La secrétaire d’État des États-Unis, Hillary Clinton, et son homologue suisse, Micheline Camly-Rey, se réjouissent de l’accord conclu entre UBS et le fisc états-unien. Compromis amiable ou début de la fin ?

Constatant les déficits abyssaux de la balance commerciale et du budget des États-Unis, de nombreux économistes annoncent une fin proche de la domination du dollar comme monnaie internationale. Cependant, les choses s’avèrent plus complexes. La monnaie n’est pas seulement une unité de compte et un instrument de réserve, c’est aussi un moyen d’action, une marque de la puissance politique. Elle est constitutive de la forme d’État. Le dollar n’est pas seulement la monnaie de l’État national états-unien, mais aussi de sa fonction impériale.

Affaibli au niveau strictement économique, le dollar dispose de la force politique de l’État américain pour essayer de maintenir ses prérogatives mondiales. C’est dans ce cadre de maintien de l’hégémonie de la monnaie états-unienne, en obligeant les capitaux à se placer dans sa zone économique, qu’il faut lire l’opération actuelle de restructuration du système financier international, dont l’attaque contre la banque suisse UBS est une opération majeure.

UBS : cheval de Troie du fisc US

Ce 19 août 2009, UBS et le fisc US ont signé un accord qui met fin momentanément à l’affaire de fraude fiscale qui les opposait. Il permet à la banque d’échapper à un procès. Cependant, UBS doit donner les noms de quelque 4 450 titulaires de comptes de contribuables américains soupçonnés de fraude fiscale. Ces données seront transmises par la voie officielle de l’entraide administrative. Les autorités helvétiques ont ainsi légalisé le nouveau rapport de forces et le fisc états-unien a obtenu leur aval afin d’enquêter sur d’autres banques suisses. La suppression de la distinction fraude-évasion fiscale, opérée par la Confédération pour sortir de la liste grise des paradis fiscaux établie par l’OCDE, offre de nouvelles perspectives aux demandes des administrations fiscales étrangères. Les autorités suisses cherchent avant tout à empêcher les pêches au filet, c’est à dire l’obtention d’informations sur base de simples soupçons et non en fonction de renseignements précis, par exemples les noms des fraudeurs, les sociétés impliquées, des numéros de comptes...Cependant, à ce niveau rien n’est définitivement fixé. Comme depuis le début de cette affaire, tout va se jouer au rapport de forces

En fait, ce nouvel accord entre UBS et l’administration états-unienne va servir d’étalon pour définir la taille des mailles du filet avec lequel le fisc US va partir à la pêche aux fraudeurs et cela dans l’ensemble de la place financière helvétique et, ensuite, dans les pays tiers.

L’accord de février 2009 [1], par lequel la banque UBS a d’abord accepté, au mépris du droit helvétique, de livrer à la justice états-unienne le nom d’environ 250 clients, qu’elle avait aidés à échapper au fisc US, n’avait pas arrêté la justice américaine. A peine l’accord était-il signé, que celle-ci avait exigé qu’UBS lui livre l’identité de quelque 52 000 clients états-uniens titulaires de « comptes secrets illégaux ». Le nouvel accord suspend ces exigences. Il est, à première vue et contre toute attente, particulièrement favorable à la banque suisse.

UBS, qui s’était déjà acquittée d’une amende de 780 millions de dollars en février ne devra pas payer de pénalités supplémentaires [2]. Cela fait exception à la pratique habituelle du fisc US. Plus surprenant encore : il est stipulé que si, après un an, la banque n’a pas respecté ses engagements, aucune sanction financière ne pourra être prise contre elle. On ne peut comprendre une telle attitude de l’administration états-unienne que si l’on pose l’hypothèse que le fisc US ne veut pas créer de difficultés financières à la banque. Il n’a, en effet, pas intérêt à tuer un cheval de Troie, qui, jusqu’à présent, l’a si bien servi et surtout qui peut lui être encore très utile. UBS est très dépendant du marché américain et est ainsi particulièrement vulnérable aux pressions du fisc US. C’est moins le cas en ce qui concerne les autres banques helvétiques. Le déroulement de cette affaire nous indique que l’on doit ainsi s’attendre à de nouvelles attaques états-uniennes contre la place financière suisse.

Une réorganisation US du système financier international

L’action de l’administration états-unienne contre cette banque helvétique est l’utilisation d’une opération contre l’évasion fiscale de ses nationaux, afin de modifier, à son avantage, les règles de fonctionnement du système bancaire mondial.

La réponse positive d’UBS aux injonctions du fisc US, ainsi que la légitimation de cette remise d’informations par les autorités de contrôle helvétiques, placent l’administration américaine dans une position qui lui permet de formuler constamment de nouvelles exigences. La souveraineté des États-Unis se définit, non seulement comme la capacité à poser l’exception et à établir un état d’exception permanent en posant toujours de nouvelles demandes, mais surtout à en faire la base sur laquelle se reconstruit un nouvel ordre juridique international.

La création d’un pur rapport de forces n’est jamais qu’une première forme d’action. Les États-Unis ont ensuite la capacité de faire légitimer, par toutes les parties, les nouveaux droits qu’ils se sont accordés.

Cette nouvelle souveraineté des États-Unis s’inscrit dans une réorganisation du système financier international en leur faveur. À travers la lutte contre la fraude fiscale, cette opération distingue les « paradis fiscaux », dont la Suisse ferait partie, des centres « offshore », généralement entièrement contrôlées par les autorités états-uniennes, dont la technique d’évasion fiscale est basée sur les « trusts ». Ces derniers, coûteux à mettre en place, permettent une opacité fiscale bien plus grande que la technique du secret bancaire.

La place helvétique détient encore 27 % du marché offshore, celui des capitaux placés en dehors de leur pays d’origine. Elle est ainsi la principale concurrente des centres financiers anglo-saxons. Les attaques contre la place suisse sont un moyen de lutter contre le déclin du dollar, en obligeant les capitaux à s’investir dans la zone de cette monnaie, tout en garantissant aux plus hauts revenus le moyen d’échapper à toute imposition fiscale.

Le G 20 de Londres, en avril 2009 [3], nous montre cependant que la main mise états-unienne sur le système financier international ne sera que partielle. La place de Singapour, qui est appelée à se développer fortement et susceptible de récupérer une partie des capitaux quittant la Suisse, est parvenue à maintenir ses prérogatives face à l’offensive US.

Un rapport impérial

Si ce nouvel accord est particulièrement favorable à UBS, cela résulte du sacrifice de la place bancaire helvétique par les autorités suisses au profit de la banque la plus importante. Cet accord est emblématique de la manière dont s’effectue actuellement la décision politique : au rapport de forces pur. L’adhésion des autres banques n’est pas sollicitée. Grâce à l’intervention de l’administration US, la base sociale de l’État national suisse éclate. L’affaire UBS nous révèle un mode de construction de la structure impériale : le rapport de domination directe qui s’établit entre l’administration US et les grandes entreprises multinationales étrangères implantées sur le marché nord-américain, ainsi que l’utilisation de ces dernières comme instruments de décomposition des pouvoirs nationaux.

UBS réalisait la moitié de son chiffre d’affaires sur le marché états-unien, cela indique une vulnérabilité particulière aux pressions des autorités américaines. Elle est la principale banque de la place helvétique et bénéficie ainsi, dans ce pays, d’avantages dus à son rang. Cependant, sur le marché nord-américain, cette banque transnationale est soumise, à travers l’administration états-unienne, aux intérêts de grands groupes nord-américains et à la politique globale des autorités états-uniennes. Elle devient un simple instrument de celle-ci.

Attaquée par le fisc US, UBS n’a pas cherché à se désengager du marché nord-américain. Au contraire, elle a développé une politique de recrutement destinée à reconquérir des parts de marché qu’elle avait dû abandonner [4]. Il n’y a pas d’alternative au marché intérieur états-unien. Celui-ci occupe une place privilégiée, que ce soit pour les marchandises ou le secteur financier. Il est ainsi une arme privilégiée au service de l’administration américaine qui lui permet d’instrumentaliser les firmes multinationales actives sur ce marché et de les utiliser au service de sa politique impériale.

[1« Lutte contre la fraude fiscale ou main mise sur le système financier international ? », par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, le 3 mars 2009.

[2« UBS va révéler 4.450 noms de clients américains », Le Nouvel Observateur Challenge.fr, le 18 août 2009.

[3« Le G 20 : une hiérarchisation des marchés financiers », par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, le 9 avril 2009.

[4« UBS entrouvre les vannes de l’emploi aux États-Unis », par François Pilet, Le Temps, le 21 juillet 2009.