« Blair doit trouver le courage de tourner le dos à l’Union Européenne »

Blair must find the courage to turn his back on the EU
The Daily Telegraph (Royaume-Uni)

[AUTEUR] David Frum a été le rédacteur des discours de George W. Bush et notamment le discours de l’« Axe du mal ». Il est rédacteur de National Review et membre de l’American Enterprise Institute. Il est auteur d’une hagiographie de George W. Bush : The Right Man : The Surprise Presidency of George W. Bush.

[RESUME] Les opposants à la guerre ont raison sur une chose : la guerre en cours va briser le statu quo au Moyen-Orient. Il y a aussi un autre statu quo qui va disparaître : celui des relations transatlantiques. La Grande Bretagne va devoir faire un choix extrêmement difficile.
Certains ont affirmé que Tony Blair était le « toutou » de George W. Bush. Pourtant, il est évident qu’il exerce une réelle influence sur la politique américaine puisque c’est lui qui a convaincu les États-Unis de retourner au Conseil de sécurité et M. Bush de prononcer -avant et non après la guerre- son discours sur la création d’un État palestinien. Après la guerre, le prestige de M. Blair s’accroîtra, si c’est possible, en Amérique. La tentation sera alors grande de revenir à la position d’avant-guerre et de refaire de la Grande-Bretagne le lien entre Washington, Paris et Berlin et entre l’Amérique et le Conseil de sécurité tout en intégrant plus le pays dans l’Union Européenne. Pourtant, il existe une autre voie.
La plupart des politiciens français rêvent d’un monde où, en cas de crise, le président des États-Unis appelle le président de l’Union Européenne au lieu du le Premier ministre britannique, mais pourquoi la Grande Bretagne voudrait-elle ça ? Le Royaume-Uni a une armée plus puissante que tout le reste de l’Europe réunie et une économie forte. En fait, la Grande-Bretagne n’a pas besoin de l’UE, c’est l’UE qui a besoin d’elle. En outre, vu la position actuelle de la France, Londres ne doit pas espérer réussir à revitaliser les institutions internationales et, même si elle y parvenait, qu’aurait elle à y gagner ? Plus d’influence française au Conseil de sécurité ?
La Grande-Bretagne a beaucoup plus à espérer en donnant à l’alliance anglo-américaine une légitimité multilatérale, en créant une nouvelle alliance des démocraties construites sur la base de la coalition qui mène la guerre en Irak. L’Amérique a besoin d’alliés et la Grande-Bretagne est le plus capable d’entre eux.

« Est-ce la fin du monde arabe des Caudillos »

Is this the end of the Caudillo Arab world ?
Washington Times (États-Unis)

[AUTEUR] Amir Taheri est journaliste iranien et rédacteur en chef du journal français Politique Internationale. Il est expert du cabinet Benador Associates à New York.

[RESUME] Nous assistons à la banqueroute du modèle politique développé dans les pays arabes au XXème siècle. Ce modèle a parfois été présenté comme un modèle socialiste, nationaliste, voire national-socialiste, mais il est en réalité « zaimiste » (de l’arabe zaim qui signifie chef ou caudillo). Ces régimes sont centrés sur des hommes forts, brutaux et charismatiques.
Ils tirent leurs racines de la chute de l’empire ottoman et de la création de puissantes armées par les régimes coloniaux. Par la suite, ces armées ont adopté un discours nationaliste pour maintenir leur influence sur une population choquée par la défaite contre Israël, en 1948. Elles l’ont imputée aux élites traditionnelles et ont adopté une rhétorique socialiste pour s’attacher les pauvres urbains.
Là où elle a pris le pouvoir, l’armée a ensuite militarisé la société et s’est attaqué, dans une logique totalitaire, à toutes les autres sources de légitimité (tribale, religieuse, politique…). L’État est passé sous le contrôle d’un parti unique militaire qui nationalisait les ressources. Cette main mise s’accompagnait de milliers d’exécution, d’emprisonnement et de bannissement. Enfin, la militarisation aboutit à des guerres au Moyen-Orient et le soutien au terrorisme devint un instrument politique.
Ces États développèrent des liens avec le bloc soviétique et ils se séparèrent de l’Occident, coupant leur population de son influence. Ils ont ainsi provoqué l’émergence de l’islamisme comme seule alternative politique, même si ce modèle est aujourd’hui également en crise suite aux échecs de la révolution islamiste iranienne et des régimes soudanais et taliban.
Il faut créer un nouveau modèle d’État arabe où la légitimité proviendra de la volonté des citoyens et répondra à leurs besoins en s’appuyant sur la tradition politique musulmane qui limite les pouvoirs des dirigeants. Cette transformation politique devra s’accompagner d’un programme de privatisation pour diminuer le pouvoir de l’État, notamment une privatisation des médias.
La libération de l’Irak offre une formidable opportunité d’ouvrir de nouvelles expériences politiques.

« Pourquoi j’ai démissionné du corps diplomatique états-unien »

Why I Resigned From the U.S. Foreign Service
Moscow Times (Russie)

[AUTEUR] John Brown est chercheur associé à l’Institute for the Study of Diplomacy de la Georgetown University. Il a été attaché culturel à l’ambassade des États-Unis à Moscou et a démissionné le 10 mars 2003 pour protester contre la politique de George W. Bush. Le texte de sa lettre est disponible en français sur le site du Réseau Voltaire : « Nouvelle démission d’un diplomate états-unien "Le président a échoué" ». Cette démission a suivi celle de John Brady Kiesling, conseiller politique à l’Ambassade des États-Unis à Athènes, disponible également en français : « Lettre de démission d’un diplomate états-unien : L’administration Bush utilise Al Qaïda comme "allié administratif" ».

[RESUME] Vendredi dernier, en voyant les premiers bombardements de la tactique du « Shock and awe » sur Bagdad qui a provoqué la terreur de millions de civils innocents, ma colère contre l’administration Bush était mélange à la conviction que mon pays vivait une des périodes les plus honteuses de son histoire.
J’ai démissionné le 10 mars car j’ai estimé que le président Bush avait échoué à présenter une justification convaincante en faveur de la guerre aux Américains et au monde. La Maison Blanche a présenté cette guerre comme un produit marketing, ne donnant aucun argument, uniquement de la propagande et des slogans martelés. Il a choisi de diaboliser les opposants à la guerre, de ne pas faire appel à la raison, mais de provoquer la peur pour entraîner l’adhésion.
La lettre de démission brillante de John Brady Kiesling (que je n’ai jamais rencontré) m’a convaincu. Après la déclaration désastreuse de George W. Bush, le 6 mars, devant une presse docile pour convaincre les Américains qu’ils devaient être prêts à attaquer l’Irak, j’ai estimé qu’il fallait que je démissionne. Je ne pourrais plus travailler au Département d’État.

« En se moquant des lois de la guerre, les États-Unis cherchent la tragédie »

By Flouting War Laws, U.S. Invites Tragedy
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] Erwin Chemerinsky est professeur de droit et de sciences politiques à l’Université de Caroline du Sud. Il a été l’un des plaignant dans l’action en justice sur le sort des détenus de Guantanamo.

[RESUME] Dimanche, Donald Rumsfeld a invoqué les conventions internationales pour condamner les traitements infligés aux prisonniers de guerre américains en Irak et l’utilisation des civils comme boucliers humains. Dès les images de prisonniers américains diffusées, il a dénoncé une violation des Accords de Genève.
L’hypocrisie de Rumsfeld est énorme car cela fait deux ans que l’administration Bush viole ou ignore les lois et traités internationaux dans ce domaine. Aussi, même si nous espérons que les soldats américains reviendront rapidement sains et saufs, il nous faut constater que notre attitude a conduit l’Irak et d’autres nations à se sentir plus libres dans leur façon de conduire les guerres et le traitement de leurs prisonniers.
Depuis 15 mois, 600 captifs sont détenus à Guantanamo et le gouvernement ne leur accorde pas le statut de « prisonniers de guerre », mais celui -bien inférieur- de « combattants ennemis ». On sait désormais que des individus continuent d’être incarcérés là-bas alors qu’ils ne sont pas terroristes et ne détiennent aucune information vitale. Certains sont à l’isolement depuis 15 mois, sans accusation, sans accès à un avocat ou contact avec l’extérieur. Ce traitement viole les principes humains de bases et 25 détenus ont déjà tenté de se suicider.
Même si Donald Rumsfeld a raison de critiquer l’usage de boucliers humains, il est difficile d’invoquer la loi internationale quand la guerre que l’on mène est elle même une violation de cette loi.
Notre comportement a un coût énorme : les États-Unis ne peuvent pas espérer que les nations étrangères traitent nos prisonniers en accord avec la loi internationale si nous mêmes l’ignorons.

« Ô Irakiens, luttez avec la force et l’esprit du jihad »

O Iraqis, fight with the strength of the spirit of jihad
The Independant (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Saddam Hussein est président de l’Irak. Cette tribune est adaptée du dernier discours télévisé aux Irakiens.

[RESUME] Nous savons, et tout le monde dans ce pays, combien nous essayons de faire ce qui est juste. Certains nous ont même blâmés pour notre patience vis-à-vis des administrations américaine et britannique dont les buts secrets sont liés au sionisme maudit. Nous vivons maintenant des jours décisifs et les combattants et le peuple irakiens ont un comportement exceptionnel qui leur fait mériter la victoire et suscite la satisfaction de Dieu.
Nous nous sommes toujours conformés aux demandes, aussi illégitimes soient-elles, en espérant que le monde ouvrirait les yeux, lèverait les sanctions contre notre peuple et éviterait la guerre. Mais, mes frères, maintenant le mal arrive et nous devons lui faire face avec notre foi dans une lutte sainte qui nous rend dignes et qui plait à Dieu. Nos ennemis nous attaquent avec leurs avions, leurs missiles et avec des forces terrestres pour occuper notre pays. Ils sont pris au piège sur notre territoire et le parti Ba’as, le peuple, les clans, les fedayins de Saddam et les forces de sécurité se battent aux côtés de nos forces et font de grandes choses.
L’ennemi vous a sous-estimé et maintenant, il est pris au piège dans notre terre sacré d’Irak défendu par son grand peuple et son armée.
Ô Irakiens, luttez avec la force et l’esprit du jihad !

« Le syndrome de la "cinquième colonne" »

The ’Fifth Column’ syndrome
Washington Times (États-Unis)

[AUTEUR] Frank J. Gaffney Jr est président du Center for Security Policy, le think tank qui rassemble les principaux « faucons » états-uniens. Le Réseau Voltaire lui a consacré une enquête : « Le Centre pour la politique de sécurité : les marionnettistes de Washington ».

[RESUME] La perte la plus traumatisante de l’armée états-unienne n’a pas été causée par les Irakiens, mais par un militaire Américain au Koweit, le sergent Asan Akbar, qui a lancé trois ou quatre grenades contre les tentes de ses camarades avant de tirer sur ceux qui en sortaient. Il est responsable d’un mort et d’une douzaine de blessés. Il arrive parfois qu’un militaire démoralisé s’en prenne à ses camarades, mais ce cas est plus inquiétant.
Il pourrait être le précurseur d’un problème plus large et plus dangereux appelé le syndrome de la « cinquième colonne ». En effet, le sergent Akbar est un musulman noir converti que ses supérieurs avaient décidé de laisser en arrière en raison de son comportement : il semblait plus s’identifier au pays de l’adversaire qu’à son propre pays pour des raisons religieuses. Il faut noter que les islamistes, qu’il ne faut pas confondre avec les musulmans, ont fait de grands progrès aux États-Unis et dans le reste du monde lors des 40 dernières années. La secte wahhabite, la religion d’État saoudienne, grâce aux revenus du pétrole, a installé de nombreuses structures qu’Akbar est susceptible d’avoir fréquentées.
Plus inquiétant, il est possible que les idées meurtrières d’Akbar lui ait été suggérées par un des aumôniers musulman de l’armée américaine. Neuf d’entre eux sur quatorze ont été formés par la Graduate School of Islamic and Social Science (GSISS), financée par les Saoudiens et dont le doyen est suspecté d’avoir aidé au financement d’organisations terroristes comme Al Qaïda.
Peut-être que l’événement de dimanche est isolé. Mais peut-être exige-t-il que l’administration Bush et ceux qui aiment ce pays se réveillent et admettent que parmi nous se cachent des personnes qui développent une haine des États-Unis. Il faut reconnaître le problème et le traiter en conséquence.

« Nos craintes »

Nos craintes
Le Monde (France)

[AUTEUR] Ahmad Bamarni est le représentant de l’Union Patriotique du Kurdistan en France.

[RESUME] Les désertions dans l’armée irakienne prouvent que la chute du régime de Saddam Hussein est proche. Pourtant la population irakienne, et surtout kurde, vit dans l’inquiétude.
Les Kurdes craignent une attaque bactériologique et se souviennent d’Halabja. C’est pourquoi ils ont commencé à quitter leurs foyers.
La population craint également une intervention militaire turque qui est perçue par les Kurdes comme une invasion destinée à les priver de leurs droits et libertés. Ils rejettent les prétextes humanitaires évoqués par Ankara. Les Turcs veulent prendre le Kurdistan pour peser sur l’avenir de l’Irak, contre l’avis des Kurdes et de l’opposition irakienne.
Nous voulons construire en Irak un régime démocratique, pluraliste, parlementaire et fédéral, tel que nous l’avons défini lors de la conférence de Londres dans la « déclaration politique » et le « projet de la période de transition ». Ce dernier texte rejette également l’idée d’un gouverneur militaire imposé de l’extérieur ou de l’intérieur. Il prévoit la création de trois instances principales pour gérer la transition :
 Un comité restreint de 65 délégués a été nommé
 Une direction politique de six personnalités irakienne a été élue.
 14 Commissions ont été désignées dans différents domaines.
L’opposition irakienne s’organise pour assurer le pouvoir sitôt la chute de Saddam Hussein afin d’être indispensable aux Américains.

« Chers amis kurdes d’Irak »

Chers amis kurdes d’Irak
Le Monde (France)

[AUTEUR] Danielle Mitterrand, veuve de l’ancien président de la République française François Mitterrand, est présidente de la Fondation France libertés.

[RESUME] Chers amis kurdes, depuis des années je vous soutiens dans votre quête de liberté, de paix et de dignité. J’ai dénoncé les atrocités et ceux qui armait la dictature et j’ai tenté de vous réconcilier pendant vos luttes intestines, en « mère » que je suis sensée être pour vous.
J’aurai aimé pouvoir croire que vos intérêts coïncidaient avec ceux de la superpuissance américaine. J’ai entendu votre satisfaction quand Colin Powell a dit que vous étiez des « partenaires » des États-Unis, mais pendant les 35 ans où vous vous êtes battus contre ce régime quel sens la puissance américaine a-t-elle donné à ce partenariat ? Dans quel document officiel l’administration américaine s’est-elle engagée en faveur de vos revendications pour un État irakien démocratique et fédéral ? Pourquoi n’êtes-vous pas équipés en masques de protection contre les attaques chimiques et bactériologiques par vos protecteurs, vous qui avez connu Halabja ? Il est également permis de douter du sens du mot « humanitaire » dans les discours d’Ankara qui visent à justifier le déploiement de troupes turques dans le Nord de l’Irak. Sur ce point, vous n’avez pas non plus obtenu de garantie de vos protecteurs anglo-américains.
Récemment, le responsable du déminage de votre pays me disait à quel point sa tâche était difficile. Or, les Américains le minent à nouveau et utilisent encore des armes à l’uranium appauvri. Je vous demande donc de vous opposer à la volonté de vos protecteurs sur l’usage de ces armes et de vous méfier d’un pays qui vous a trompé par deux fois, en 1975 et 1991.