Extraits de la déposition d’Ali Bourequat pour obtenir l’asile politique aux États-Unis

"Moi, Ali Bourequat, demande l’asile politique aux États-Unis du fait que je crains d’être persécuté par le gouvernement français si je retourne en France. Après avoir été emprisonné pendant plus de dix-huit ans [au Maroc] je suis retourné en France en janvier 1992. J’ai alors commencé à m’exprimer au sujet d’informations que j’avais reçues concernant l’implication d’officiels français dans le trafic de drogues. (...) J’avais de surcroît des informations quant à l’enlèvement et au meurtre de Mehdi Ben Barka." Après avoir, à l’époque, accordé un entretien à un journaliste du Monde, Bourequat se plaint d’avoir reçu une visite, suivie d’une dizaine d’autres, de la part "de gens qu’[il] ne connaissait pas" et qui lui conseillaient fermement de se taire. En plus de ces menaces, son appartement ainsi que celui de son frère auraient été "visités". Il aurait trouvé un micro chez lui, etc., etc.

L’affaire fit la une du "San Francisco Chronicle" en avril dernier [1]. Aucun écho dans la presse française. Une dépêche d’agence évoquant l’événement aurait été brièvement reprise par "Le Monde", "Libé" et le "Erreur ! Référence de lien hypertexte non valide." mais "tout a été fait pour étouffer l’affaire", remarque un observateur. On peut le croire. C’est la première fois, selon le "San Francisco Chronicle", que l’asile politique est accordé aux États-Unis à un ressortissant d’une démocratie occidentale. Alors interrogés par ce journal, les officiels français à Paris, à Washington et au Texas (où Ali Bourequat faisait sa demande d’asile) ont répondu qu’ils n’avaient aucune information concernant cette affaire et ont refusé de commenter la décision américaine.

Persécutions

Ali Bourequat demandait l’asile en même temps que Jacqueline H., épouse séparée d’un riche industriel français, un important actionnaire de la société Ricard. "La famille H. était jadis propriétaire de Pernod, rappelle le "San Francisco Chronicle". À l’occasion d’une fusion, elle est devenue un important actionnaire de Ricard. Charles Pasqua était responsable du service export de Ricard à la fin des années 60", jusqu’à son élection comme sénateur en 1970. "Charles Pasqua, ajoute le quotidien californien, aurait maintenu de proches contacts avec la firme depuis."

La famille H. serait, selon la déposition d’Ali Bourequat, "sérieusement impliquée dans le trafic de cocaïne au Maroc". Quant à monsieur Pasqua, ajoute Bourequat, "elle [madame H.] m’a informé de ce qu’il était aussi impliqué dans le trafic de drogues". Bourequat a, de plus, déclaré que les menaces et les persécutions dont lui et Jacqueline H. ont été victimes étaient orchestrées, selon lui, par le ministère de l’Intérieur - dont le chef était alors Charles Pasqua.

Interviewé par le "San Francisco Chronicle", Ali Bourequat dit que Madame H. témoignait de ce que son mari recevait chaque hiver la visite d’Italiens qui lui versaient de grosses sommes d’argent, toujours en liquide. Interrogé par elle, son mari lui aurait répondu : "Ce sont des dividendes de notre labo au Maroc." Plus tard, monsieur H. aurait expliqué à sa femme que ces visiteurs étaient des représentants de la Mafia napolitaine.

Affaire sensible

Dans des lettres adressées à Pasqua et à Mitterrand, l’avocat parisien de Ali Bourequat soulignait le fait que "monsieur H. aurait prétendu être assuré d’une impunité totale", en raison de la protection du ministre de l’Intérieur. Dans la même lettre, l’avocat d’Ali Bourequat dénonçait, entre autres signes de harcèlement policier, la présence d’un micro caché chez son client, dont il joignait la photo. Des documents en la possession du "San Francisco Chronicle" établiraient que l’affaire Bourequat a été suivie au plus haut niveau en France pendant dix-huit mois.

Aux États-Unis également, l’affaire semble avoir été enregistrée au plus haut niveau. Après qu’Ali Bourequat ait rencontré Jimmy Carter et témoigné devant la Commission des droits de l’homme du Congrès américain, sa demande d’asile politique aurait été appuyée par le Département d’État, ce qui est tout à fait inhabituel et semblerait indiquer que l’affaire est considérée par les autorités américaines comme extraordinairement "sensible".

Presse qui mouille...

"Le Monde" a publié ça et puis ? Rien du tout. Pas une reprise dans la presse française. Pas une. Sauf une brève mention dans le journal de 20 heures de France 2, en marge d’une histoire relatant une "importante saisie de drogue". "Libération", "Le Figaro" et tutti quanti n’avait peut-être pas lu "Le Monde" ce jour-là... La BBC, par contre, a repris l’information, ainsi qu’en Espagne "El País", qui a publié l’article in extenso, et "El Mundo", un important quotidien de Barcelone. Nul n’est prophète en son pays.

Source
Maintenant (France)

Sur le même sujet
 « Hassan II, notre ami le dealer », par Michel Sitbon, Maintenant, 15 novembre 1995.
 « L’homme qui en savait trop - Lettre ouverte à Ali Bourequat », par Michel Sitbon, Maintenant, 20 mars 1996
 « Une famille en or », par Jacqueline Pile Hémard, Maintenant, 20 mars 1996
 « Audition de M. Ali Bourequat », 5 juin 1998

[1« French Journalist Links Officials to Drug Ring / Accusation contained in asylum plea », par Frank Viviano, San Francisco Chronicle, 6 avril 1995.