fédéral de justice et police
DMF : Département militaire fédéral
GRS : Groupe renseignements et sécurité
LAAM : Loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire
LREC : Loi sur les rapports entre les conseils
ONU : Organisation des Nations Unies
ORen : Ordonnance sur le renseignement
RS : Recueil systématique du droit fédéral
SRADCA : Service de renseignements de l’aviation et de la défense contre avions
SRFA : Section des renseignements des forces aériennes
Source : Chambres fédérales suisses http://www.parlement.ch
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